SOCIAL-ECO - le 3 Mai 2013
disparition
Viviane Forrester. Une plume insoumise contre les mots menteurs
La romancière et essayiste, auteur de l’Horreur économique, est morte jeudi, à quatre-vingt-sept ans. Elle pratiquait
la résistance comme une « forme d’optimisme ».
« La rébellion ? Le sel de la terre, l’amorce de l’histoire, le sens premier de la littérature. » Viviane Forrester qui vient de s’éteindre à quatre-vingt-sept ans, se proclamait « rebelle » par « respect ». Elle en avait hissé très haut l’oriflamme en publiant, en août 1996, un véritable best-seller de l’antilibéralisme, l’Horreur économique, vendu à des millions d’exemplaires dans le monde. La romancière, essayiste lorsqu’elle évoquait Van Gogh ou l’enterrement dans les blés et Virginia Woolf, s’aventurait dans une sombre imprécation anticapitaliste, dans un tableau prophétique d’un monde où on licencie pour faire grimper les cours boursiers. Cette exploration s’était placée encore et toujours sous le signe de l’écriture. N’avait-elle pas emprunté son titre cinglant à Arthur Rimbaud : « Certains soirs, par exemple… retiré de nos horreurs économiques… Il frissonne au passage des chasses et des hordes » (Illuminations) ? Elle était attachée au dialogue du verbe et de l’indignation, jugeant que « nous devrions tous être des dissidents, insoumis d’abord à la langue telle qu’elle nous est assignée dès l’enfance, receleuse de mensonges, certes, mais surtout inapte à capter la réalité. Travail d’écrivain ! ». Cette dernière injonction était aussi son programme, à elle qui ne supportait pas qu’on puisse maquiller les « plans de licenciements » en « plans sociaux ». Sans doute planait aussi le souvenir de sa mère qui, un jour, jeta au feu les Chants de Maldoror, de Lautréamont, en lui lançant : « Tu seras toujours celle qui lit des ignominies. »
« Une forme d’optimisme »
Face à cet ultralibéralisme qui cherche « simplement à faire du profit sans obstacles », Viviane Forrester pratiquait la résistance comme « une forme d’optimisme », un réveil salutaire face à une puissance hégémonique. Pour qui n’a pas entendu l’écho répété de ce livre troubler le règne de la pensée unique, il est sans doute difficile d’en apprécier la portée d’alors. Il fut pour beaucoup dans la montée de l’altermondialisme, dans la fondation d’Attac, dont l’écrivaine fut, jusqu’au bout, une adhérente, et suscita, en réaction, des charges furieuses des tenants du système. Olivier Dassault, éternel héritier de l’empire d’armements, la dénonça comme la « pythonisse de notre futur économique », « au mépris du principe élémentaire de réalité ». Emmanuel Chain, promoteur télévisuel d’un capitalisme sans complexe, décréta : « Vous entretenez des peurs en maniant des concepts qui vous dépassent. » Ce bon Laurent Joffrin, dans le Nouvel Observateur, lui reconnaissant des qualités de cœur (c’est féminin, bien sûr), lui reprocha « une pensée si courte » (comme il se doit) avant de lancer l’anathème : « Mais appeler à la révolte en négligeant les réalités de l’économie, comme elle le fait, c’est envoyer les représentants des pauvres au casse-pipe. » Valeurs actuelles, à l’occasion de la publication d’Une étrange dictature, la dépeignit comme la « Cassandre de l’horreur économique » et comme « Marie-Chantal au pays du profit ». La peur du rouge a toujours fait charger les bêtes à cornes. À ce réflexe s’ajoutait sans doute la sensation d’une trahison. Viviane Forrester, née Dreyfus, n’était-elle pas la fille d’un riche armateur, logé avenue Foch ?
Dès lors, Viviane Forrester renonça au confort des salons littéraires bien élevés et ferrailla contre les forums de Davos, les indulgences pour Maurice Papon, la culpabilité des puissances occidentales dans le drame israélo-palestinien, participa à des débats dans des dizaines de villes, y rencontrant un mot qu’elle n’avait pas employé dans son livre « et qui est très beau, c’est le mot résistance ». À l’heure où elle disparaît, toute sa trajectoire mérite d’être découverte. Celle de l’enfant obligée de fuir les nazis en Espagne et qui, depuis, ne cesse d’espérer « un monde en éveil ». La romancière précieuse, jurée du Femina, récompensée par plusieurs prix littéraires prestigieux. Et l’insoumise, qui « hait l’obéissance ».
- Les grands entretiens de l'Humanité avec Viviane Forrester
- Entretien avec Arnaud Spire en 1996 à la sortie de son essai l’Horreur économique
- Autre excellent entretien réalisé en 2000 à l'occasion de la sortie de l'Étrange Dictature, "Résister est une forme d'optimisme".
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