Le métier d'enseignant attire de moins en moins. En l'espace de quinze ans, le nombre d'inscrits aux concours de recrutement du second degré a chuté de près de 30 %. Après avoir largement consacré la première année du quinquennat aux élèves (CP dédoublés, réformes du baccalauréat, scolarité obligatoire à 3 ans), le ministère de l'éducation nationale a décidé de s'attaquer à ce problème. Et ouvre un chantier de refonte de la formation et des carrières des enseignants.
Des primes supplémentaires -seront proposées aux enseignants en zone sensible, la formation initiale devrait être améliorée, et la formation continue – quasiment inexistante dans le monde enseignant aujourd'hui – devrait prendre de l'ampleur. Le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a réinsisté cet été sur sa volonté de créer un " prérecrutement " des enseignants, avec une admissibilité au concours en fin de licence pour les professeurs des écoles. Toutes ces mesures visent le même but : restaurer l'attractivité de la fonction.
Conditions d'exercice difficilesBien sûr, le jeu des ouvertures de postes fait bouger les courbes. La hausse du nombre d'inscrits à partir de 2013, par exemple, correspond à un bond dans le nombre de postes annoncés à l'automne 2012 par Vincent Peillon, alors ministre de l'éducation nationale de François Hollande. En revanche au capes en 2018, le nombre de postes non pourvus diminue d'un seul coup. La raison tient dans une explication mécanique : avec près de 1 500 postes en moins au concours, l'écart constaté les années précédentes entre le nombre d'étudiants ayant un niveau suffisamment élevé pour être reçus et le nombre de places disponibles est forcément réduit.
En dépit de cette légère amélioration sur les dernières années, le déficit de candidats reste inquiétant.
" Ce problème d'attractivité se retrouve dans l'ensemble des pays développés, précise Alexis Torchet, du SGEN-CFDT, qui a pu en faire le constat dans le cadre du comité du dialogue social européen de l'éducation.
Les leviers sont toujours les mêmes : la rémunération, la formation initiale et continue, et l'attractivité territoriale, en particulier pour les concours territorialisés comme celui de professeur des écoles en France. "
Mais les difficultés du système scolaire français en font aussi un cas spécifique.
" Faire un métier dans lequel on vous renvoie sans arrêt à la figure que vous n'arrivez pas à atteindre vos missions et où, en plus, vous n'êtes pas bien payé, ça fait beaucoup ", résume Patrick Rayou, professeur en sciences de l'éducation à l'université Paris-VIII
. Les conditions d'exercice, et notamment la
" discipline ", sont jugées de plus en plus difficiles dans les classes. Un jugement désormais adossé à " l'index climat de discipline " de l'enquête PISA, qui teste les résultats des élèves de 15 ans des pays de l'OCDE. En 2015, la France est le pays où ce climat s'est le plus dégradé.
L'enseignement a également cessé d'être un milieu professionnel dans lequel on entre pour toute sa vie.
" Le corps enseignant a été un monde en soi, avec ses syndicats, son assurance, sa mutuelle de santé. Des logiques de groupe très fortes ", observe Patrick Rayou. Ces certitudes se sont
" effilochées ", selon lui. La stabilité des trajectoires est remise en cause dans toutes les professions, mais particulièrement violemment chez les enseignants.
" Il y avait des comportements de groupe qui transcendaient tout, et qui tenaient grâce au mythe d'une école excellente, qui faisait réussir les élèves et était méritocratique. " Cet
" habitus enseignant " formait une sorte d'identité à part. Aujourd'hui, cet esprit de corps n'existant plus,
" les jeunes professeurs sont désemparés au contact de la difficulté scolaire ", résume le chercheur.
Dans les disciplines dites en tension (où le vivier de candidats est trop faible par rapport aux besoins), certains chiffres méritent un éclairage plus fin. Au capes de mathématiques, le nombre d'inscrits tombe autour de 3 000 en 2011. Selon Laurent Frajerman, historien et chercheur à l'institut de recherche de la FSU, il faut tenir compte d'un contexte plus large, celui du marché du travail dans lequel s'inscrivent les étudiants.
" Un bon étudiant en mathématiques peut trouver du travail ailleurs que dans la fonction publique, alors que les lettres modernes donnent surtout accès à l'enseignement. " L'augmentation importante du nombre de postes non pourvus en mathématiques (jusqu'en 2018 où les postes disponibles sont réduits) rend cette analyse crédible : les " bons " mathématiciens tendraient à s'orienter autrement, ce qui empêche le concours de faire le plein.
" Attractivité multifactorielle "Les différentes réformes de la formation expliquent aussi les variations d'effectifs, parfois avec un léger décalage.
" Le décrochage en 2008-2009 correspond à la mastérisation des concours ", décrypte Alexis Torchet. En 2008 en effet, la réforme du concours et de la formation voit la disparition de l'année de stage au profit d'un exercice à temps plein du métier d'enseignant en deuxième année de master.
" Les étudiants comprennent que la formation ne se fera plus dans de bonnes conditions et, d'une année sur l'autre, décident de ne pas se présenter ", ajoute M. Torchet
.
Dans ce contexte, l'idée de rallonger le temps de formation pourrait porter ses fruits, de même que le prérecrutement et la formation continue.
" Il y a consensus pour dire qu'il faut garantir un continuum de formation de 4 semestres, précise-t-il.
Avec en amont le prérecrutement et en aval la formation continue. " Les réformes désormais engagées ont donc des chances d'avoir un impact sur la courbe des inscrits.
" Mais l'attractivité est multifactorielle ", prévient le syndicaliste. Reste la question des salaires, à laquelle le ministère ne s'attaque qu'à la marge, en proposant une prime de rentrée aux professeurs en zone sensible, et en envisageant le recours aux heures supplémentaires pour les personnels qui ne sont pas concernés par cette prime.
Violaine Morin
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