A Paris, le 1er-Mai mobilise peu "les gens pris dans leurs soucis"
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Par Aline Leclerc
Aucune odeur de merguez dans les couloirs du métro : ce n'était déjà pas bon signe. En surface, loin de la marée humaine qui l'avait envahie il y a un an, la place de la Bastille est aux trois quarts vide. Et si on est bien serré au début de la rue du Faubourg-Saint-Antoine avant le départ du cortège, quand il s'ébranle, on constate vite que ni le nombre record de chômeurs (3,2 millions en catégorie A) ni l'impopularité historique du président de la République ne semblent avoir mobilisé les Franciliens en ce 1er-Mai. Selon le ministère de l'intérieur, ils n'étaient ainsi que 16 300 manifestants à Paris, 97 300 en France – 160 000 en tout selon la CGT.
La faute aux vacances scolaires "qui tombent mal", disent les uns. Aux "syndicats qui ne se réunissent pas", déplorent beaucoup d'autres. En désaccord sur l'accord national interprofessionnel (ANI) sur l'emploi (signé par la CFDT, la CFTC et la CGC, mais ni par la CGT ni par FO), chacun avait en effet choisi de défiler de son côté, mercredi. Seules la CGT, la FSU et Solidaires manifestaient dans l'après-midi à Paris.
"On assiste à une véritable casse des droits sociaux. Face à ça il faudrait un front unique, de toutes les organisations, argumentant sur des points précis", estime François, 75 ans, dessinateur à la retraite. "C'est vraiment dommage cette division. Je me rappelle de manifestations où la place de la Bastille était 'sur-remplie', il y avait du monde partout, regrette Vanessa, 24 ans, étudiante en master de sociologie. Le contexte politique aurait dû faire venir les gens, mais je vois peu de salariés."
"DE L'ARGENT, IL Y EN A DANS LES CAISSES DE PSA"
Malgré les nombreux plans sociaux qui touchent la région, peu d'entreprises sont en effet représentées. Entre les ballons et fanions officiels des centrales syndicales d'Ile-de-France, les banderoles des comités de défense des sans-papiers et, en queue de cortège, celles des Tamouls, du PKK, des opposants iraniens ou des cercles bolivariens manifestant leur soutien au successeur d'Hugo Chavez, seule une importante délégation des salariés PSA dont l'usine doit fermerà Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) rappelait dans la manifestation la violence des vagues de licenciements en cours.
Scandant "La force des travailleurs, c'est la grève" ou "De l'argent, il y en a dans les caisses de PSA", ils ont défilé sous des applaudissements nourris et chaleureux de la foule, faisant circuler des caisses de solidarité avant d'entamerleur quatrième mois de grève.
"En même temps, les gens sont pris dans leurs soucis. S'ils sont sur le point de perdre leur emploi, ils finissent peut-être par se résigner", avance Vanessa, l'étudiante, elle-même inquiète du manque de perspectives pour les jeunes qui vont entrer dans la vie active. Quelques mètres derrière elle, Marie-Catherine, 52 ans, secrétaire, confirme que "ce n'est pas facile tous les jours" d'élever seule sa fille même avec ses 2 500 euros de salaire : "Les fins de mois sont difficiles ! Je pense qu'il faut pousser pour que le gouvernement aille dans le bon sens, mais je comprends que d'autres soient démobilisés."
"MOTIVER LES GENS, ÇA DEMANDE DU TRAVAIL ET DU TEMPS !"
Pour Rémy, salarié chez le vendeur de produits culturels Gibert Joseph et militant CGT, le problème ne vient pas de la désunion du front syndical, mais du manque de combativité des centrales ces dernières semaines contre l'accord sur l'emploi."L'ANI va permettre à l'employeur d'imposer de plus en plus de choses aux salariés. S'il était déjà en place, nos camarades en lutte chez Virgin n'auraient déjà plus rien à faire valoir ! Alors je ne comprends pas que notre organisation n'ait appelé à manifester que la veille de la signature, dit-il, sévère. On aurait dûcommencer à se mobiliser beaucoup plus en amont !"
Fin 2012, Gibert Joseph a fermé un magasin à Beauvais et des restructurations sont en cours en province. "La situation est tendue", affirme Rémy. Mais, selon le jeune homme, cela se traduit par une véritable "prise de conscience" des salariés: "Même ceux qui se tenaient à l'écart se renseignent ! Mais pour avoir du monde dans la rue, il faut qu'on aille les chercher et qu'on leur explique. Motiver les gens, ça demande du travail et du temps !"
Auteur et scénariste, Thierry, 47 ans, évoque la contagion de l"atonie générale"."Je crois que les gens sont très circonspects devant l'absence de décision à la tête de l'Etat. On n'attendait pas grand-chose de lui, mais Hollande réussit quand même à nous décevoir. Il avait annoncé de grandes mesures contre la finance, son 'ennemi'. Mais on ne voit rien de concret, dit-il, résumant ainsi l'état d'esprit des manifestants à l'égard du chef de l'Etat. Les gens sont lassés, donc plus difficiles à mobiliser. Mais peut-être répondront-ils à l'appel du Front de gauche, le 5 mai ?"
Aline Leclerc
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