De son vivant, Uri Avnery avait rarement fait autour lui une telle unanimité. Au lendemain de sa mort, lundi 20 août, les grands quotidiens en Israël ont rendu hommage, toutes tendances politiques confondues, à ce journaliste, écrivain, militant et homme politique, mort la veille et qui les avait tant divisés. L'opposition de gauche a salué un inlassable combattant pour la paix et un défenseur des libertés. La droite soulignait de son côté son engagement lors de la fondation de l'Etat d'Israël, en 1948.
La trajectoire de M. Avnery embrasse la destinée de l'Etat hébreu : du rêve sioniste, auquel il voulait croire à ses débuts, jusqu'aux dérives nationalistes qu'il a dénoncées jusqu'au bout. Cet éternel optimiste n'a jamais voulu renoncer à la lutte pour une solution au conflit israélo-palestinien. Patriote convaincu de l'impasse du camp des " faucons " guerriers, il pensait que seul un accord de paix permettrait d'assurer l'existence d'Israël sur le long terme.
Elu deux fois à la KnessetUri Avnery, né Helmut Ostermann en 1923, quitte l'Allemagne avec sa famille pour émigrer en Palestine sous mandat britannique, peu après l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933. A 15 ans, il rejoint pendant trois ans l'Irgoun, le groupe clandestin pré-étatique qui organise des attentats contre la population arabe à partir de 1936, puis contre le mandat britannique. Engagé dans l'armée après la fondation d'Israël, il est blessé au cours de la guerre israélo-arabe. Cette expérience militaire le convainc qu'
" il y a un peuple palestinien et - que -
la paix doit être forgée avant tout avec lui. Pour y parvenir, un Etat-nation palestinien doit être établi ", expliquait-il en 2014, lors de la publication de son autobiographie, " Optimiste " (non traduite).
Pendant quarante ans, il mène une carrière journalistique, qui va de pair avec son militantisme. A la tête de l'hebdomadaire
Haolam Hazeh (" Ce monde ") dès 1950, il pratique un journalisme d'investigation, ciblant le gouvernement du parti travailliste Mapaï et ses institutions, ainsi que l'armée israélienne.
Haolam Hazeh est aussi le premier à dénoncer la discrimination à l'encontre des nouveaux migrants juifs arabes.
Uri Avnery est élu à deux reprises à la Knesset (Parlement), d'abord de 1965 à 1974 puis de 1979 à 1981. Trop radical, trop impulsif pour devenir un dirigeant respecté de la gauche israélienne, il se maintient sur la scène politique grâce à son engagement entêté pour une solution à deux Etats.
Il fut l'un des premiers à appeler explicitement à la création d'un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Bravant les lois israéliennes alors en vigueur, il prend contact avec l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), créée en 1964, et qu'Israël considère, jusqu'aux accords d'Oslo (1993), comme une organisation terroriste.
En juillet 1982, en pleine guerre du Liban, Uri Avnery rencontre Yasser Arafat, le chef de l'OLP, à Beyrouth. L'entrevue
" a essentiellement porté sur la possibilité d'une paix entre Israël et le peuple palestinien. C'était la première fois qu'Arafat rencontrait un Israélien, et de ce point de vue, on pourrait parler d'une “
rencontre historique”
", affirmait-il en février dans le quotidien
Haaretz. Déclaré ennemi de la nation par ses adversaires, Uri Avnery n'a pas reculé. Les critiques, voire les menaces, ont fait partie intégrante de son combat.
En 1994, il fonde l'organisation pacifiste radicale Goush Shalom (" Bloc de la paix "). A la fin de sa vie, il regrettait de n'avoir pas su unifier le camp de la paix en Israël, fragmenté après les accords d'Oslo et l'assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin en 1995. Pourfendeur de la colonisation des territoires palestiniens et du blocus israélo-égyptien sur la bande de Gaza, il critiquait le projet de potentielle annexion de la Cisjordanie par Israël et dénonçait une dérive vers un régime d'apartheid. Il continuait néanmoins de croire au
" miracle " d'un rapprochement avec le peuple palestinien.
Depuis quelques années, Uri Avnery ne prenait plus part aux manifestations pacifistes en Cisjordanie comme il le faisait auparavant avec sa femme Rachel, morte en 2011. Affaibli, il continuait d'écrire, notamment sa chronique hebdomadaire publiée sur le site Internet de Goush Shalom. La dernière, parue le 4 août, fustigeait la loi fondamentale sur l'Etat-nation du peuple juif votée le 19 juillet.
Claire Bastier
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