Hollande est-il cuit ?
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Hollande a gagné par sa prudence, son calme, sa froideur de joueur d'échecs. Mais, en temps de crise aiguë, la prudence est un handicap.
Mots-clés : Economie, CROISSANCE, austérité, Reformes, rigueur, Angela Merkel
Les grands succès mènent souvent aux grands échecs : ils ont les mêmes causes. Valéry Giscard d'Estaing dominait par son intelligence. Son intelligence a fini par le couper du peuple. Nicolas Sarkozy était arrivé à l'Elysée grâce à ses transgressions. Ses transgressions ont empêché sa réélection. François Mitterrand s'est hissé au pinacle à force d'habileté. L'habileté s'est changée en cynisme, menant au désastre de 1993.
Le peuple a besoin de rêves
Ainsi pour François Hollande. Il a gagné par sa prudence, son calme, sa froideur de joueur d'échecs aux combinaisons supérieures. Mais, en temps de crise aiguë, la prudence est un handicap. Elle vous donne le pouvoir mais paralyse son exercice. Un an après son élection, le président est victime de cette règle implacable. Après une campagne sans faute, ou presque, il a appliqué à l'Elysée la méthode qui l'y avait conduit. Un programme calibré, un discours d'apaisement, un refus de dramatiser, un plan rationnel qui se déroule par étapes, sans heurts ni surprises.
Mais le peuple a aussi besoin de rêves. Ceux-ci ont fait cruellement défaut. Les premiers pas marquent toujours les esprits. Ceux de François Hollande, trop prudents, trop raisonnables, ont laissé l'image de l'hésitation. Alors qu'il eût fallu la détermination d'un Mendès ou le lyrisme d'un Mitterrand pour réussir une entrée conforme à la gravité de la situation. Et, comme l'automne fut celui des déconvenues économiques, des plans sociaux cruels et des couacs répétés, la sanction fut abrupte.
Hollande est tombé dans un piège
Il y a une injustice dans cette infortune. Le "Hollande bashing" est d'abord une rhétorique. Ce président prétendument timoré a fait les choix les plus difficiles pour un président de gauche : celui des impôts, du redressement financier, du compromis avec les marchés, de l'Europe incommode. Il a pris des mesures que la droite n'avait pas osé envisager pendant dix ans. Il a imposé aux syndicats et au patronat un accord que l'on disait impossible. Il a lancé l'opération malienne en une heure. Et on dit que rien ne se décide... Au contraire, ce sont ces décisions par nature impopulaires, et non leur absence, qui ont conduit à l'impopularité.
Est-ce une surprise ? Une reprise économique à la fin de 2013 eût justifié ce pari difficile. Mais l'économie déçoit les attentes. Hollande le réaliste est tombé dans un piège : celui de l'austérité imposée à tout un continent par les gouvernements conservateurs. Il avait dit la vérité pendant sa campagne. Il lui fallait, pour réussir, une relance européenne, un tournant dans la politique de ses partenaires.
Ce tournant n'a pas eu lieu. Comme prévu, comme écrit maintes fois, le cercle vicieux de l'austérité partout appliquée a jeté l'Europe dans l'ornière de la récession et reculé d'autant le moment où les comptes s'équilibreront. C'est seulement aujourd'hui que les gouvernements du continent, de gauche et de droite, réalisent qu'ils ont joué non avec le feu mais avec la glace de la déflation. Partout s'élèvent des voix pour dégeler l'activité. Il est temps... Plus de vingt millions de chômeurs paient le prix de cet aveuglement.
La seule chance d'Hollande
Le credo de l'austérité recule en Europe. La Banque centrale avait, la première, abjuré ses dogmes. Plusieurs gouvernements ont suivi. A cet égard, contrairement à ce qu'on entend partout, le débat avec l'Allemagne, s'il respecte les règles, est légitime. Excédentaire, la République fédérale pourrait fort bien relancer son économie, entraînant derrière elle ses partenaires. Au contraire sa rigueur interne plombe les autres économies. On ne lui demande pas d'être altruiste. Seulement de changer d'égoïsme... Une politique différente sur le continent : c'est la seule chance de Hollande.
Si les autorités monétaires relâchent leur étreinte, si les pays excédentaires favorisent une plus grande activité, si les fonds européens sont débloqués pour l'investissement, l'expansion peut reprendre - timidement - au début de 2014, comme elle l'a déjà fait aux Etats-Unis ou au Japon. Encore faut-il être en mesure de saisir cette chance. L'appareil industriel français est à l'agonie, miné par dix ans d'atermoiements. Les déséquilibres structurels persistent, dans les comptes sociaux comme dans la gestion de l'Etat. Dans tous ces domaines, les réformes sont urgentes.
Pour jouer cette carte - la seule qui reste -, il y faudra une constance redoublée. Un nouveau gouvernement avant l'été, qui soit cette fois une équipe de combat, un élargissement au centre avec François Bayrou, sinon dans le dispositif, du moins pas très loin, un programme de mesures indispensables, qui réforme l'Etat, instaure enfin le non-cumul des mandats, rééquilibre les retraites, favorise l'investissement, mais protège mieux, aussi, les plus défavorisés, change la formation professionnelle pour mieux aider les chômeurs, donne de nouveaux droits aux salariés.
La France donne parfois le sentiment qu'elle se résigne à sortir lentement de l'Histoire, entre déclin industriel, atonie entrepreneuriale, paralysie du système politique. Une social-démocratie partout sur la défensive ne saurait servir de seul étendard. Ceux qui aiment leur pays attendent une République du sursaut.
Laurent Joffrin
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