Relance de la guerre commerciale par les Etats-Unis, revers diplomatiques à répétition, indicateurs économiques décevants… Les dirigeants chinois ont à peine fini de fêter le dixième anniversaire des Jeux olympiques de 2008 qui avaient marqué le retour de la puissance chinoise sur la scène mondiale qu'ils doivent affronter une inhabituelle série de difficultés propres, selon certains, à semer le doute sur la ligne politique suivie.
Les coups les plus durs viennent des Etats-Unis. Jeudi 23 août, 279 nouveaux produits chinois, d'une valeur de 16 milliards de dollars (13,8 milliards d'euros), devaient être taxés à hauteur de 25 % par Washington. Les exportations chinoises avaient déjà subi le même sort en juillet, à hauteur de 34 milliards. Certes, Pékin répond par des mesures équivalentes, mais la Chine exportant bien davantage aux Etats-Unis que l'inverse, elle peut difficilement être gagnante.
Après deux moins d'invectives, une délégation chinoise, conduite par Wang Shouwen, vice-ministre du commerce, devrait se rendre à Washington les 22 et 23 août pour rencontrer le sous-secrétaire américain au trésor chargé des affaires internationales. Une reprise de contacts dont Donald Trump n'attend
" pas grand-chose ", selon un entretien diffusé mardi 21 août par Reuters. C'est qu'il ne s'agit pas d'une simple guerre commerciale, comme le résume Aidan Yao, économiste chez Axa Investments, dans le
South China Morning Post, un
quotidien de Hongkong :
" C'est un conflit structurel déguisé en guerre commerciale entre deux adversaires. Un conflit structurel centré sur le rapide rattrapage de la Chine dans la technologie et l'innovation qui, aux yeux de l'administration Trump, a été obtenu par un transfert illégal de technologies et une protection relâchée de la propriété intellectuelle. "
" un Impact psychologique "Un conflit qui a pris les Chinois de court.
" Contrairement aux Européens, les élites chinoises au départ n'avaient aucun préjugé contre Donald Trump, juge François Godement, directeur du programme Asie et Chine au centre de réflexion ECFR (European Council on Foreign Relations). Les hommes forts ne leur déplaisent pas. Elles ont donc été d'autant plus surprises par l'attitude du président américain. Cela crée sans doute des tensions à Pékin, mais ne prenons pas les désirs de certains pour la réalité. Le pouvoir de Xi Jinping n'a jamais été aussi fort. "
Si les sanctions américaines ne se voient pas encore dans les statistiques,
" elles ont un impact psychologique : elles mettent un frein à l'exaltation des succès chinois, analyse de son côté Zhang Lun, un intellectuel chinois réfugié en France
. De plus, le modèle chinois n'a pas encore la capacité de maintenir la croissance en substituant la consommation interne aux exportations. Du coup, le pouvoir en Chine est actuellement fébrile. " Pour calmer le jeu face aux Américains, ordre a été donné en juin aux médias et aux fonctionnaires chinois de ne plus faire référence au programme " Made in China 2025 " qui définissait les secteurs économiques que privilégiait Pékin pour devenir la première économie mondiale. Autre signe de la fébrilité du pouvoir : alors que la consommation et surtout les investissements marquent le pas, la banque centrale et le ministère des finances semblent en désaccord sur la stratégie à adopter : utiliser l'arme des taux d'intérêt ou celle des dépenses publiques pour soutenir l'activité.
Mais l'économie n'est pas la seule pomme de discorde entre Washington et Pékin. Ces derniers jours, Donald Trump et son administration ont explicitement accusé la Chine d'ingérence dans la campagne électorale en cours aux Etats-Unis. Le 13 août, la nouvelle loi de la défense nationale adoptée par Donald Trump était apparue comme un véritable acte hostile par Pékin. Le document cite en effet explicitement la Chine comme source de danger et interdit à la quasi-totalité des administrations américaines de se fournir auprès de certaines sociétés chinoises, dont les emblématiques Huawei et ZTE.
Dès le 14 août, le quotidien nationaliste
Global Times dénonçait
" cette loi agressive qui mentionne les détroits de Taïwan, la mer de Chine du Sud, les investissements chinois aux Etats-Unis et même les Instituts Confucius ".
" Ce que recherche Washington, c'est détruire la sécurité nationale de la Chine et non protéger sa propre sécurité nationale ", poursuit le quotidien. Dans le
China Daily, un colonel juge que désormais le Pentagone
" suggère que la Chine a la capacité de prendre la place de l'ex-Union soviétique comme un challenger des Etats-Unis dans tous les domaines ".
Revers diplomatiqueQue la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, en route vers l'Amérique du Sud, ait été autorisée non seulement à faire escale aux Etats-Unis mais aussi à prononcer, mi-août, un discours à la bibliothèque présidentielle -Ronald Reagan près de Los Angeles ne peut qu'aviver les inquiétudes chinoises. C'est en effet un sérieux revers diplomatique pour Pékin, qui s'efforce de nier toute légitimité aux représentants de l'île, à peine compensé par le fait que le Salvador a décidé d'abandonner Taïwan et d'avoir des relations diplomatiques avec la Chine.
Le 13 août, à Genève, devant le comité des droits de l'homme de l'ONU, la Chine a dû justifier la politique menée au Xinjiang à l'égard des Ouïgours. Un membre de ce comité, la juriste américaine Gay McDougall, s'était basé sur de
" nombreux rapports crédibles " pour dénoncer l'enfermement d'un million de musulmans et la transformation de cette région du nord-ouest de la Chine en
" quelque chose qui ressemble à un énorme camp d'internement ". Le représentant chinois a évidemment rejeté toutes les accusations, mais le mal est fait : la question ouïgoure, qui n'a longtemps intéressé que les ONG et les spécialistes, figure désormais sur l'agenda international.
" C'est intéressant car, avec le retrait américain, l'ONU était de plus en plus dominée par les Chinois ", note François Godement, de l'ECFR.
Sur tous ces fronts, la rentrée s'annonce donc délicate pour les dirigeants chinois et notamment pour le président Xi Jinping qui, depuis la modification de la Constitution en mars, a centralisé tous les pouvoirs. Mais la chercheuse Alice Ekman, responsable de la Chine à l'Institut français des relations internationales, met en garde contre toute interprétation excessive :
" L'opinion publique chinoise n'est pas assez informée pour faire cette lecture globale. Par ailleurs, pour la Chine de Xi, le pays n'a pas de leçon à recevoir de l'Occident. Enfin, ne sous-estimons pas les ambitions internationales de Xi. Seule une crise économique majeure pourrait les remettre en question. "
Or, si la situation économique est tendue, elle n'en est pas pour autant mauvaise, et le gouvernement peut jouer sur plusieurs leviers. En juillet, les crédits bancaires accordés par l'ensemble des banques chinoises ont bondi de 75 % par rapport à juillet 2017, a révélé la Commission de régulation du secteur financier. Comme en 2008, le pays pourrait accélérer le développement de ses infrastructures. D'ailleurs, le 15 août, un porte-parole du gouvernement a confirmé que l'objectif de croissance (6,5 % en 2018) était maintenu.
Frédéric Lemaître
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire