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mercredi 22 août 2018

Nancy Huston " François, arrêtez le massacre ! "


21 août 2018

Nancy Huston " François, arrêtez le massacre ! "

Après le scandale de pédophilie qui vient de mettre en cause l'Eglise catholique de Pennsylvanie, l'écrivaine s'adresse au pape et lui demande de prendre une décision historique : mettre fin au dogme du célibat des prêtres

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Cher François,
Je vous écris un 15  août, jour de l'Assomption de la Vierge, ayant appris ce matin à mon réveil, en écoutant la radio, le nouveau scandale de pédophilie qui, en Pennsylvanie cette fois, vient " éclabousser " l'Eglise catholique : sur une période de soixante-dix ans, 1 000  enfants abusés ou violés par des prêtres, et ce chiffre est sûrement inférieur à la vérité, compte tenu de la honte des victimes à -témoigner et de la célérité des intéressés à escamoter les preuves.
Comme moi, comme d'autres, vous devez être frappé par la ressemblance entre cette salve de révélations " scandaleuses " et une autre, qui défraie l'actualité depuis bientôt un an : celle des témoignages #metoo sur le harcèlement sexuel. Ici et là, même propension des hommes à profiter de leur pouvoir pour satisfaire leurs besoins sexuels. Si l'on mettait à la dispo-sition des enfants un site Internet sur -lequel ils pourraient déposer leur -témoignage en toute impunité, ce " balancetonpretre " provoquerait un tsunami mondial qui, par sa violence et son -volume, dépasserait j'en suis certaine celui de " balancetonporc ". Seraient encore reléguées au silence, il est vrai, les nombreuses victimes qui, en raison de leur jeune âge ou de leur misère, n'auraient pas accès au site.
Bien entendu, dénoncer ne suffit pas. On peut s'égosiller, si l'on ne change pas la -situation qui engendre ces gestes intempestifs, on peut être certain qu'ils continueront de se produire. Cela vaut pour le harcèlement sexuel ; et nous devons tout faire pour comprendre les causes du passage à l'acte machiste chez les hommes contemporains. Pour les prêtres catholiques, en revanche, point n'est besoin de chercher. La raison est là, évidente, aussi flagrante que le nez au milieu du visage.
Pourquoi s'en prennent-ils si souvent aux enfants et aux adolescents ? Non parce qu'ils sont pédophiles – la proportion de vrais pédophiles parmi les prêtres est sûrement aussi minuscule que dans la population générale – mais parce qu'ils ont peur, et les enfants et jeunes filles sont les plus faibles, les plus vulnérables, les plus faciles à intimider, les moins aptes donc à les dénoncer. S'ils abordaient avec leur sexe en tumescence – ce pauvre sexe nié, perpétuellement réprimé – les femmes et les hommes de leur paroisse, ou s'ils allaient rendre visite aux travailleurs et travailleuses du sexe, ils seraient " pris ". Avec les enfants, ça peut durer… des années… des décennies. On prend les nouveaux enfants de chœur. On prend les fillettes qui viennent de faire leur première communion… On prend cette femme-ci, dans le secret du confessionnal… ou ce jeune homme-là, pendant les vacances en colonie… et l'année suivante on recommence… on recommence… On a sur elle, sur lui, sur eux, une ascendance, un pouvoir plus qu'humain, sacré… François, c'est un massacre.
Le moment est venuA moins de se dire que seuls les pédo-philes et des pervers sont intéressés par le sacerdoce, le problème n'est ni la pédo-philie ni la perversion. Il faut abandonner ces clichés. Le problème, c'est que l'on demande à des individus normaux une chose anormale.C'est l'Eglise qui est " perverse " dans son refus de reconnaître l'importance de la sexualité et les conséquences désastreuses de son refoulement.
Cela suffit, François. Basta, vraiment. Le moment est venu. C'est aujourd'hui. Vous pouvez le faire. En tant qu'autorité suprême de l'Eglise catholique, ce serait de loin l'acte le plus important, le plus courageux et le plus chrétien de tout votre mandat : l'Eglise doit cesser de cautionner (et donc de perpétuer, c'est-à-dire de perpétrer) des crimes qui ont bousillé des vies innombrables à travers les âges.
Vous le savez aussi bien que moi : le dogme du célibat des prêtres n'est pas né en même temps que le christianisme. Il ne remonte qu'au Moyen Age, un grand millier d'années après la mort du Christ. N'entrons pas, ici, dans le débat byzantin des raisons plus ou moins avouables pour lesquelles, après la scission des deux Eglises, orientale et latine, celle-ci a tenu à se distinguer de celle-là en rendant obligatoire le célibat de ses officiants. Il est bien connu que Jésus n'a rien dit à ce sujet. Si lui-même n'a pas pris femme, il y avait des hommes mariés parmi ses apôtres, et, à d'autres époques et sous d'autres formes, le christianisme a autorisé ses officiants à se marier. Et l'autorise encore.
Nous autres chrétiens, ou sociétés laïques issues du christianisme, avons pris l'habitude de dénoncer, voire d'interdire, chez nous les pratiques d'autres cultures que nous considérons comme barbares ou injustes : je pense notamment à l'excision ou au port de la burqa. Les peuples qui les pratiquent les considèrent de la même manière exactement que l'Eglise catholique considère le célibat des prêtres : comme irréfragables, constitutives de leur identité. On a beau leur faire remarquer que nulle part dans le Coran (par exemple) il n'est stipulé que l'on doit couper leur clitoris aux petites filles ou couvrir le visage des femmes, que ces pratiques ont commencé pour des raisons précises, à un moment précis de l'Histoire, afin d'aider les sociétés à mieux organiser les mariages et gérer la distribution des richesses, rien n'y fait.
Lorsqu'on peut démontrer que ces pratiques sont foncièrement incompatibles avec les valeurs universelles (liberté, égalité, fraternité) et les droits individuels – notamment celui de chaque individu à l'intégrité corporelle –, on considère comme normal de les interdire sous nos latitudes.
Or le célibat fait largement autant de dégâts que l'excision ou la burqa. Le dogme du célibat des prêtres est lui aussi une décision historique. Elle peut être annulée par une autre décision historique, que vousseul êtes en mesure de prendre, cher FrançoisOui, vous seul pouvez lever l'injonction au célibat, protégeant ainsi d'innombrables enfants, adolescents, hommes et femmes à travers le monde.
Je vous en supplie, ayez ce courage. Je sais que jamais vous ne le feriez pour votre gloire personnelle et pourtant, cette décision vous apporterait une gloire immense. Pendant des siècles, les prêtres et leurs ouailles vous remercieront de votre prescience, de votre humanité, de votre mansuétude. Le rôle de l'Eglise est de protéger non les forts mais les faibles, non les coupables mais les innocents. " Et Jésus dit : “Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent.” "(Matthieu 19:14). Depuis mille ans, combien de millions d'enfants ont été détournés de l'Eglise, dégoûtés de l'Eglise, empêchés de venir à Jésus, en raison de ce traumatisme ?
La preuve a été faite et refaite. Le célibat des prêtres, ça ne marche pas. Les prêtres ne sont pas chastes. Ils n'arrivent pas à l'être. Il faut en prendre acte et enterrer une fois pour toutes ce dogme inique. Il est criminel de tergiverser alors que, partout où il sévit, c'est-à-dire partout dans le monde, le massacre continue. Vous le savez, François, et nous le savons tous. Alorsdites " Stop ".Tout de suite.
Nancy Huston
© Le Monde

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