Le casting du deuxième tour était connu, mais le résultat a surpris. Moins de 800 voix ont séparé, dimanche 24 mars, Jean-François Mancel (UMP), vainqueur de la législative partielle dans la 2e circonscription de l'Oise, et son adversaire, Florence Italiani, candidate du Front national.
L'issue de ce scrutin s'explique en partie par le contexte local : un électorat très polarisé autour de la personne de Jean-François Mancel, député sortant. Mais il relance aussi la réflexion sur l'essor du FN dans certains territoires, où il tient désormais tête à l'UMP et au PS.

Un parti désormais capable de tenir au second tour

Pour Joël Gombin, doctorant en sciences politiques à l'université de Picardie Jules-Verne et spécialiste du FN, cette évolution est palpable depuis les cantonales de 2011."Le Front national a franchi un seuil, explique le chercheur à francetv info. Nous sommes dans une dynamique où il devient une offre politique crédible sur le plan électoral, susceptible de rallier des votes au second tour, y compris dans l'électorat socialiste [face à un candidat UMP]."
L'élection, en juin 2012, de deux députés frontistes, Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen, après vingt-quatre ans d'absence au Palais-Bourbon, est notable sur ce plan. Mais l'analyse des résultats récents dans l'Oise, réalisée par Joël Gombin sur son blog, est également révélatrice : il estime qu'entre 40 et 45% des électeurs de la candidate socialiste au premier tour ont voté pour Florence Italiani. Le "Front républicain" censé unir le PS et l'UMP lorsqu'il s'agit de faire barrage au FN est bien fissuré. Et, quoi qu'en dise Solférino, l'électorat de droite n'est pas seul à s'engouffrer dans la brèche.

La présidence socialiste face à l'effet bleu Marine

Pour une partie des électeurs socialistes, les premiers mois du quinquennat Hollande sont ceux du désenchantement. Leur choix dans les urnes s'en ressent. "Le fait que la gauche soit au pouvoir, après avoir fait campagne sur des promesses fortes au niveau économique et social, et que les effets positifs ne soient pas véritablement ressentis, tout cela accroît l'audience du Front national", commente Joël Gombin.
Nicolas Lebourg, historien et auteur de plusieurs ouvrages sur le Front national, va plus loin. "Il n'y a rien de mieux pour l'extrême droite que la social-démocratie au pouvoir", affirme le chercheur, contacté par francetv info. Pour lui, la politique menée par le gouvernement Ayrault offre au Front national l’occasion de développer pleinement, avec la force du contraste, un discours "très volontariste, avec des valeurs d'ordre", se voulant la réponse à une "coagulation des insécurités : insécurité économique, sociale, avec la peur du déclassement, et physique, avec les problématiques de sécurité".

Une stratégie à deux visages qui porte ses fruits

Dans ce contexte, les zones périphériques des grandes agglomérations et les villes moyennes, particulièrement touchées par la crise, constituent un terrain très favorable. Le succès du parti de Marine Le Pen dans des villes comme Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) ou Beauvais (Oise), en est une bonne illustration. Il permet aussi de mettre en lumière la stratégie de conquête mise en place par le parti.
"La stratégie du FN, c'est de ratisser aussi large que possible, souligne Joël Gombin, et il y a clairement deux cibles : l'une, droitière, atteinte avec un discours identitaire et sociétal, sur l'immigration notamment, l'autre, populaire, avec un discours beaucoup plus axé sur des problématiques économiques et sociales. Ce qui est intéressant, c'est qu’il décline [ces deux axes] différemment selon les territoires."
Marine Le Pen, la présidente du Front national, en visite à Quiberon (Morbihan), le 9 mars 2013.
Marine Le Pen, la présidente du Front national, en visite à Quiberon (Morbihan), le 9 mars 2013.
(THOMAS BREGARDIS / MAXPPP)
Dans le Pas-de-Calais, historiquement acquis à la gauche ouvrière, et plus généralement dans le nord de la France, le discours est avant tout économique. Dans le Sud-Est, le message nationaliste et anti-immigration traditionnel prédomine. "Ce n’est pas un hasard si Florian Philippot (numéro 2 du FN), porteur du nouveau message économique du parti, a été beaucoup vu aux côtés de la candidate FN dans l’Oise", souligne le chercheur.

La théorie du "plafond de verre"...

Pour certains, l’essor du Font national se heurte cependant à certaines limites, liées à la sociologie de son électorat. C’est la thèse défendue par les démographes Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, auteurs du Mystère français (Seuil), où ils analysent le phénomène de "droitisation" de la société française.
"Le FN joue sur deux tableaux en désignant deux ennemis, l'ennemi de classe – les gens d'en haut, les riches, les puissants – et un ennemi ethnique, en bas", expliquent-ils dans un entretien au Monde, publié samedi 23 mars. "Mais sa marge de progression est limitée. Pour une question de bon sens historique : l'une des réalités du FN, c'est qu'il est coupé de la moitié supérieure de la pyramide éducative. Les jeunes diplômés en cours d'appauvrissement continuent de voter à gauche. La société ne sera donc jamais vraiment menacée par l'extrême droite, qui restera cantonnée dans des catégories reléguées."

...et son contrepoint : "Il n'y a pas une sociologie du FN"

Un "plafond de verre" sur lequel se briserait le FN ? "J'y ai cru, je me suis trompé",lâche Nicolas Lebourg, qui ne partage plus cette théorie. "Je pense qu'ils [Le Bras et Todd] commettent une erreur, qui est de considérer la sociologie du FN comme figée", analyse de son côté Joël Gombin. "Il n'y a pas une sociologie du FN : elle n'est pas la même suivant les régions et, de surcroît, elle évolue au cours du temps. Evaluer le potentiel de l'électorat FN à l'aune de sa sociologie est donc à mon avis réducteur. Il faut au contraire le jauger à l’aune du contexte politique."
Contexte qui est aujourd’hui, aux dires de tous, plutôt favorable... De quoi prédire un raz-de-marée bleu Marine aux municipales de 2014 ? Joël Gombin veut rester prudent."Tout dépendra du degré de politisation de ces élections : les électeurs vont-ils les aborder comme un référendum sur la politique nationale ou voter en fonction du contexte local ?", s'interroge le chercheur.
Nicolas Lebourg, lui, prévoit une franche percée des candidats frontistes, non seulement aux municipales, mais aussi, si la conjoncture se maintient, à la prochaine présidentielle. "Sous Jospin, il y avait un excellent bilan socio-économique - des comptes publics assainis, un chômage en baisse -, et on sait où cela a mené. Les socialistes ont eu le 21 avril [2002, avec l'accession au second tour de Jean-Marie Le Pen, alors président du FN]. Alors là..."