L'expertise conclut à une noyade, sans marque de violence, tandis que la -police rappelle le penchant de -Jorginho Guajajara pour l'alcool. Mais la tribu des Indiens guajajara refuse de réduire la mort d'un des leurs à un accident d'ivrogne. A ses côtés, l'ONG Survival International souligne que, depuis 2000, environ 80 indigènes guajajara ont été tués et évoque le véritable " génocide " orchestré en toute impunité par les trafiquants de bois et les chasseurs qui encerclent les terres indigènes arariboia.
Accidentelle ou criminelle, la mort de Jorginho Guajajara, 55 ans, jette une lumière crue sur le désespoir et l'indigence auxquels sont réduites les populations indigènes du Brésil. Le corps du cacique, originaire du village de Cocalinho, a été retrouvé dimanche 12 août au petit matin sous le pont du fleuve Zutiwa à l'entrée de la ville d'Arame, une municipalité misérable de l'Etat du Maranhao, dans le nord du Brésil. Interrogée par les enquêteurs, la femme du leader indigène, Nady, aurait confessé l'inclination de son mari pour la boisson.
" Elle dit qu'il était alcoolique. Qu'il passait ses journées dehors, ivre, et que souvent on le retrouvait dans le caniveau ", a raconté Armando Pacheco, surintendant de la police du Maranhao, au quotidien
Folha de Sao Paulo.
" Il n'avait pas d'ennemi, car son village n'a pas de problème avec les bûcherons ", aurait ajouté Nady.
" Menaces de mort "
" La femme a été intimidée par les Blancs ", répondent les défenseurs des populations indigènes, qui -jugent douteux l'empressement des autorités à parler d'accident avant même la fin de l'enquête. Les proches de Jorginho Guajajara -assurent, eux, que son cou était brisé au point que sa tête semblait détachée du reste du corps, et que, s'il s'agit bien d'une noyade, on a pu le pousser dans l'eau.
A Arame, les Indiens souvent qualifiés d'" assistés " sont jugés inopportuns. Jorginho Guajajara était d'autant moins apprécié des citadins qu'il était membre des " Gardiens de l'Amazonie ", un groupement d'Indiens décidés à pallier l'incurie de l'Etat afin d'assurer eux-mêmes leur défense et celle de leur territoire. Leurs -actions consistent à brûler le -matériel des bûcherons – les
-madeireiros – et à expulser de force ces trafiquants de leurs terres. Un activisme à haut risque :
" Comme tous les gardiens de l'Amazonie, -Jorginho recevait des menaces de mort ", souligne Fiona Watson, directrice de la recherche de Survival International.
Etendu sur 413 000 hectares, le territoire indigène arariboia est considéré comme l'un des plus conflictuels du Brésil. Là vivent 12 000 Indiens guajajara et de 25 à 60 Awa, membres d'une tribu sans contact avec la civilisation moderne.
Dans une note titrée " Le cacique Jorginho Guajajara a été assassiné dans le Maranhao ", l'Institut socio-environnemental rappelle que le Maranhao, plus -facile d'accès que d'autres parties de l'Amazonie, est la cible d'une déforestation intensive. Selon les donnés de l'Institut national de recherches spéciales, 70 % du biome (ensemble d'écosystèmes) de l'Etat ont été déboisés.
" Le territoire est en guerre contre une véritable mafia du bois, et cela dure depuis plus d'une décennie ", s'alarme Fiona Watson. En 2015, un incendie a brûlé plus de 100 000 hectares. A l'époque, l'Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles, l'Ibama, avait accusé les
madeireiros, rappelle la
Folha de Sao Paulo. Et l'équipe de l'Ibama avait été visée par balles par des pillards de bois précieux à l'intérieur du territoire protégé.
Couvre-feuLa situation entre indigènes et trafiquants s'est encore tendue ces derniers mois, au point qu'un couvre-feu a été mis en place. Après 22 heures, les Indiens ont interdiction de pénétrer dans la ville d'Arame. Jorginho Guajajara n'a pas respecté la règle.
" Les gardiens ont multiplié les actions contre les bûcherons. Il y avait un désir de vengeance de la part des trafiquants ", selon Sonia Guajajara, membre de la tribu et candidate à l'élection présidentielle d'octobre comme vice-présidente de Guilherme Boulos, candidat du Parti socialisme et liberté (PSOL). Et -celle-ci d'enrager contre le gouvernement qui
" n'agit pas, ne contrôle pas, ne verbalise pas ".
A l'instar de nombreux activistes, la candidate dénonce en particulier
" l'asphyxie " de la Fondation nationale de protection de l'Indien (Funai), dont le budget a été réduit drastiquement depuis l'arrivée au pouvoir de Michel Temer en 2016.
" On ne peut rien conclure à l'heure qu'il est. Mais on observe que les Indiens sont de plus en plus victimes d'“accidents”, souligne Danicley de Aguiar, de Greenpeace.
Tantôt c'est un camion qui renverse un indigène, tantôt c'est autre chose… Le fait est que l'Etat brésilien n'est pas capable de protéger les Indiens. Chaque mois, des territoires préservés sont envahis par des trafiquants de bois ou des chercheurs d'or. " Il regrette que le gouvernement brésilien
" se soit associé avec le négoce agricole et l'exploitation minière ", quitte à aggraver la violence dans les terres amazoniennes.
Selon la Commission pastorale de la terre (CPT), en 2017, 71 personnes ont été assassinées pour des motifs liés à des batailles de territoire ou de protection de l'environnement. Pour 2018, la CPT a déjà recensé seize crimes de ce type.
Claire Gatinois
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