SOCIAL-ECO - le 27 Mai 2013
«Un cri de douleur qui jaillit en moi comme un hymne à la vie»
Ce mardi, l'Humanité dresse le portrait d'une ville dans la crise, Vénisiseux.
Il y a trente ans, presque jour pour jour, sur le plateau des Minguettes, de l’autre côté de Vénissieux, des jeunes ont imaginé faire une «Marche pour l’Egalité». Au départ, il s’agissait, pour eux, de ne plus «se faire tirer comme des lapins», disaient-ils à l’époque. Voici le point de vue de Toumi Djaidja, président de l’association SOS Avenir Minguettes en 1983 et initiateur, à l’époque, de la Marche pour l’Egalité.
Vénissieux, la « banlieue rouge » pas seulement par sa couleur politique mais parce que résistante depuis toujours.
Le FTP-MOI dont les détachements « carmagnole » et « liberté » de Vénissieux furent les premiers à se lancer dans la lutte armée, occupèrent jusqu’à la libération une place déterminante dans le combat contre l’occupant. Il est important pour moi de rendre hommage à ce mouvement, symbole de l’exceptionnelle fraternité entre français et immigrés.
Il est à noter également que les premières grèves avec occupation d’usine ont lieu chez Berliet à Vénissieux en 1936. Toute proportion gardée, il était évident qu’émerge depuis notre ville cette révolte d’une expression nouvelle. En dignes héritiers de cette tradition « révolutionnaire » nous ne pouvions échapper à notre destin. Vénissieux, la belle, la rebelle s’est soulevée pour que liberté, égalité, fraternité soit une réalité dans notre pays.
« Sur ce plateau, les paysans n’ont jamais pu y tenir les vaches, et maintenant, ils veulent y mettre des gens ! » (réaction d’une ouvrière agricole en voyant se monter les premières grues sur le plateau des Minguettes). Dans un climat de tension et de violence qui atteint son paroxysme à l’été 1983, c’est « l’été meurtrier », nous vivons notre première expérience dans le combat non-violent, qui n’est pas une particularité des français des minorités, et entamons, ainsi, une grève de la faim le 28 mars de cette même année, afin de faire entendre notre voix.
« Nous espérons que l’opinion et les pouvoirs publics comprendront que la violence n’est pas de notre côté. » Extrait de la lettre que nous avions adressée aux responsables politiques de l’époque.
C’est alors qu’un évènement majeur va me bouleverser. Une mère m’interpelle. Son fils est mort tué par balle à Lyon. Walid avait mon âge, 18 ans. Comment rester indifférent face à cette mère meurtrie? Sa peine indéniablement devient mienne. C’est un cri de douleur qui jaillit en moi, en réalité comme un hymne à la vie. Je prends alors toute la mesure de la situation, la vie doit triompher. Nous créons dans ce même mois, l’association « SOS avenir Minguettes » que je préside, dans l’espoir d’établir le dialogue. Nous formulons une série de revendications qui peuvent paraître banales aujourd’hui mais qui à l’époque relevaient du simple droit à la vie.
En juin 1983, portant assistance à un adolescent qui est attaqué par un chien de la police, le drame survient. Alors que je suis déjà engagé dans le combat, je subis dans ma chair l’injustice. Je reçois une balle à l’abdomen, s’en suit un mois d’hospitalisation. A mon réveil, je fais part de ma volonté de faire une marche « à la « Gandhi » pour pousser ce cri de vie qui retentira à Paris le 3 décembre suivant. En réalité, le film de Gandhi ne fait que nous conforter dans notre détermination à mener ce combat dans la non-violence puisque trois mois auparavant notre action est empreinte de cet esprit, nul besoin de le souligner.
Trois décennies ont passé, je porte un regard mesuré. Il ne s’agit pas de dénoncer mais de trouver les mots justes face aux maux. Quand on aime son pays, on a des ambitions pour lui. On a à cœur qu’il soit juste et équitable pour que chacun y trouve sa place. Malheureusement, les banlieues sont toujours des zones de relégation. Les émeutes de 2005 qui ont embrasé certaines banlieues de France sont la preuve d'un malaise persistant, et si la politique de la ville n’a pas disparu c’est encore bel et bien une preuve que des difficultés subsistent. La France n’a pas réglé le problème des banlieues même s’il y a plus de visibilité dans l’espace publique. Oui la confrontation est moins violente et les inégalités moins apparentes mais les problèmes et les thématiques demeurent. Le chômage grimpe, alors qu’à l’échelle nationale il est à 10,2%, il faut doubler voire tripler ce chiffre en banlieue.
Malgré ce constat, il y a un certain nombre de personnes au destin individuel qui vivent dans les banlieues et réussissent. Elles accèdent à l’université, font des études supérieures, d’autres managent des associations et ont la maîtrise des dossiers. On peut parler d’une classe émergente. En ce sens, je tiens à saluer la commune de Vénissieux, qui a accentué ses efforts pour le quotidien des ses administrés et a permis l’arrivée du métro et, même aux Minguettes, l’arrivée du tramway.
Je souhaite que cette année commémorative ne soit pas une année de bilan ou en tout cas, si elle l’est, qu’elle soit aussi et surtout une année de prise de conscience réelle et d’une réflexion porteuse de solutions. Il en va de la responsabilité de chacun. Instrumentaliser est contre-productif. Je souhaite que les débats se fassent dans un esprit pacifique comme le fut notre marche. Il est important pour moi que la jeune génération s’empare du combat de façon pacifiée et non passionnée afin de créer de la cohésion.
Faisons des défis qui se présentent à nous aujourd’hui, des opportunités.
Même si la tâche reste immense, si la « Marche pour l’Egalité » fut une locomotive, faisons de sa commémoration le carburant afin que jamais ne cesse le combat.
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