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samedi 27 avril 2013

Les apprentis sorciers de la finance

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SOCIAL-ECO -  le 25 Avril 2013
cactus les dessous chics

Les apprentis sorciers de la finance

Par Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon
                                 
Cactus. Chronique de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon.Dans le salon Opéra du Grand Hôtel Intercontinental de Paris, rue de Castiglione, dans le 9e arrondissement, le 11 octobre 2010, Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie et des Finances, assiste à un symposium organisé par Nyse Euronext, conglomérat de sociétés boursières, comprenant la Bourse de New York et celles de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne.
Son PDG, Duncan Niederauer, est un ancien haut cadre de la banque Goldman Sachs où il a contribué au développement du « trading à haute fréquence », des marchés financiers régis par des ordinateurs. Thomas Peterffy, un auteur d’algorithmes très élaborés, des programmes informatiques permettant de procéder à des achats, des ventes et des paris sur les marchés financiers à la vitesse de l’éclair, prononce le discours d’ouverture : « Les vingt dernières années ont connu l’émergence des ordinateurs, des communications électroniques, des marchés électroniques, des dark pools, des flash orders, des marchés multiples, des systèmes de négociation alternatifs. Le trading à haute fréquence, Mifid en Europe, Reg NMS aux États-Unis… et ce que nous avons aujourd’hui est un vrai bordel. »
Un silence effroyable envahit le beau salon Opéra. Mais il poursuit : « Pour le grand public, les marchés financiers ressemblent de plus en plus à un casino, sauf qu’un casino est plus transparent et plus simple à comprendre. Si le public en vient à penser que les marchés financiers sont une escroquerie, alors les entreprises et les entrepreneurs n’obtiendront plus les fonds dont ils ont besoin pour développer notre économie, créer des emplois et améliorer le niveau de vie. » C’est la fin du discours. Le silence continue à plomber l’atmosphère. Le gratin de la finance mondiale reprend son souffle. Puis des applaudissements nourris retentissent.
L’orateur n’avait fait que dire tout haut ce que tout le monde savait et pensait tout bas. Comme l’explique l’auteur anonyme de 6 (éditions Zones sensibles, 2013), à qui nous devons le récit de cette scène, c’est aujourd’hui près de 70 % des transactions qui sont opérées par des ordinateurs dont la puissance de calcul est infiniment plus forte que celle de n’importe quel cerveau humain. L’immaturité savante et aventureuse de la finance a été ce jour-là incompatible avec la solennité doctorale qui l’accompagne d’habitude.
Ces applaudissements n’ont été possibles que par la prise de conscience par les auditeurs qu’ils étaient tous, d’une façon ou d’une autre, impliqués dans cette évolution. Ces membres de la classe dominante ainsi réunis ont pu se laisser aller à la complicité, voire à la drôlerie d’un enfant qui dévoile avoir piqué des bonbons alors que tous les autres enfants en ont fait autant.
Les super ordinateurs de la finance ont désormais pour champ de bataille la planète entière. L’auteur de 6, ce petit ouvrage passionnant, envisage « le soulèvement des machines ». Les ordinateurs en viendraient à soumettre les humains à leur propre temporalité. Le libéralisme financier apparaît comme puéril. Il recrute par la fascination du pouvoir et d’un argent qui permet l’immaturité face à la violence dans les rapports sociaux qui s’enflamment du fait de ces dérives folles d’une finance qui, tel un gang, pille l’économie réelle et le travail de milliards d’êtres humains.
Dernier ouvrage paru :
l’Argent sans foi 
ni loi, Conversation avec Régis Meyran, Textuel, 2012.
Retrouvez les Dessous chics, la chronique des Pinçon-Charlot, chaque jeudi dans Cactus, le supplément grinçant de l'Humanité.


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