POLITIQUE - le 28 Mars 2013
Quelle est l’origine de ce vocable qui a beaucoup fait parler ?
Tribune: "Salopard" dites-vous... Par Alain Ruscio, historien
Mots clés : françois delapierre, alain ruscio,
Décidément, ce «salopard» lâché du haut d’une tribune aura fait couler de l’encre… et de la salive. Et chacun a dû se précipiter sur son dictionnaire pour en trouver l’origine. Las ! Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, habituellement cité, s’est fourvoyé… et pas mal de journalistes avec lui.
S’il faut en croire le monument de l’identité intellectuelle française, « salopard » remonterait à 1911 et aurait (dis)qualifié les combattants d’Abd El Krim, lors de la guerre du Rif, au nord du Maroc.
Double erreur.
Pour la date, ce n’est pas dramatique. La plus ancienne utilisation retrouvée par nous (il y en a peut-être d’antérieures ?) remonte à la fin du XIXe siècle et est, certes, liée à l’histoire coloniale… mais pas marocaine. Rendant compte d’un ouvrage sur la vie et la mort (au Niger, alors français) d’un officier des tirailleurs sénégalais, Anthelme Orsat, son biographe, écrit : « Nous avançons jusqu’à environ cent mètres du baobab, quand, tout à coup, se dressent, à vingt pas de nous, une multitude de canons de fusil tenus chacun par un salopard » (le Figaro, 1er décembre 1898). Donc, 1898, pas 1911. Treize ans, tout de même.
Il est vrai que, dans les années qui suivirent, le mot fut abondamment utilisé lors de la conquête du Maroc, qui s’échelonna entre 1907 et 1912… mais la guerre contre Abd El Krim, citée par le Robert, commença treize années plus tard (décidément…), à partir de 1925 ! Là, c’est un peu plus gênant.
Le mot est si usuel qu’il apparaît spontanément sous la plume de dialoguistes de films à succès, comme la Bandera, de Julien Duvivier, film de 1935 dont l’action se passe au Maroc : « Les salopards te coupent la tête et donnent le reste à leurs mouquères. »
Dès lors, il sert également, dans les moments d’exacerbation des débats politiques en France, à désigner des adversaires : pour une partie de la droite, les partisans du Front populaire étaient des salopards en casquette, la presse vichyste taxait ainsi les gaullistes, etc.
Fallait-il redonner une nouvelle jeunesse à cette expression un peu désuète, ancrée dans l’histoire coloniale ? Sur cette question, le citoyen a ses réponses, l’historien n’essaie même pas d’en chercher.
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