Le parler Mélenchon
On ne s'ennuie pas, on ne s'ennuie jamais avec Jean-Luc Mélenchon.
Il y a trop de médiocres qui le traitent avec condescendance et qui, de ce fait, amplifient chez lui une rage de parler, une fureur de convaincre. Pourtant, le discours politique insipide dominant aujourd'hui ferait bien de s'inspirer d'une aptitude à la parole et d'une densité du langage qui, quoi qu'on pense du fond, réveillent les citoyens assoupis à force de discours convenus.
Ces propos généralement lénifiants d'adhésion au pouvoir ou même d'opposition à celui-ci semblent compensés par de brutales et fortuites éructations à la Henri Guaino qui n'ont rien à voir avec l'échange démocratique et expriment seulement l'extrême nervosité ou perte de contrôle de soi de leur locuteur.
Ce qui explique l'attitude contradictoire observée la plupart du temps à l'égard de JLM et de son mode d'expression : à la fois reconnaissance de sa puissance tribunitienne mais méfiance et crainte d'une violence et d'une imprévisibilité dérangeantes, tient au fait que le leader du Front de Gauche ne se contente pas de répondre aux questions qui lui sont posées mais, dans le débat, au vif parfois du sujet, dans une empoignade apparemment désordonnée mais très stimulante - par exemple, entre Bernard Guetta et lui sur France Inter -, il formule des interrogations qui s'adressent aux journalistes et sont susceptibles de porter atteinte à la légitimité de principe qu'ils s'octroient. Les médias le questionnent mais il questionne les médias. Cela donne aux entretiens auxquels il est convié un tour singulier : l'eau tiède ne coulera pas et il y aura de la rudesse, de l'abrupt, voire de la grossièreté.
JLM, dont la culture n'a pas besoin d'être ostensible pour être perçue, sent bien toutefois quelle pourrait être l'extrémité choquante d'une volonté de dire à tout prix et qui ne s'encombrerait pas de trop de précautions. Des pulsions orales vindicatives détruisant peu à peu l'envie de débattre et d'en découdre chez le contradicteur. Une victoire par KO mais sans match. Aussi éprouve-t-il assez souvent le désir de théoriser ce qui serait sa méthode pour donner mauvaise conscience aux médias et tenter de constituer ses quelques outrances et maladresses en stratégie.
Il dénonce "les curés médiatiques qui disent comment on doit parler, de quoi on doit parler et à la fin vous êtes des tyrans" et, allant plus loin, il relève qu'il faudrait "s'indigner dans le langage de la bonne société, il faut dire prout prout, parler gentiment". Il ajoute - et c'est l'essentiel - que "le peuple en colère a besoin de dirigeants qui parlent dru et cru"(nouvelobs.com).
Dru sûrement, mais que signifie cru ? La difficulté centrale de toute parole qui a pour ambition de s'incarner intensément dans l'espace est de ne pas dépasser la frontière qui distingue l'authentique, le puissant, le "dru" du vulgaire, insultant et salement "cru". Ce n'est pas facile et rien n'est plus contraire à ce qu'attend et espère le peuple qu'un discours trop négligé et familier qui rabaisserait les citoyens aspirant à l'élévation ou qu'un propos apprêté et précieux créant une distance absurde et inutile entre la parole et son écoute.
Ce que JLM nomme le langage "prout prout" n'est au fond que le vide d'un propos dont l'existence n'est que sonore et qui ne répond pas au défi de la pensée et de la recherche de vérité. Au contraire, pour reprendre l'exemple d'Henri Guaino, quand l'ignorance se mêle à une exaltation et à une surenchère jouissant d'être offensantes et outrancières, on n'est plus dans le cru mais dans le saignant !
JLM échappe le plus souvent à ce risque et force est de reconnaître que celui du langage aseptisé ne le guette pas.
Récemment, sur la liberté d'expression, nous avons eu la confrontation courtoise mais sans complaisance entre Patrick Cohen et Frédéric Taddéï. Avec JLM, nous sommes contraints d'aborder non plus l'éthique du journalisme mais en quelque sorte sa position, voire sa posture. Il est frappant de remarquer qu'il a pris l'habitude de se situer à la fois au-dessus de la mêlée et dans celle-ci. Autrement dit, il se donne le droit de porter des coups mais refuse d'en recevoir. Il me semble qu'à l'avenir il devra arbitrer et donc exclure. Citoyen engagé s'il veut, mais plus journaliste dans l'éther à l'abri de toute atteinte du contradicteur. Questionneur objectif et serein, mais plus militant exprimant dans chaque interrogation son préjugé.
Dans ce registre, à C dans l'air récemment, avec Yves Calvi ce parfait "honnête homme", alors que j'étais en compagnie de trois journalistes pour débattre de la mise en examen de Nicolas Sarkozy et de ses suites, j'ai remarqué comme ils louvoyaient et tentaient de concilier l'information, l'analyse avec l'implication. Comme à mon sens ils tournaient autour de la réalité, j'ai sans doute forcé le trait et pris sur moi de les obliger à sortir de leur fausse neutralité. Certains téléspectateurs me l'ont reproché.
JLM aurait été présent, son parler aurait fait des ravages. Et j'aurais pu modérer le mien.
Je bats ma coulpe. Sans doute suis-je trop attentif à la forme et amoureux du langage et pas assez de ce qui leur donne sens : le contenu. Mais une parole qu'on écoute, c'est si beau, c'est si bon.
Merci JLM!
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