"Il manque une vision pour la France"
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Par Estelle Gross
Pour le politologue Stéphane Rozès, François Hollande n'a pas construit de récit cohérent pour expliquer ses décisions.
Mots-clés : français, interview
Qu'avez-vous pensez de l'interview de François Hollande?
- Sur la forme, et c'était plutôt réussi, François Hollande a essayé de montrer qu'il était maitre de la situation, en étant le seul maître à bord. Sur le format de l'émission, le ton, le fait qu'il n'ait cité aucun de ses ministres, tout juste a-t-il mentionné "le Premier ministre" sans dire son nom, marquait sa volonté de dire 'Je suis seul à la barre". C'est le premier message.
Pour le second, il a précisé et déminé un certain nombre de dossiers comme la taxe de 75%, la crèche Babyloup, les allocations familiales, mais il n'a pas fait de grande annonces. Il n'a pas voulu se lier les mains par un récit cohérent, notamment lors de la première partie de son intervention, quand il est revenu sur la boite à outils pour lutter contre le chômage, en énumérant des mesures à la Prévert sans que l'on voit vraiment une cohérence.
C'est une émission en mi-teinte. Il a parlé de choc de simplification sur l'appareil normatif français, mais lui ne se l'est pas appliqué au travers d'un récit clair. La croissance et l'emploi, ce ne sont pas des objectifs mais des dossiers économiques. Le cap du pays, c'est une vision pour la France, ce n'est pas un objectif de politique économique, fût-ce-t'il important.
Il manquait une vision pour la France selon vous ?
- Oui, il manquait une vision pour la France, de la place de la France dans l'Europe, et de l'Europe dans la mondialisation. A la fin, son discours était meilleur sur la question de la fierté, de la confiance mais il aurait dû le dire tout au début. Entre temps, on s'est perdu dans une juxtaposition de prises de position sans énonciation de principes. Il aura plus réussi sur la forme que sur le fond.
François Hollande est-il parvenu à rassurer les Français ?
- Je crois que ce ne sera pas le cas. C'est le verre à moitié vide à moitié plein. Sur la forme il aura fait preuve de plus de volontarisme. Lui semblait savoir où il allait, mais comme il ne l'a pas explicité auprès des Français, je crois que ça n'imprimera pas. Le sujet n'est pas qu'il soit populaire, ce serait étonnant qu'il le soit vu la situation du pays. Mais il n'a pas indiqué le but qui justifie les efforts demandés aux Français. Est-ce que c'est le redressement économique du pays? Est-ce que c'est la préservation du modèle social? Tout un tas d'ambiguïtés n'ont pas été levées. Le ton était vigoureux, mais la cohérence de l'action menée n'est pas claire.
Retraites, taxe à 75%, PMA… Le président de la République semble faire quelques renoncements… Quel impact peuvent-ils avoir ?
- Ce sont des détails pour les Français. Il n'a pas été élu sur un programme ou sur des promesses mais sur un projet. Il avait dit qu'on pouvait redresser la France sans renoncer à notre modèle social, il ne l'a pas redit. Il a dit au Bourget qu'il y avait un lien entre le redressement du pays et la réorientation européenne, il ne l'a pas explicité.
Les Français peuvent comprendre qu'éventuellement on puisse travailler plus longtemps, mais il faut leur dire pourquoi. Pour sauver le système par répartition ou parce qu'on vit plus longtemps, ou encore pour sécuriser les parcours professionnel… On a le sentiment qu'il parle plus en comptable ou en technicien qu'en économiste et en homme politique qui a une vision sur le type de société qu'il veut, au delà du court terme.
Que va-t-il rester de cette intervention télévisée ?
- Sa volonté d'assumer ses responsabilités, de montrer qu'il est seul à la barre. Mais, les passagers du bateau ne regardent pas la cabine de pilotage, ils regardent la direction du bateau. Ils peuvent comprendre qu'en cas de tempête il y ait des coups de barre, mais ils veulent savoir où on va. La croissance, le chômage ne sont pas des points d'arrivée, ne donnent pas une perspective.
Interview de Stéphane Rozès, politologue, président de CAP et enseignant à HEC et Sciences Po, par Estelle Gross - Le Nouvel Observateur (le 28 mars 2013)
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