Les intellectuels face au FN
Mercredi 27 Mars 2013 à 05:00
PHILIPPE PETIT
La gauche social-démocrate et la droite décomplexée échouent depuis des années dans ce combat-là. Le philosophe Bernard Stiegler relève le défi dans un livre à paraître le 27 mars, "Pharmacologie du Front national", tandis que cinq autres intellectuels donnent leur sentiment sur les méthodes à employer face à la montée de l'extrême droite.
Le président d'honneur du Front National Jean Marie Le Pen donne une conférence de presse à Haute Goulaine près de Nantes avant un déjeuner avec des militants - SALOM-GOMIS SEBASTIEN/SIPA
Un livre ? Une boîte à outils ? Un dépôt d'armes ? Tout cela à la fois. «Cet instrument a été conçu d'abord pour combattre la bêtise.» Le propos est inattendu, mais il n'est pas inhabituel chez le philosophe de la technique Bernard Stiegler, né en 1952, auteur à ce jour d'une vingtaine de livres, et directeur de l'Institut de recherche et d'innovation, sous les toits des immeubles de la rue Saint-Martin, face au centre Pompidou à Paris.
L'auteur de Passer à l'acte (2003), dans lequel il évoquait son passé de braqueur et ses années de prison de 1978 à 1983, n'est pas homme à se résigner devant l'obstacle. Il ne craint pas en effet de s'adresser directement aux électeurs du Front national et «de [se] donner les moyens de prendre soin» de leur anxiété dans son nouvel essai. Depuis le 21 avril 2002, Stiegler n'a eu de cesse d'interpeller les responsables politiques sur les dangers de la montée en puissance de nouveaux populismes un peu partout en Europe, et en particulier en France.
Il prend au sérieux «la souffrance» des électeurs du Front national, arguant que «ce dont ces électeurs souffrent, c'est ce dont nous souffrons - mais moins qu'eux, et parfois sans vouloir le savoir». Il rend aussi responsables les intellectuels - pas tous - de ne pas avoir été partie prenante de la guerre idéologique déclarée à la fin des années 70 par la révolution conservatrice. Il accuse également la social-démocratie d'être devenue le fourrier du populisme, en Italie comme en Grèce, aux Pays-Bas et, demain, si nous n'y prenons garde, en France.
L'auteur de Passer à l'acte (2003), dans lequel il évoquait son passé de braqueur et ses années de prison de 1978 à 1983, n'est pas homme à se résigner devant l'obstacle. Il ne craint pas en effet de s'adresser directement aux électeurs du Front national et «de [se] donner les moyens de prendre soin» de leur anxiété dans son nouvel essai. Depuis le 21 avril 2002, Stiegler n'a eu de cesse d'interpeller les responsables politiques sur les dangers de la montée en puissance de nouveaux populismes un peu partout en Europe, et en particulier en France.
Il prend au sérieux «la souffrance» des électeurs du Front national, arguant que «ce dont ces électeurs souffrent, c'est ce dont nous souffrons - mais moins qu'eux, et parfois sans vouloir le savoir». Il rend aussi responsables les intellectuels - pas tous - de ne pas avoir été partie prenante de la guerre idéologique déclarée à la fin des années 70 par la révolution conservatrice. Il accuse également la social-démocratie d'être devenue le fourrier du populisme, en Italie comme en Grèce, aux Pays-Bas et, demain, si nous n'y prenons garde, en France.
LES ALTERNATIVES EXISTENT
Sa leçon est ambitieuse et les solutions qu'il propose prennent des allures de refondation, par leur souci de repenser de fond en comble notre mode de vie, notre modèle industriel, notre système éducatif, le rapport entre les générations, mais encore les institutions européennes, et notre approche de la croissance. Nous avons demandé à cinq philosophes et sociologues ce qu'ils pensaient de ses analyses concernant le Front national. Ils nous ont répondu sans hésiter. Car, dans le paysage intellectuel, Stiegler n'est pas un penseur isolé. Il rassemble autour de lui scientifiques, informaticiens, psychoneurologues, artistes, acteurs, écrivains. C'est un «amateur», au sens noble de ce terme.
Le lecteur qui s'aventurera dans son livre sera à coup sûr surpris par la pluralité des sujets qui y sont abordés. Car Stiegler ne se contente pas de mettre en garde la classe politique contre sa propre incurie, les citoyens contre leur propre bêtise. «L'idéologie régnante depuis plusieurs décennies - dite ultralibérale ou néoconservatrice - aura précisément consisté à faire croire que l'on ne peut rien faire contre la bêtise, écrit-il, et que là comme ailleurs, there is no alternative.» Stiegler apporte la preuve du contraire.
Son programme repose pour l'essentiel sur ce qu'il nomme «une économie de transition», capable de dépasser le capitalisme consumériste, «devenu structurellement spéculatif et toxique». Il prône pour ce faire un plan commun d'investissements dont il détaille les priorités : le numérique, l'instauration d'une nouvelle puissance publique, la reconstruction de l'attention. Une révolution ? Un cri d'alarme en tout cas. «Mon livre, répète-t-il à l'envi, est un livre de combat.» Le FN, chez lui, est le symptôme de cette maladie de la civilisation dont il se veut le médecin. Car, lorsqu'une société souffre «d'une façon qu'elle ne parvient ni à expliquer ni à soigner, elle se tourne vers un bouc émissaire qu'elle se met à persécuter».
Le combat passe donc nécessairement par la recherche d'une alternative. Et c'est sur cet aspect thérapeutique que Stiegler marque des points. Il refait le monde de bas en haut. Il distingue avec brio la croissance qui se contente de calculer des taux de celle qui augmente notre puissance d'agir et opère sur de nouveaux indicateurs. La capacité de relever le défi de la crise en développant les capacités de tous, par exemple ! Sans jamais retomber dans le culte béat de la décroissance, incapable, selon lui, de s'affronter à un nouveau modèle industriel, il s'attelle avec ardeur à cette nouvelle critique de l'économie politique. Notre système détruit en effet par avance «le crédit» dont il a besoin, «qui n'est pas simplement de la liquidité, mais de la confiance», écrit-il.
Ses propositions permettront-elles à notre pays d'échapper à ses démons ? Stiegler a l'orgueil ou la faiblesse de le croire. On le consulte en haut lieu et il ne rechigne pas à l'être. Le sentiment d'urgence qui traverse son ouvrage n'est pas chez lui une pose, et en authentique amoureux de la jeunesse il pense que l'utopie mérite des résultats.
Pharmacologie du Front national, de Bernard Stiegler, suivi du Vocabulaire d'Ars Industrialis, de Victor Petit, Flammarion, 456 p., 23 €.
A paraître le 27 mars.
Le lecteur qui s'aventurera dans son livre sera à coup sûr surpris par la pluralité des sujets qui y sont abordés. Car Stiegler ne se contente pas de mettre en garde la classe politique contre sa propre incurie, les citoyens contre leur propre bêtise. «L'idéologie régnante depuis plusieurs décennies - dite ultralibérale ou néoconservatrice - aura précisément consisté à faire croire que l'on ne peut rien faire contre la bêtise, écrit-il, et que là comme ailleurs, there is no alternative.» Stiegler apporte la preuve du contraire.
Son programme repose pour l'essentiel sur ce qu'il nomme «une économie de transition», capable de dépasser le capitalisme consumériste, «devenu structurellement spéculatif et toxique». Il prône pour ce faire un plan commun d'investissements dont il détaille les priorités : le numérique, l'instauration d'une nouvelle puissance publique, la reconstruction de l'attention. Une révolution ? Un cri d'alarme en tout cas. «Mon livre, répète-t-il à l'envi, est un livre de combat.» Le FN, chez lui, est le symptôme de cette maladie de la civilisation dont il se veut le médecin. Car, lorsqu'une société souffre «d'une façon qu'elle ne parvient ni à expliquer ni à soigner, elle se tourne vers un bouc émissaire qu'elle se met à persécuter».
Le combat passe donc nécessairement par la recherche d'une alternative. Et c'est sur cet aspect thérapeutique que Stiegler marque des points. Il refait le monde de bas en haut. Il distingue avec brio la croissance qui se contente de calculer des taux de celle qui augmente notre puissance d'agir et opère sur de nouveaux indicateurs. La capacité de relever le défi de la crise en développant les capacités de tous, par exemple ! Sans jamais retomber dans le culte béat de la décroissance, incapable, selon lui, de s'affronter à un nouveau modèle industriel, il s'attelle avec ardeur à cette nouvelle critique de l'économie politique. Notre système détruit en effet par avance «le crédit» dont il a besoin, «qui n'est pas simplement de la liquidité, mais de la confiance», écrit-il.
Ses propositions permettront-elles à notre pays d'échapper à ses démons ? Stiegler a l'orgueil ou la faiblesse de le croire. On le consulte en haut lieu et il ne rechigne pas à l'être. Le sentiment d'urgence qui traverse son ouvrage n'est pas chez lui une pose, et en authentique amoureux de la jeunesse il pense que l'utopie mérite des résultats.
Pharmacologie du Front national, de Bernard Stiegler, suivi du Vocabulaire d'Ars Industrialis, de Victor Petit, Flammarion, 456 p., 23 €.
A paraître le 27 mars.
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