Quand les Green ont vu des nuages gorgés d'eau obscurcir le ciel au-dessus de leur petite exploitation agricole de la Hunter Valley, à environ deux cents kilomètres au nord de Sydney, ils ont cru qu'ils étaient tirés d'affaire. " Cela faisait des mois que nous attendions la pluie et tout d'un coup, une série d'averses s'est abattue sur nos terres, se souvient Selby, un solide gaillard de 72 ans. Je me suis dit que j'allais pouvoir remettre en état mes pâturages desséchés et nourrir mes vaches. J'ai semé des graines partout. "
C'était fin juin. Deux mois plus tard, le seigle n'a pas poussé, sa centaine de bovins a quasiment épuisé ses réserves de foin et il est tombé à peine 0,5 millimètre d'eau. Le couple, comme l'ensemble des agriculteurs de la Nouvelle-Galles du Sud – l'Etat le plus peuplé d'Australie et qui fournit un quart de tous les produits agricoles de l'île-continent –, est confronté à la pire sécheresse qu'ait connue l'est du pays depuis un demi-siècle. Cet épisode, qui survient en plein hiver austral, frappe déjà 99 % de la Nouvelle-Galles du Sud et 60 % de l'Etat voisin du Queensland. Et menace de s'aggraver dans les mois à venir.
" Les conditions actuelles, caractérisées par des températures particulièrement élevées et un faible niveau de précipitations, vont perdurer pendant au moins trois mois, prévient Karl Braganza, chargé de la surveillance climatologique au Bureau de la météorologie
. Ensuite, si un épisode El Niño débute, les chances de pluie seront très réduites. " Un scénario catastrophe pour les agriculteurs australiens, dont la probabilité est estimée à 50 %.
Alors les époux Green n'ont pas attendu davantage.
" Nous avons eu notre dose de désastres. Nous arrêtons ", lâche Gloria en tournant nerveusement les pages d'un petit cahier d'écolier où elle a méticuleusement consigné, mois après mois, le niveau des précipitations sur son exploitation. Depuis les années 1960, les deux septuagénaires ont déjà affronté six sécheresses.
" Nous avons appris à nous organiser, à stocker d'énormes quantités de fourrage pour tenir pendant les périodes de crise. " Mais après une inondation en 2015, une autre en 2016, puis le climat très sec de ces dix-huit derniers mois, leurs granges sont vides et ils n'ont plus l'énergie ni les moyens financiers de faire face. Dans l'ensemble de la région, les prix du foin flambent.
" On n'en trouve quasiment plus par ici ", explique Bill Stacy, fermier à Singleton dans la Upper Hunter Valley, l'un des greniers alimentaires de Sydney
. En juin, ce descendant d'une famille d'agriculteurs, qui était enfant quand il a vécu sa première sécheresse, a dû s'approvisionner dans le sud du continent, pour deux fois plus cher que d'habitude.
Une balle dans la têteEn juillet, il a réduit ses frais en vendant 40 bovins malgré un marché de la viande en forte baisse ; 80 avaient déjà pris le chemin de l'abattoir en janvier.
" C'est toujours difficile de réduire son cheptel, soupire-t-il en balayant du regard ses champs brûlés par le soleil.
Nous mettons du temps à le reconstituer, nous perdons de l'argent mais que faire quand nous n'avons plus de quoi le nourrir ? "
D'autres fermiers, qui ont préféré parier sur un retour de la pluie malgré la poussière qui envahissait peu à peu leur propriété, sont aujourd'hui complètement démunis face à leurs bêtes devenues faméliques. Parfois, en désespoir de cause, ils finissent par les achever d'une balle dans la tête.
" Des agriculteurs n'ont tout simplement plus d'argent, ni pour leurs animaux, ni pour eux. C'est très dur financièrement et psychologiquement ", souligne Brian Egan, fondateur de Aussie Helpers, une organisation caritative qui, ces dernières semaines, a été inondée de courriels de particuliers proposant leur aide.
" Les fermiers ont construit ce pays, ils en sont la colonne vertébrale. Il est normal que nous les soutenions ", estime Lois Fildes, serveuse dans un café à Thorne où elle récolte des fonds pour acheter du foin. Kate Thew, boulangère de Singleton, donne, quant à elle, ses invendus aux paysans des environs. Dernièrement, elle a noté une baisse de son activité et comme beaucoup de commerçants de l'arrière-pays, elle redoute les conséquences de la sécheresse sur l'économie locale.
Clé sous la porteMais dans l'immédiat, c'est surtout l'eau qui pose problème. Les habitants de certaines régions subissent déjà des restrictions : trois minutes pour une douche quotidienne, deux machines à laver maximum par semaine.
" J'ai de la chance, il a plu ici en mars ", reconnaît Bill Stacy, qui n'en est pas moins inquiet. D'ici quelques semaines, en l'absence de nouvelles précipitations, ses retenues d'eau seront à sec et s'il a déjà prévu de forer, il craint de tomber sur de l'eau salée. Comment fera-t-il alors pour abreuver son troupeau de 250 têtes ? Il n'en a pas la moindre idée mais assure qu'il s'en sortira.
" Ce n'est pas la première sécheresse ni la dernière. Les fermiers australiens sont habitués aux catastrophes naturelles, ils sont résilients ", ne cesse-t-il de répéter comme pour se donner du courage. En attendant, il se serre la ceinture pour payer le pensionnat de ses trois enfants et puise dans ses économies avec un objectif : tenir. A aucun prix il ne vendra l'exploitation crée par ses ancêtres il y a plus de cent cinquante ans.
Beaucoup d'autres n'auront pas le choix et mettront la clé sous la porte.
" Malheureusement, cela se passe comme ça ici ", dit James Jackson, président de la NSW Farmers Association. Sur l'ensemble du continent, 20 % des 130 000 exploitations fournissent à elles seules 75 % des produits agricoles. Les petits agriculteurs, de moins en moins nombreux, sont les plus vulnérables.
Pour soutenir le secteur face à la sécheresse, les gouvernements locaux comme les autorités fédérales ont annoncé des mesures et débloqué plusieurs centaines de millions de dollars australiens. Mais alors que tous les experts s'accordent à dire que cette sécheresse est la conséquence du réchauffement climatique, l'Australie, qui est l'un des premiers pollueurs de la planète par habitant, n'a toujours pas défini de stratégie pour atteindre son objectif, pourtant modeste, de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 26 % à 28 % d'ici 2030 par rapport à 2005.
Isabelle Dellerba
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