FLORANGE - Pour le gouvernement qui l'a annoncé vendredi 30 novembre, l'accord trouvé avec ArcelorMittal sur l'avenir du site de Florange est une "troisième voie" entre reprise et nationalisation. Un bon compromis, en quelque sorte. Les salariés du site, eux, se sentent trahis.
Ils ont des raisons de s'inquiéter : les engagements pris par ArcelorMittal, qui "a réaffirmé son ancrage industriel sur notre territoire", selon les mots de Jean-Marc Ayrault, sont au mieux très flous. Francetv info vous explique pourquoi ils ne résolvent en rien le problème.
Parce que les hauts-fourneaux sont toujours menacés
Vendredi soir, le Premier ministre a annoncé une série d'engagements du sidérurgiste. Le plus fort : l'investissement de 180 millions d'euros sur cinq ans dans la "filière froide", c'est-à-dire les activités de transformation de l'acier brut en produits à forte valeur ajoutée, comme les pièces d'acier destinées à l'automobile, qu'ArcelorMittal entend bien conserver.
Mais la décision de fermer les hauts-fourneaux, la "filière chaude" qui produit l'acier brut et que le sidérurgiste juge non rentable, n'est en rien désavouée. Tout juste est-elle repoussée : ArcelorMittal s'engage à maintenir en état les deux hauts-fourneaux du site,"pour permettre, selon le Premier ministre, la préparation d'un projet industriel d'avenir, Ulcos"
Pour les salariés, ce maintien du statu quo sur la filière chaude est une douche froide : l'option de la nationalisation leur avait laissé entrevoir la possibilité d'une reprise de l'activité sur cette partie du site. 
Parce que le projet Ulcos n'est pas le sauveur annoncé
"Il est clair et net que le pronostic vital de Florange est engagé", enrage Walter Broccoli, représentant FO sur le site d'ArcelorMittal à Florange. Pour le syndicaliste, interrogé par francetv info, le fameux projet Ulcos est désormais le seul espoir pour les plus de 600 salariés de la filière chaude.
De quoi s'agit-il ? Comme l'explique le site qui lui est dédié, Ulcos est un projet européen mené par un consortium d'entreprises, dont ArcelorMittal. Il est destiné à mettre au point un procédé de production d'acier à la fois plus propre et plus efficace que celui actuellement utilisé. La décision finale de la Commission européenne sur ce projet, qu'elle cofinance, doit être prise le 20 décembre. "Si Ulcos est débloqué, on est sauvés", veut croire Walter Broccoli.
Pourtant, rien n'est moins sûr. "Faire croire qu'Ulcos va sauver les hauts-fourneaux lorrains, c'est de la tromperie", déclare sans ambages Guy Dollé, ancien PDG d'Arcelor, aux Echos. En effet, le projet dont il est question pour Florange n'est qu'un pilote "qui n'a pas vocation à être pérennisé", explique Serge Graffart, ancien d'Arcelor et co-fondateur du Groupe de réflexion sur l'avenir de la métallurgie en France (GrameF). Une fois son efficacité démontrée, rien ne garantit qu'ArcelorMittal voudra l'exploiter à une échelle industrielle sur le site. 
Parce que les promesses d'investissement restent flous
Le cas des hauts-fourneaux n'est pas le seul point à laisser dubitatif les connaisseurs du dossier. S'agissant de la filière froide, une précision concernant l'engagement d'ArcelorMittal les a particulièrement intrigués : elle porte sur l'activité "emballage" (production de boîtes de conserves et de canettes notamment), considérée comme en danger, explique cet article du Républicain lorrain.
ArcelorMittal s'est engagé auprès de Jean-Marc Ayrault à la "perénniser". Mais aucun détail n'a été donnée sur la manière. Quelle proportion des 180 millions annoncés y serait éventuellement consacrée ? A Matignon comme chez ArcelorMittal, les services de presse ne fournissent à l'heure actuelle aucune explication sur la répartition de la cagnotte.
Les représentants syndicaux de l'usine ArcelorMittal de Florange, Walter Broccoli (FO, à gauche) et Edouard Martin (CFDT, au centre), le 30 novembre 2012 à Florange (Moselle).

Les représentants syndicaux de l'usine ArcelorMittal de Florange, Walter Broccoli (FO, à gauche) et Edouard Martin (CFDT, au centre), le 30 novembre 2012 à Florange (Moselle).

(JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)
Du côté des syndicats, on craint l'enfumage. Par exemple, une redirection provisoire d'une partie des commandes remplies par l'usine de Liège. Un artifice qui consisterait à"déshabiller Paul pour rhabiller Jacques", selon les mots de Walter Broccoli, sans procéder à la mise à niveau des installations. Certains menacent de ne pas se rendre à la réunion prévue mercredi avec le Premier ministre s'ils n'en savent pas plus d'ici là.
Parce que ce scenario en rappelle d'autres
S'ils sont aussi méfiants, c'est que ce scénario a un amer goût de déjà-vu. Les salariés de l'usine ArcelorMittal de Liège (Belgique) peuvent en parler : en octobre 2011, ArcelorMittal annonçait la fermeture des hauts-fourneaux du site, en même temps qu'un plan d'investissement de 138 millions sur la filière froide. 
Ce qui se passe actuellement à Florange "relève de la même méthode", analyse Serge Graffart, du GrameF. "Pour mieux faire passer la pilule de la fermeture des hauts-fourneaux, on annonce des investissements sur le froid." Investissements qui, dans le cas de Liège, n'ont toujours pas eu lieu : ArcelorMittal les a gelés mi-septembre faute d'accord avec les syndicats sur les modalités de fermeture de la filière chaude. Sans parler du cas de Gandrange, où l'Etat avait affiché un engagement sans faille en 2008 pour sauver l'usine, avant que ses promesses ne fassent long feu. 
Pour certains, la seule piste viable reste celle du mystérieux repreneur évoqué par Arnaud Montebourg. Celui-ci a désormais un nom, révélé par Le Nouvel Obs et confirmé à francetv info par une source proche du secteur : il s'agirait de Bernard Serin, ancien cadre d'Usinor, qui pourrait être allié au groupe russe Severstal. De quoi relancer le scénario alternatif défendu par le ministre du Redressement productif ? François Hollande a promis, lundi 3 décembre, que le gouvernement, "mobilisé" et"solidaire", utiliserait "tous les moyens du droit" pour sauver le site en cas de non-respect des engagements d'ArcelorMittal.