MONDE - le 1 Mars 2013
Mali
De Bamako à Gao, le voyage de l’espoir en autocar
Des Maliens ayant fui Gao, dans le nord, arrivent à Bamako, en avril 2012
Bamako, Gao, envoyé spécial. Ceux qui ont fui la loi des islamistes tentent de rejoindre leurs foyers. Reportage à bord d’un bus vétuste.
Ce dimanche-là, à Bamako, c’est peut-être le jour des mariages. Mais pour plus d’une cinquantaine de Maliens réfugiés dans la capitale après avoir fui les islamistes, c’est surtout l’espoir de pouvoir rentrer chez eux. À la gare routière, sous un soleil de plomb, ils attendent sagement, l’œil fixé sur cet autocar qui semble avoir un million de kilomètres au compteur et qui doit tenir encore 1 200 kilomètres pour atteindre Gao, au nord. Il n’empêche, le chargement se poursuit, sans fin. Les soutes sont pleines ? Qu’à cela ne tienne, le toit peut encore accueillir des sacs et des cartons. C’est que tout le monde veut emporter des vêtements et surtout de la nourriture à ceux qui sont restés là-bas, souvent au péril de leur vie : l’ordre salafiste est effilé comme la lame d’un sabre. Un islam totalitaire qui n’a rien à voir avec celui pratiqué par des millions de musulmans à travers le monde et encore moins au Mali.
Lorsque le bus s’ébranle, ponctuel, un silence inhabituel y règne. Ce n’est pas tant la méfiance entre les passagers que les craintes d’un parcours dont personne ne sait vraiment s’il est sans danger. Ne dit-on pas que les islamistes ont miné les routes ? Les rumeurs ne distillent-elles pas les bruits les plus fous et notamment la présence de forces prêtes à réattaquer ? En vérité, Lafia, quarante et un ans, « née et ayant grandi à Gao », comme elle le dit avec fierté, n’en a cure. Sa sœur malade est morte et sa mère est toute seule : elle, qui a quitté sa maison en juin dernier, doit rentrer. De toute façon, « que ce soit le MNLA, le Mujao, Ansar Dine ou Aqmi, je ne fais pas la différence entre eux », assène-
t-elle. Entre deux secousses dues aux aléas d’une route défoncée qui agitent l’autobus comme un navire soulevé par une vague et retombant avec fracas, cette forte femme, borgne, se souvient de l’arrivée des islamistes et des nouvelles lois édictées. « Même les petites filles devaient porter le hijab et les vieilles n’avaient plus le droit de chiquer », s’emporte-t-elle. « Ils venaient dire aux femmes qui avaient des grosses fesses qu’elles ne devaient pas les bouger. En revanche, ils en profitaient pour nous toucher sous prétexte de vérifier que nous ne portions pas de ceintures de perles, une tradition, sous nos vêtements. »
Lors de l’arrêt aux check-points qui jalonnent le trajet, les conversations, qui ont pris le dessus sur la monotonie du voyage, cessent. L’uniforme et l’arme du soldat, qui monte inspecter et demande de façon aléatoire les papiers d’identité, inspirent la crainte. « Bonjour, ça va ? » lui demande-t-on. « Ça va bien, merci », répond-il selon un échange de politesse qui peut se multiplier. On repart. On reparle. La parole se libère. Yaya, infirmier, se souvient des subterfuges utilisés pour ravitailler les villages en médicaments alors que le Mujao accusait les hospitaliers d’aider le MNLA, autrefois son allié avant qu’ils ne se tirent dessus. Tous évoquent la résistance opposée. « Les jeunes se sont révoltés, ont enflammé des pneus en criant “Mali, Mali” », se souvient Lafia. « Lorsque le Mujao a cassé les télévisions dans la rue et a commencé à chicoter les femmes, ça a été trop », rappelle Mamadou Aboubacar, un enseignant. Arrivé à Sévaré, le bus est bloqué. L’armée interdit tout passage plus au nord, arguant de problèmes sécuritaires. Il faut passer la nuit dans la crasseuse gare routière. Les latrines annoncent la couleur : « Pise (sic) : 25 F ; Lave : 100 F ; Chie : 50 F ». Près de soixante-douze heures d’attente avant de repartir et rallier, enfin, Gao. Terminus, tout le monde descend !
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