Après l'effroi provoqué par la montée dantesque des eaux, la phobie des serpents. Mardi 21 août, la situation s'est améliorée sur le front des inondations dans l'Etat du Kerala, dans le sud-ouest de l'Inde, le déluge qui avait démarré le 8 août ayant pris fin.
Mais si le reflux des eaux a permis aux habitants de la région de commencer à sortir de chez eux, hagards, nombreux sont ceux qui ont vite rebroussé chemin.
" On évite de sortir car les serpents venimeux pullulent, le gardien de mon immeuble, Rajan, en a tué plusieurs dans le hall ", témoigne -Nilanjana Ray, une jeune retraitée installée au quatrième étage d'un immeuble du quartier de -Manjummel, dans la ville de Cochin.
En attendant que le courant -revienne –
" pas avant une semaine ", a prévenu la compagnie d'électricité de l'Etat du Kerala –, cette rescapée a repéré
" des cobras, des vipères et des kraits ", nom local du
Bungarus multicinctus, une espèce rayée noir et jaune particulièrement dangereuse pour l'homme.
Sauvée par une batterie que son voisin du rez-de-chaussée lui a confiée en s'enfuyant le 15 août, Nilanjana Ray a pu recharger son téléphone portable et donner des nouvelles à ses proches.
Sur l'île de Valia Pazhampilly, au milieu de la rivière Periyar qui a causé d'énormes dégâts en sortant de son lit, la maison d'hôtes de Pierre et Julie Abgrall, un couple de Français installé là depuis dix ans, a beaucoup souffert.
" Nous avons eu deux mètres d'eau à l'intérieur et maintenant, les serpents ondulent un peu partout, -témoignent-ils.
Au village, une cinquantaine de personnes ont été hospitalisées pour morsures. "
Dispensaires détruitsDans l'ensemble du Kerala, les autorités craignent maintenant les épidémies de leptospirose, une maladie bactérienne véhiculée par les rats, ainsi que la multiplication des cas de malaria, de dengue et de chikungunya, du fait de la prolifération des moustiques. Cette région, réputée être la mieux équipée du sous-continent dans le domaine de la santé, vit un drame : des centaines de dispensaires ont été détruits avec tout leur stock de médicaments.
Selon le dernier bilan annoncé mardi soir par le chef du -gouvernement kéralais, Pinarayi -Vijayan, les précipitations très violentes qui se sont abattues ces deux dernières semaines ont fait 231 morts. Et depuis le début de la saison des pluies, fin mai, ce sont 420 victimes qui sont à déplorer. Plus de 1,25 million de personnes s'entassent actuellement dans les centres d'accueil d'urgence ouverts par l'armée, dont l'immense majorité de la population salue l'efficacité.
Lundi, New Delhi a décrété l'état de catastrophe naturelle au -Kerala – une région prisée de touristes internationaux –, laissant espérer des aides financières en complément des 6 milliards de roupies (75,2 millions d'euros) déjà promis par le premier ministre, Narendra Modi. Les Emirats arabes unis, de leur côté, ont offert l'équivalent de 7,5 milliards de roupies (94 millions d'euros), compte tenu de la présence de trois millions de Kéralais dans les pays du Golfe. A Trivandrum, la capitale de l'Etat, l'exécutif régional a convoqué une session extraordinaire de l'Assemblée législative, le 30 août, afin de lancer -officiellement les opérations de reconstruction évaluées à plus de 2,5 milliards d'euros.
D'après le député fédéral Shashi Tharoor, figure locale du Parti du Congrès, 50 000 habitations auraient été détruites, tandis que 10 000 kilomètres de routes auraient été emportés par les eaux en furie et des millions d'hectares de cultures anéantis. Certains experts cités par le quotidien
The Hindustan Times pensent que le Kerala mettra
" dix ans " à s'en remettre. D'autres Etats de l'Union indienne en savent quelque chose. Le Cachemire, par exemple, frappé par des inondations calamiteuses en 2014, l'Uttarakhand, en 2013, ou le Bihar, en 2008. Aucun n'a encore tourné la page.
Pas de système d'alerteDéjà, une polémique est en train de naître sur la façon dont les barrages du Kerala, traversé par d'innombrables cours d'eau, ont été gérés jusqu'ici. Ashok Keshari, professeur de génie civil à l'Indian Institute of Technology de New Delhi, estime que les dommages provoqués par les inondations
" auraient pu être réduits de 20 % à 40 % si les réservoirs avaient lentement opéré des lâchers d'eau ", lorsque les intempéries s'étaient provisoirement -calmées en juillet.
" L'Etat du Kerala n'était pas équipé de système d'alerte avancé et il n'a libéré l'eau des retenues qu'une fois atteints les niveaux pouvant mettre en -péril les structures des barrages ", accuse ce scientifique.
Avant la mousson, la logique aurait voulu que les réservoirs soient pratiquement vidés, ce qui n'a pas été le cas.
" Les laisser se remplir avec les premières pluies conduit nécessairement au désastre. Les barrages peuvent aider à contrôler les inondations, à condition d'être gérés correctement ", a expliqué au journal économique
Mint le coordinateur du réseau associatif Barrages, rivières et -populations d'Asie du Sud, -Himanshu Thakkar.
Si l'objectif de la plupart des 5 000 barrages de plus de quinze mètres de haut que compte l'Inde est surtout de réguler le débit des rivières pour éviter les inondations, les 53 plus grands ouvrages recensés au Kerala semblent échapper à la règle. Ils sont utilisés pour moitié comme centrales électriques, pour moitié comme outils d'irrigation.
S'ajoutent à cela les conflits qui opposent les Etats indiens entre eux à propos de la gestion de la ressource en eau. Le Kerala accuse ainsi le Tamil Nadu voisin, menacé lui aussi par des pluies diluviennes, d'avoir ouvert intempestivement les vannes de certains barrages début août, en direction du bassin-versant kéralais.
" Collusion entre les pouvoirs "Les défenseurs de l'environnement viennent par ailleurs d'exhumer un rapport rédigé en 2011 par un collectif d'experts sous l'autorité de Madhav Gadgil, un chercheur, fondateur en 1983 du Centre des sciences écologiques au sein de l'Indian Institute of Science de Bangalore.
Ce document avait à l'époque prévenu les pouvoirs publics du caractère
" extrêmement sensible " du -Kerala. Il avait vivement dénoncé
" la collusion entre les pouvoirs -publics et des intérêts privés " -conduisant à la construction incontrôlée de barrages, l'explosion de l'immobilier touristique et l'exploitation à outrance des carrières de pierre à ciel ouvert, autant d'éléments perturbateurs pour l'écoulement naturel des eaux.
Aujourd'hui, Madhav Gadgil estime que la catastrophe du Kerala pourrait se reproduire à tout moment un peu plus au nord, dans l'Etat de Goa. Selon le ministère fédéral de la ressource en eau et du développement des rivières,
" les inondations sont responsables de 84 % des victimes de catastrophes naturelles en Inde ".
Guillaume Delacroix
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