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mardi 30 avril 2013

Hollande veut initier les jeunes à l'entreprise : l'école est instrumentalisée

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Hollande veut initier les jeunes à l'entreprise : l'école est instrumentalisée

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LE PLUS. François Hollande a annoncé qu'un programme sur l’entrepreneuriat sera bientôt prévu de la classe de sixième à celle de terminale. Une "première étape vers l'emploi et peut-être même vers la création d'une activité", a-t-il expliqué. Qu'en pensent les enseignants ? Voici la réaction de Marjorie Galy, professeur de sciences économiques et sociales et présidente de l'APSES.

Édité et parrainé par Hélène Decommer
Rentree scolaire au lycee, classes de terminale. Clamart, 03/09/2010 (DURAND FLORENCE/SIPA)
F. Hollande a annoncé la création d'un programme sur l’entrepreneuriat de la sixième à la terminale (DURAND/SIPA)

La demande d'enseignements relatifs à l'entreprise ou à l'entrepreneuriat est une vieille requête d'une partie du patronat, qui s'est constituée en lobby. En tant que groupe de pression, il apparaît normal qu'il agisse ainsi. Ce qui est plus problématique, c'est que le président de la République accède à cette demande, ou du moins y donne certains gages. Je considère cela comme une instrumentalisation de l'école.

Ceci dit, nous manquons encore de précisions quant aux objectifs poursuivis, il est donc difficile de se prononcer de manière formelle. Nous pouvons néanmoins émettre des hypothèses.

L'école n'a pas pour mission de promouvoir l'image d'un groupe social

1/ Si l'objectif est d'inciter davantage de jeunes à devenir chefs d'entreprise, nous buttons sur un problème économique majeur. En effet, le taux de chefs d'entreprises au sein de la population active est un marqueur de développement d'un pays. En France, comme dans la majorité des pays développés, il est d'environ 10%, alors qu'il est nettement plus fort dans les pays moins avancés. Vouloir plus de chefs d'entreprises nécessiterait un recul du développement économique.

Par ailleurs, on ne peut pas agir sur le taux d'entrepreneurs simplement en dispensant un nouvel enseignement à l'école. C'est justement méconnaître le fonctionnement de l’économie que de le croire.

2/ Si l'objectif est de valoriser et faire aimer les entrepreneurs comme l’a déclaré à ce propos ce mardi matin Thibault Lanxade (candidat à la présidence du Medef) sur France Inter, alors on se trouve face à un problème de laïcité, au sens large : l'école n'a pas pour mission de promouvoir l'image de tel ou tel groupe social.

Passer ½ journée en entreprise est déjà un parcours du combattant

Quel que soit l'objectif réellement poursuivi, je suis de toute façon dubitative sur la mise en œuvre. On parle de stages en entreprise, d'interventions d'acteurs économiques dans les classes, de visites d'entreprises, etc. Or de mon expérience de professeur de sciences économiques et sociales, voici comment cela se passe.

Il est extrêmement difficile de trouver une entreprise qui accepte de recevoir une demi-journée une classe de 35 élèves, parce cela trouble son activité ; les seules fois où cela aboutit, c'est grâce à l'appui d'un parent d'élève qui travaille dans cette entreprise. En outre, les élèves de troisième ont déjà beaucoup de mal à trouver un stage d'une semaine en entreprise ; là encore l'appui des parents ou des proches est souvent déterminant. Je vois donc mal comment on pourrait généraliser cette pratique à plusieurs niveaux de classe et de façon répétée chaque année. De la même manière, faire intervenir des acteurs économiques en classe me paraît tout bonnement matériellement infaisable, de la sixième à la terminale, pour toutes les classes, les besoins seraient immenses.

Plus largement, je pense qu'il faut s'interroger sur l'opportunité de multiplier les enseignements périphériques à l'école. Nous faisons déjà de la sécurité routière, de la sensibilisation à l'environnement, de la lutte contre l'alcoolisme… Ce sont des missions civiques, il est normal que l'école, vecteur principal de la formation des jeunes, y participe. Mais jusqu'où agrandir le cercle ? Il y a bien un moment où l'on doit s'arrêter. En l'occurrence, je trouve que la sensibilisation à l'entrepreneuriat commence à paraître très éloignée de nos missions premières.

De quel "esprit d'entreprise" est-il question ?

Oui, les jeunes ont un vrai besoin de connaissances relatives au monde du travail et aux différents métiers. Oui, ils sont angoissés – à juste titre – par le chômage et notre mission est de les aider. Mais pourquoi se focaliser sur l'entrepreneuriat et pas sur l'ensemble du champ professionnel ? Pourquoi ce métier plutôt qu'un autre ?

Et puis, que met-on derrière l'expression "esprit d'entreprise" ? Quand nous organisons une sortie scolaire et qu'on cherche avec les élèves le meilleur transporteur, quand on monte un projet humanitaire, quand les élèves s’impliquent dans les instances de leur lycée, c'est aussi de l'esprit d'entreprise. Bizarrement, je n'ai pas l'impression que c'est de celui-ci qu'il est question dans les annonces de François Hollande. On semble plutôt très tourné sur le seul secteur marchand et sur la mythification du "chef d'entreprise".


Propos recueillis par Hélène Decommer.

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