Affaire Tapie : «Il fallait évidemment le feu vert de l’Elysée pour l’arbitrage»
(Mis à jour: )
François Bayrou en avril 2012. (Photo Reuters)
INTERVIEW Pour François Bayrou, patron du Modem, l’Etat doit se
porter partie civile dans l'affaire qui a permis à l'homme d'affaire d'obtenir
de l'argent face au Crédit Lyonnais.
Par NATHALIE RAULIN
Pour le président du
Modem, François Bayrou, l’Etat a «le devoir de déposer un recours contre
l’arbitrage» rendu en
faveur de Tapie.
Pensez-vous que Nicolas Sarkozy a facilité l’issue de
l’arbitrage qui a conduit le CDR (le Consortium de réalisation, l'organisme
dépendant de l'Etat français chargé de solder les vieilles affaires de
l'ex-banque publique Crédit Lyonnais) à verser 403 millions d’euros à
Bernard Tapie ?
Sous la Ve République,
en particulier entre 2007 et 2012, il n’est pas imaginable qu’une affaire de
cet ordre soit traitée sans approbation de l’Elysée. On demande un tel accord
pour la nomination d’un recteur ou d’un sous-préfet ! Alors pour
400 millions, dans un tel climat de contestation, il faut évidemment le
feu vert de l’Elysée ! Il faut que l’Elysée approuve l’ensemble du scénario.
Cela ne fait aucun doute.
La présidence peut-elle avoir approuvé la procédure mais sans interférer
dans l’arbitrage ?
Je n’en sais rien. Que disent les juges d’instruction ? Primo,
la qualification «d’escroquerie» définit qu’il y a eu détournement d’argent
sans cause fondée, et secundo que cette dérive est le fait d’une bande
organisée. Il y a donc une organisation qui a décidé et mis en scène cette
manœuvre. Bien entendu, cette chaîne de décisions exigeait la pleine
implication des responsables politiques.
Néanmoins, après son audition devant la Cour de justice de la
République, Christine Lagarde a été placée sous le statut de témoin assisté
mais pas mise en examen…
C’est en effet le
cas à ce stade. Mais l’instruction est toujours en cours. J’ai été frappé que Mme Lagarde
déclare que si elle avait eu les informations dont elle dispose aujourd’hui,
elle n’aurait pas pris cette décision. C’est une déclaration très importante.
Et les Français ont le droit de savoir de quelles informations sensibles il
s’agit. Enfin, si la qualification d’escroquerie est confirmée, les magistrats
chercheront qui en sont les responsables. Je suis de ceux qui se demandent qui
sont les responsables et quel a été leur mobile.
Vous avez toujours contesté la légalité de cette procédure d’arbitrage…
Oui. En 2010, j’ai
attaqué Bercy en justice pour deux raisons : d’abord pour avoir utilisé cette
procédure, illégale selon moi, car le CDR n’est qu’une devanture de l’Etat. Or
l’arbitrage est interdit à l’Etat. C’est tellement vrai que c’est l’Etat qui
aujourd’hui veut se porter partie civile. Cette illégalité est à ce point
établie que dans les semaines qui ont précédé la présidentielle de 2007, il y a
une tentative de rendre légale la procédure d’arbitrage pour l’Etat et les
collectivités publiques, que le Conseil constitutionnel a cassée. La deuxième
raison portait sur le refus de Mme Lagarde de contester
l’arbitrage final. Christine Lagarde avait en effet donné instruction
d’empêcher tout recours. Nous avons été déboutés par le tribunal administratif,
mais il apparaît aujourd’hui évident que notre recours était pleinement fondé.
Que doit faire le gouvernement ?
Le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, a le devoir de se
porter partie civile au nom de l’Etat et de préparer un recours contre la
décision d’arbitrage. Le motif de la mise en examen du juge arbitre Pierre
Estoup, «escroquerie en bande organisée», laisse supposer qu’il y a eu fraude.
Or en droit, s’il y a eu fraude, l’arbitrage est nul. Logiquement, l’Etat et la
justice doivent alors exiger le remboursement des sommes détournées.
Cette affaire ne risque-t-elle pas d’alimenter la défiance des
Français envers les politiques ?
La faute, c’est de commettre des actes frauduleux, pas de les
dénoncer. Heureusement, une justice indépendante, des juges qui peuvent
travailler, cela change tout. C’est ça, la démocratie. J’espère que ce
rebondissement va renforcer la détermination des citoyens à bâtir une
démocratie où de telles dérives ne seront plus possibles. C’est avec cet espoir
que les républicains déterminés, dont je suis, militent par exemple pour un
Parlement de plein exercice et une vraie séparation des pouvoirs.
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