Penser contre nous-mêmes
Mardi 2 Avril 2013 à 05:00 |
MAURICE SZAFRAN
La politique est faite aussi de symboles. Comme le sparadrap du capitaine Haddock, lesdits symboles collent à la peau, parfois à tout jamais. Ainsi, le fameux 75 % de François Hollande devant taxer la part des revenus supérieure à 1 million d'euros annuel. Quand le futur président émit cette idée, la plupart des observateurs de la campagne présidentielle étaient ébaubis de ce coup tactique de génie. Une façon de coincer Jean-Luc Mélenchon alors au zénith de sa popularité ; une réponse à la demande de justice sociale exprimée par des millions de Français de sondage en sondage, sans répit ni lassitude. Bien joué, Hollande... C'était le credo. Hormis le Figaro qui, dès le premier jour, vitupéra les 75 %, jouant ainsi son rôle de défenseur des plus riches. Ce que nul ne pouvait reprocher au grand quotidien conservateur.
A cette époque - il y a plus d'un an déjà -, je veux en convenir ici, Marianne avait manqué de courage. Nous nous étions rangés mécaniquement parmi les tenants de la pensée (de gauche) convenable, celle qui trouvait toutes vertus de justice, d'égalité et d'exemplarité aux 75 %. C'était trop beau. C'était trop simple. Nous avons eu tort. Nous aurions dû avoir le courage de penser contre nous-mêmes, contre nos réflexes, contre nos idées convenues. Il aurait été indispensable que nous ne nous laissions pas emporter par une réaction aussi primaire que contre-productive.
Car le projet, dès le premier jour, était mal conçu, mal pensé, mal ajusté. Il ne fait aucun doute dans notre esprit que les «hyperriches» doivent être «hyperfiscalisés» et qu'il faut mettre fin à des revenus obscènes qui, en pleine crise, donnent le sentiment de ne plus vivre dans une société de semblables. Mais il est indispensable de trouver les formules efficaces, de les expliquer, de les pédagogiser, et non pas seulement de faire un «coup» qui, in fine, s'est retourné en faveur de ces «hyperriches» qu'une partie de l'opinion publique (un comble !) a fini par prendre en pitié - immense défaite de communication du gouvernement. Plutôt qu'approuver les yeux fermés cette annonce des 75 % pour répondre à ceux qui s'y opposaient par simple réflexe de classe, nous aurions dû dénoncer un gadget impossible et réclamer la vraie réforme fiscale d'ensemble à laquelle François Hollande, nous le savions, avait déjà renoncé.
J'y reviens et nous y reviendrons encore : l'un des devoirs de notre journal doit être de savoir non pas seulement raisonner contre la pensée unique - nous avons montré à de multiples reprises que nous étions en mesure d'y réussir, et fortement -, mais aussi contre nous-mêmes, contre nos propres ratiocinations, contre la pensée convenue (la nôtre !) que, parfois, nous développons sans même nous en rendre tout à fait compte.
Ainsi, le sort que chaque semaine quasiment nous réservons au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Il a certes bien des défauts, l'absence de charisme notamment. Mais prenons aussi la peine de le lire, de l'écouter sans boules Quiès ni a priori : il en dit parfois, et même souvent, davantage que le... président de la République, à propos du modèle français notamment. Or, nous adoptons la même attitude que nos confrères : feu sur Ayrault, la cible idéale. Parce qu'ainsi l'exige la tradition de la Ve République ? Un président protégé, un chef du gouvernement fusible. Marianne, pourtant, devrait se moquer des convenances, notamment politiques. Ce n'est pas toujours le cas.
Penser contre les autres ? Cela va de soi.
Penser contre nous-mêmes ? Cela devrait aussi être la règle.
A cette époque - il y a plus d'un an déjà -, je veux en convenir ici, Marianne avait manqué de courage. Nous nous étions rangés mécaniquement parmi les tenants de la pensée (de gauche) convenable, celle qui trouvait toutes vertus de justice, d'égalité et d'exemplarité aux 75 %. C'était trop beau. C'était trop simple. Nous avons eu tort. Nous aurions dû avoir le courage de penser contre nous-mêmes, contre nos réflexes, contre nos idées convenues. Il aurait été indispensable que nous ne nous laissions pas emporter par une réaction aussi primaire que contre-productive.
Car le projet, dès le premier jour, était mal conçu, mal pensé, mal ajusté. Il ne fait aucun doute dans notre esprit que les «hyperriches» doivent être «hyperfiscalisés» et qu'il faut mettre fin à des revenus obscènes qui, en pleine crise, donnent le sentiment de ne plus vivre dans une société de semblables. Mais il est indispensable de trouver les formules efficaces, de les expliquer, de les pédagogiser, et non pas seulement de faire un «coup» qui, in fine, s'est retourné en faveur de ces «hyperriches» qu'une partie de l'opinion publique (un comble !) a fini par prendre en pitié - immense défaite de communication du gouvernement. Plutôt qu'approuver les yeux fermés cette annonce des 75 % pour répondre à ceux qui s'y opposaient par simple réflexe de classe, nous aurions dû dénoncer un gadget impossible et réclamer la vraie réforme fiscale d'ensemble à laquelle François Hollande, nous le savions, avait déjà renoncé.
J'y reviens et nous y reviendrons encore : l'un des devoirs de notre journal doit être de savoir non pas seulement raisonner contre la pensée unique - nous avons montré à de multiples reprises que nous étions en mesure d'y réussir, et fortement -, mais aussi contre nous-mêmes, contre nos propres ratiocinations, contre la pensée convenue (la nôtre !) que, parfois, nous développons sans même nous en rendre tout à fait compte.
Ainsi, le sort que chaque semaine quasiment nous réservons au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Il a certes bien des défauts, l'absence de charisme notamment. Mais prenons aussi la peine de le lire, de l'écouter sans boules Quiès ni a priori : il en dit parfois, et même souvent, davantage que le... président de la République, à propos du modèle français notamment. Or, nous adoptons la même attitude que nos confrères : feu sur Ayrault, la cible idéale. Parce qu'ainsi l'exige la tradition de la Ve République ? Un président protégé, un chef du gouvernement fusible. Marianne, pourtant, devrait se moquer des convenances, notamment politiques. Ce n'est pas toujours le cas.
Penser contre les autres ? Cela va de soi.
Penser contre nous-mêmes ? Cela devrait aussi être la règle.
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