Le dernier (et premier) pape à s'être rendu en Irlande était Jean Paul II. Durant sa visite, à l'automne 1979, l'écrasante majorité des Irlandais allait à la messe le dimanche. La contraception était difficile d'accès, le divorce interdit, l'avortement passible de prison à vie, l'homosexualité d'emprisonnement. Les politiques et l'institution ecclésiale partageaient des valeurs et cela se traduisait en de nombreux domaines par l'imbrication de l'Eglise et de l'Etat. La violence qui dominait alors l'actualité et les esprits était celle des affrontements entre catholiques et protestants, en Irlande du Nord. A Drogheda, sur la côte est, le pontife polonais y avait consacré l'essentiel de son homélie. " Je vous supplie à genoux de vous détourner des sentiers de la violence ",avait-il lancé aux jeunes Irlandais.
Trente-neuf ans plus tard, c'est une autre Irlande que devait rencontrer François, samedi 25 et -dimanche 26 août, à l'occasion de la clôture de la Rencontre mondiale des familles, organisée tous les trois ans par l'Eglise catholique. La pratique religieuse y demeure l'une des plus élevées d'Europe et 90 % des élèves sont toujours scolarisés dans des institutions catholiques. Mais trois référendums symbolisent le chemin parcouru : le divorce a été légalisé en 1995 par 50,3 % des votants, le mariage entre personnes du même sexe en 2015 par 62,07 %, l'interruption volontaire de grossesse le 25 mai 2018 par 66,4 % des voix.
Surtout, au cours des années 1990 et 2000, les Irlandais ont découvert les innombrables violences, notamment sexuelles, commises sur des enfants et des femmes, par des prêtres ou derrière les portes d'institutions administrées par l'Eglise catholique. Des prêtres pédophiles ont été protégés, des bébés de " filles-mères " exploitées par des religieuses dans des blanchisseries ont été vendus, des élèves de collèges, d'orphelinats et de centres d'apprentissages ont été battus, humiliés et certains violés. Dans le seul diocèse de Dublin, la commission d'enquête présidée par la juge Yvonne Murphy avait établi, en 2009, qu'au moins 46 prêtres avaient commis des agressions sexuelles sur des enfants pour la période 1975-2004, et que quatre archevêques successifs les avaient protégés. Aujourd'hui, les vocations religieuses et sacerdotales sont en chute libre.
Eradiquer ce fléauAucune destination ne pouvait entrer plus en résonance avec les préoccupations actuelles du pape François. Les cas de violences sexuelles, en particulier sur mineurs, impliquant des clercs, comme aux Etats-Unis et au Chili, même commis il y a des années, continuent d'interroger sur la façon dont des évêques et des supérieurs de congrégation y ont fait face. Dans une lettre adressée au
" peuple de Dieu ", lundi 20 août, le pontife argentin a appelé tous les catholiques à prendre leur part d'un mouvement de
" transformation " de l'Eglise pour éradiquer ce fléau.
Mais, pour beaucoup d'associations de victimes, le chef de l'Eglise catholique ne saurait s'en tenir à cette invocation. Elles attendent de lui des réformes concrètes pour contraindre ceux qui auraient couvert ces faits à répondre de leurs actes passés et pour empêcher toute dissimulation à l'avenir. Certains ecclésiastiques aussi se sont exprimés en ce sens.
" Il ne suffit pas de s'excuser ", a ainsi -affirmé l'archevêque de Dublin, Mgr Diarmuid Martin, dans son homélie, dimanche.
" Les structures qui ont permis ou facilité les abus doivent être démantelées, et démantelées pour toujours. " Mgr Martin, dont l'engagement contre les abus et ceux qui les couvrent est reconnu, est l'un des organisateurs des rencontres.
Comme il y a trois ans, et comme il le fait régulièrement, le pontife rencontrera des victimes d'abus sexuels pendant son court séjour de trente-deux heures en Irlande. Mais, dans cette atmosphère, il pourra difficilement se limiter à exprimer sa
" honte " et sa
" douleur ", des mots déjà employés il y a trois ans, aux précédentes journées mondiales de la famille, qui s'étaient tenues à Philadelphie (Etats-Unis). D'autant que, depuis quelques jours, c'est l'attitude du Saint-Siège lui-même, pendant ces scandales, qui est à nouveau examiné.
Les enquêtes sur les violences contre les enfants diligentées par les autorités irlandaises avaient à l'époque suscité de fortes tensions diplomatiques avec le Saint-Siège. L'exécutif irlandais a accusé à plusieurs reprises l'administration vaticane de vouloir les entraver. Devant le Parlement, le premier ministre Enda Kenny avait accusé le Vatican de minimiser les crimes perpétrés. En 2011, Dublin a même fermé son ambassade près le Saint-Siège – avant de la rouvrir en 2014. D'anciens dirigeants irlandais ont révélé, ces jours derniers, d'autres aspects peu reluisants de leurs contacts avec le sommet de l'Eglise catholique.
Dédommager l'EgliseL'ex-présidente Mary McAleese a ainsi raconté à l'
Irish Times que, alors qu'elle se trouvait en Italie pour une visite d'Etat, en novembre 2003, le cardinal Angelo Sodano, alors secrétaire d'Etat (numéro deux du Vatican) de Jean Paul II, lui avait soumis l'idée d'un accord entre les deux Etats. Selon elle, il était
" très clair " que cet accord était destiné
" à protéger les archives vaticanes et diocésaines " contre la curiosité de la justice irlandaise. Elle a refusé tout net la discussion.
" Ce fut l'un des moments les plus dévastateurs de ma présidence ", a-t-elle déclaré. Un an plus tard, le même cardinal aurait demandé, cette fois au ministre des affaires étrangères irlandais, Dermot Ahern, que Dublin reconnaisse sa part de responsabilité et dédommage l'Eglise en cas d'indemnisation ordonnée par les tribunaux.
Pendant la préparation de cette rencontre mondiale, il a aussi été question de l'attitude de l'Eglise envers les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, trans). Jeudi, le jésuite américain James Martin, qui milite pour des changements en la matière, a affirmé que les catholiques LGBT avaient
" souvent été traités comme des lépreux par l'Eglise " et il a incité les prêtres à leur demander pardon :
" Ça ne résout pas tout, mais c'est un début. " Une pétition avait été lancée – en vain – par des organisations catholiques conservatrices pour demander que cet intervenant soit déprogrammé. Le premier ministre irlandais, Leo Varadkar, a prévenu de son côté que, s'il en avait l'occasion, il dirait au pape François
" que les familles aujourd'hui revêtent des formes différentes, y compris celle de familles composées de couples de même sexe ".
Une association irlandaise de prêtres catholiques a récemment demandé à de nombreux fidèles ce qu'ils voulaient dire au pape François lors de sa venue. La question la plus souvent mise en avant était celle de la place des femmes dans l'Eglise, notamment, mais pas seulement, à travers celle de leur ordination. Celle d'hommes mariés, la place des homosexuels et celle du pouvoir dans l'Eglise arrivaient aussi en bonne place.
Cécile Chambraud
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire