MONDE - le 27 Mars 2013
Un front anti-privatisations à Chypre, en riposte à la troïka
Le processus que veulent imposer l’UE, la BCE et le FMI risque fort d’être un gâchis financier et technique. Quasiment tout le secteur public de l’île est visé par ce pillage. Un mouvement citoyen de résistance organise une manifestation dès aujourd’hui.
Nicosie (Chypre), envoyé spécial. Première riposte. Le Mouvement citoyen anti-privatisations organise, aujourd’hui, une manifestation devant le palais présidentiel, à Nicosie. C’est là que loge Nicos Anastasiades, qui a négocié, lundi, un plan d’austérité avec l’Eurogroupe. «Sur le long terme, c’est la question des privatisations qui sera la plus importante», prévient Themos Demetriou, coordinateur du mouvement, qui réunit organisations citoyennes, politiques et syndicales.
Brader les entreprises publiques
En effet, dans l’accord qui porte sur la restructuration du système bancaire, les ministres de l’Économie de la zone euro, Pierre Moscovici pour la France, ont inclus l’exigence de privatisations. «Il faut davantage d’autonomie» Cela fait des mois que Bruxelles fait cette demande. Mais le communiste Dimitris Christofias, le prédécesseur d’Anastasiades, qui n’a été élu que le 24 février, a toujours refusé de brader les dix-sept entreprises semi-gouvernementales. Parmi lesquelles trois fleurons : l’Autorité chypriote de l’électricité (AHK), la compagnie de télécoms Cyta, et les ports. Lors de l’initiative de lancement du Mouvement, jeudi, le président du bureau des directeurs de l’AHK, Charalambos Tsouris, était perplexe sur la capacité des privatisations à renflouer les caisses. «Ces douze derniers mois, les entreprises publiques ont sauvé l’État de la faillite en achetant à deux reprises 250 millions d’euros de bons du Trésor. Des entreprises privées feraient-elles de même?» interroge-t-il. «On attend au plus 2 milliards d’euros des privatisations. Il ne faudrait que cinq ans pour que les entreprises concernées versent cette somme à l’État», explique Themos Demetriou.
Un monopole pour le privé
Ainsi, Cyta a versé 300 millions d’euros de dividendes à l’État entre 2008 et 2011. L’efficacité industrielle de l’opération interroge également. «Il faut davantage d’autonomie», reconnaît Venizelos Efthymiou, directeur des réseaux de la compagnie d’électricité, non membre du mouvement. «Actuellement, les décisions doivent passer devant le Parlement», déplore-t-il. Pour autant, les grandes centrales, au nombre de deux, doivent rester publiques. «Sinon, vu la taille du marché, on aura un duopole. Chypre peut très bien fonctionner avec une seule centrale, celle de Vasilikos», prévient-il. Si concurrence il doit y avoir, «c’est sur le plan technologique». Ce qui est déjà possible. Les panneaux solaires privés sont raccordés au réseau. Celui-ci est, «par nature, unique et doit donc rester public». Dans les télécoms, «l’autorité de la concurrence oblige Cyta à ne pas baisser ses prix, pour aider les concurrents à s’installer!» relève Andria Demetriou, du syndicat de gauche Peo. Themos Demetriou résume la situation: Chypre n’a que 900 000 habitants. «Y privatiser, c’est offrir un monopole au privé.»
Effacer le rôle social de l'Etat
Ces compagnies sont prisées du fait de leur localisation géographique. Cyta «transfère une grande partie du trafic téléphonique européen vers la Syrie, le Liban et l’Égypte», explique Christoforos Yiannakou, directeur des réseaux de la compagnie. En outre, cette dernière s’occupe d’une partie du réseau de fibre optique dans l’est de la Méditerranée, notamment en reliant l’Égypte – et partant, l’Afrique de l’Est – à l’Europe. «Vu leur poids, les compagnies privatisées auront un poids politique énorme», s’inquiète Christoforos Yiannakou, par ailleurs ancien dirigeant de Peo. « Si nous avions du capital privé national, ce serait imaginable. Mais là, ça nous livre aux multinationales », avertit-il. Les entreprises publiques chypriotes pourraient être transformées en centres de profit. «Nous souhaitons montrer l’importance économique et sociale des services publics», explique Themos Demetriou. Nombre de participants à l’initiative de jeudi citent l’exemple de la Bulgarie, où le mois dernier, le gouvernement de Boïko Borissov a démissionné, suite aux manifestations contre la hausse vertigineuse des prix de l’électricité. Derrière ces privatisations, l’Eurogroupe cherche à «effacer toute perception du rôle social de l’État», dénonce Nicos Trinkliniotis, sociologue, membre du mouvement. La troïka (Banque centrale européenne, Commission et Fonds monétaire international) est mandatée pour exiger des «réformes structurelles». «Les entreprises publiques ont un rôle crucial. Si l’on baisse les conditions de rémunération et de travail dans le secteur public, elles baisseront ensuite dans le privé», prévient l’universitaire. Privatiser est aussi un moyen d’organiser la réforme du marché du travail.
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