C'était devenu une des antiennes de la campagne présidentielle. " Emmanuel Macron n'a pas la colonne vertébrale ni la volonté " pour résister aux lobbys, s'époumonait en 2017 Benoît Hamon, alors candidat pour le Parti socialiste. " Macron n'a qu'un sujet, c'est plaire aux lobbys ", abondait Yannick Jadot, éphémère tête de pont d'Europe Ecologie-Les Verts. Le candidat d'En marche ! avait eu beau, à l'époque, " prendre l'engagement de n'être tenu par personne " et se dire " libre " de tout intérêt, comme lors du débat télévisé avant le premier tour du scrutin, rien n'y a fait.
Surgi de nulle part ou presque, Emmanuel Macron traîne depuis son élection à l'Elysée la réputation d'être davantage perméable aux
" représentants d'intérêts ", l'appellation officielle des lobbys. Une étiquette héritée du passage dans le privé du futur chef de l'Etat, notamment au sein de la banque Rothschild, de 2008 à 2012. Mais qui est aussi alimentée par l'attitude " pro-business " assumée de l'exécutif, dans ses déclarations comme dans la politique menée depuis le début du quinquennat.
La réalité ? Beaucoup plus complexe, comme souvent. Fort de nouvelles pratiques, le président de la République assume d'avoir dans son entourage des personnes passées par le monde de l'entreprise ou ayant même travaillé pour des lobbys. La conseillère à l'agriculture de l'Elysée, Audrey Bourolleau, dirigeait ainsi Vin & Société, un important organisme d'influence du monde viticole, avant de rejoindre la campagne d'Emmanuel Macron. Cédric O, autre conseiller du président, travaillait chez le groupe aéronautique Safran ; Claudia Ferrazzi, la conseillère culture, a commencé sa carrière chez Cap Gemini et au Boston Consulting Group… Des parcours divers mais qui alimentent aussi la suspicion : durant la campagne, Emmanuel Macron avait ainsi dû écarter le médecin hospitalier Jean-Jacques Mourad de son équipe de conseillers, après s'être rendu compte qu'il était aussi rémunéré par le laboratoire Servier.
" Je peux me regarder dans la glace "De la même façon, l'exécutif revendique d'avoir choisi des ministres passés par le monde de l'entreprise : la ministre du travail Muriel Pénicaud fut DRH chez Danone, la secrétaire d'Etat à la transition écologique Brune Poirson a travaillé pour Veolia, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a exercé comme lobbyiste chez Unibail-Rodamco… Edouard Philippe lui-même fut directeur des affaires publiques – c'est-à-dire lobbyiste en chef – du géant du nucléaire Areva de 2007 à 2010. "
Je ne m'en excuse pas. Je l'assume et j'en suis fier ", avait d'ailleurs crânement déclaré le premier ministre sur France Inter, trois jours après son arrivée à Matignon.
S'il est assumé voire revendiqué, ce passé peut néanmoins compliquer le fonctionnement du gouvernement, avec des ministres obligés de se déporter sur certains sujets pour des raisons privées ou familiales, et pour ne pas être accusés d'être sensibles aux lobbys. Le 10 juillet, la ministre de la culture, Françoise Nyssen, a été interdite de s'occuper du secteur du livre, à la demande de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). La raison : un risque trop élevé de conflit d'intérêts, compte tenu des liens capitalistiques et familiaux de Mme Nyssen avec la maison d'édition Actes Sud, créée par son père et qu'elle a longtemps dirigée. De la même façon, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, avait dû consentir à lâcher la tutelle de l'Inserm lors de son entrée au gouvernement, l'organisme de recherche étant dirigé par son mari, Yves Lévy. Mais Matignon n'y voit que l'inconvénient de ses avantages.
" Si on choisit les gens pour leur légitimité et leur expérience professionnelle, on ne peut pas ensuite leur reprocher leur légitimité et leur expérience professionnelle ", plaide un conseiller d'Edouard Philippe, assurant que
" le dialogue avec les représentants professionnels a lieu normalement ".
Interrogés par
Le Monde, de nombreux conseillers ministériels reconnaissent recevoir les
" représentants d'intérêts ". Mais
" on le fait à charge et à décharge ", assure l'un d'eux. Accusé d'être dans les mains des syndicats agricoles comme la FNSEA, le ministre de l'agriculture, Stéphane Travert, aime ainsi rappeler que toutes les organisations professionnelles sont reçues à l'hôtel de Villeroy.
" Je peux me regarder dans la glace ", martèle en privé cet ancien socialiste, fidèle d'Emmanuel Macron, assurant n'avoir
" jamais repris un amendement de lobby " lorsqu'il était député de la Manche.
" Il n'y a plus de visiteurs du soir "La législation n'interdit d'ailleurs pas aux cabinets de recevoir des lobbys. Depuis 2013 et l'adoption de la loi relative à la transparence de la vie publique, les
" représentants d'intérêts " sont certes obligés de déclarer leur activité dans un registre tenu par la HATVP, en précisant notamment
" l'organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts ou entités qu'ils représentent ". Mais
" le fonctionnaire ou le membre du cabinet n'a pas d'obligation juridique de vérifier si l'intéressé est inscrit sur (c)e registre ", assure Marc Guillaume, le secrétaire général du gouvernement. Même chose pour les parlementaires. Matthieu Orphelin, député (LRM) de Maine-et-Loire et partisan de la transparence, a ainsi indiqué avoir reçu 115 lobbys rien qu'au deuxième trimestre 2018.
Côté lobbyistes, tous s'accordent à dire que le contact avec le pouvoir est très facile.
" On n'a jamais eu une écoute publique aussi forte et constructive pour les intérêts économiques,estime Paul Boury, le président de Boury, -Tallon & Associés, l'un des plus importants cabinets de conseil en affaires publiques.
Quand une entreprise ou une association -professionnelle a besoin de faire passer des messages, c'est possible. "" L'accueil dans les ministères est très ouvert, les conseillers reçoivent beaucoup, les ministres aussi, abonde l'un de ses -concurrents, bien introduit dans le CAC 40.
Mais il n'y a pas de -connivence. Le dialogue est très exigeant. On nous demande d'apporter des solutions et pas seulement des revendications. "
Par contre, plus question de voir le président de la République. A la différence de -Nicolas Sarkozy ou de François Hollande, qui recevaient très facilement des patrons,
- " Macron a fait tomber une sorte de herse après son élection, note le dirigeant d'une -société de conseil.
Il avait tellement réseauté avant qu'il a voulu couper les ponts après, pour ne pas se retrouver en position d'être accusé de collusion "." Il n'y a plus de -visiteurs du soir à l'Elysée ", confirme Paul Boury, pour qui les voyages officiels sont devenus le seul moyen pour les PDG de croiser le chef de l'Etat.
" Certains arrivent encore à échanger des textos avec lui, mais sur des généralités ", précise un autre conseiller.
Si la position d'Emmanuel Macron a surpris au départ, tant les chefs d'entreprise pensaient avoir table ouverte à l'Elysée avec son élection, elle aurait été finalement acceptée
" parce que les patrons ont les moyens de faire passer leurs messages ", explique ce conseiller. Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Elysée, ferait notamment office de filtre.
" En fait, ce nouveau pouvoir a tellement la culture de l'entreprise, de l'efficacité, qu'on n'a plus besoin de voir le président ", -conclut cette source. Le stade ultime du -lobbying, en somme.
Cédric Pietralunga
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