Un article du Monde en date du 2/12/2012
En Tunisie,
les émeutes de Siliana déstabilisent le gouvernement d’Ennahda
La colère de cette région rurale
évoque celle de Sidi Bouzid, berceau de la révolution anti-Ben Ali
Le président tunisien, Moncef Marzouki,
est intervenu à la télévision tunisienne,vendredisoir30novembre,après quatre
jours de violentes émeutes à Siliana –une ville située dans une région agricole
à 120kilomètres au sud-ouest de Tunis, où l’armée s’est déployée en fin de
journée pour réclamer la formation d’un gouvernement restreint de «
compétences ». «
Le problème majeur, a-t-il
justifié, est que les attentes [des populations] sont
très grandes face à un rendement insuffisant du gouvernement en dépit des efforts
fournis. »
«
Nous n’avons pas une seule Siliana, apoursuivile chefdel’Etat.
J’ai
peur que cela se reproduise dans plusieurs régions, et que cela menace l’avenir
de la révolution. » Vendredi,
en début de soirée, les heurts se sont poursuivis à Siliana entre les habitants
et la police, après une marche pacifique qui a rassemblé plusieurs milliers de
personnes sur la route menant, symboliquement, à Tunis. « Vers 16 heures,
les affrontements ont recommencé entre les jeunes qui ont eu des frères ou des
parents blessés les jours auparavant et la police», témoigne Ahmed Chaffaï,
secrétaire général adjoint du comité régional de l’Union générale tunisienne du
travail (UGTT), qui a recensé«80blessés » par gaz lacrymogènes.
Les manifestants, de leur côté,
ont lancé des cocktails Molotov, tandis que tous les commerces, ormis
les pharmacies et les
boulangeries, avaient baissé leurs rideaux.
La police n’a cependant plus
fait usage de tirs au fusil de chasse comme les jours précédents. Près de
300 personnes avaient alors été
blessées, essentiellement par des cartouches de chevrotine,et 17d’entre elles,
touchées au visage, avaient été évacuées vers un hôpital spécialisé en
ophtalmologie à Tunis.Le ministère de la santé avançait pour sa part, dans un
communiqué diffusé vendredi, le chiffre de 252 blessés, dont deux civils ayant
perdu l’usage d’un oeil. L’arrivée de l’armée dans la soisoirée a été accueillie par des exclamations
de joie de la population, sans que le ministère de l’intérieur paraisse au
courant de ce déploiement, ce qui traduit une certaine confusion au sommet de l’Etat.Une
grande nervosité aussi, chacun ayant en tête les événements de décembre 2010, orsqu’une
autre ville du centre de la Tunisie, Sidi Bouzid, s’était soulevée provoquant par contagion, après plusieurs jours d’émeutes,le
renversement,trois semaines plus tard, du régime de Zine El-Abidine Ben Ali.
«Le départ du gouverneur»
Les ressorts des émeutes actuelles ne sont
pas tellement différents: pauvreté, affrontements avec la police,contestation du
pouvoir.
Comme une bonne partie des régions du
centre de la Tunisie, les habitants de Siliana souffrent d’un manque de
développement persistant et d’importantes
difficultés économiques et sociales. A cela s’ajoute un conflit ouvert avec le gouverneur, Ahmed Ezzine Mahjoubi,
nommé il y a quelques
mois par le gouvernement dominé par les islamistes du parti Ennahda et accusé de mener
une politique partisane.
Par-dessus tout, la puissante centrale
syndicale UGTT, au cœur des évenements de décembre 2010, est entrée de plus en
plus ouvertement en conflit avec le gouvernement. En septembre,Ennahda et le
Congrès pour la République (CPR, le parti du président Marzouki) avaient
boycotté une initiative de dialogue lancée par le syndicat.
«Lepointessentiel,c’est
le départ du gouverneur», répète
M.Chaffaï.
Or le premier ministre, Hamadi Jebali,a
jusqu’ici opposé une fin de non-recevoir à cette revendication,
Par crainte de la contagion .En octobre, déjà,
sous la pression de la rue, le gouverneur de Sidi Bouzid avait dû quitter son
poste quelques mois à peine après sa nomination. Les déclarations, vendredi
soir,
du président tunisien, allié d’Ennahda, rejoignent
curieusement l’une des revendications de Béji Caïd Essebsi.A la tête du
principal parti d’opposition,Nida Tounés, il avait réclamé il y a peu la nominations
de «technocrates» à la tête des ministères régaliens,dans l’attente
des prochaines élections promises
il y a un an mais repoussées sine die. L’organisation
d’un scrutin avant l’été est désormais «vitale», a estimé, vendredi soir,M.Marzouki.
Par Isabelle Mandraud
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