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J’exige que ceux qui ont ordonné et commis l’assassinat de Jamal Khashoggi soient jugés
Dans une tribune au « Monde », Hatice Cengiz, la fiancée du journaliste saoudien tué dans le consulat de l’Arabie saoudite à Istanbul, réclame justice et déplore que l’administration Trump ait adopté une position dépourvue de tout fondement moral
Cela fait exactement un mois que mon fiancé, le célèbre journaliste Jamal Khashoggi, est entré dans le consulat saoudien d’Istanbul pour n’en jamais ressortir. Aujourd’hui, c’est aussi la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, instituée en 2013 par les Nations unies. La coïncidence est tragique et douloureuse.
Jusqu’à il y a un mois encore, Jamal m’envoyait ses articles. Je les lisais avec enthousiasme, puis lui téléphonais pour lui faire part de mes remarques. Il m’écoutait attentivement, et ensuite nous discutions. Aujourd’hui, j’écris sur lui et sur ce que je ressens maintenant qu’il n’est plus là.
J’ai du mal à savoir s’il s’est écoulé un mois ou un siècle depuis que j’ai perdu Jamal. Pendant les semaines où j’ai attendu dans l’espoir qu’il ressorte du consulat, chaque heure, chaque journée paraissait durer un an. L’angoisse était terrible. Mais j’ai eu beau attendre, le joyeux Jamal n’est jamais revenu. Seule m’est parvenue la nouvelle de sa mort.
Alors que j’écrivais ces lignes, le bureau du procureur d’Istanbul a publié une déclaration officielle. Jamal a été étranglé, puis démembré et son corps détruit. Un meurtre brutal, barbare et impitoyable. Quel crime avait-il commis pour qu’on le traite ainsi ? Pour quelle raison l’ont-ils tué aussi brutalement ? Il n’y a aucune explication à cette haine.
Une voix de portée universelle
Il est important de se souvenir de la personne qu’était Jamal. Un homme plein de gentillesse, de patience, de générosité, de compassion et d’amour. Tout ce qu’il souhaitait, c’était un nouveau départ qui lui permettrait d’oublier sa nostalgie à l’égard de son pays natal. Pouvoir vivre avec un peu de bonheur une existence solitaire. Et dans cette existence, j’aurais été une compagne et une amie. J’espère qu’il savait combien il m’était précieux à moi aussi de commencer une nouvelle vie à ses côtés.
L’assassinat brutal de Jamal a choqué le monde entier. Car avec lui nous avons perdu une voix de portée universelle. Il se battait pour la bonté et la décence. Il nous aidait à comprendre les relations complexes qui caractérisent le Proche-Orient, mais se préoccupait avant tout des vies et des droits de ses populations. Maintenant qu’il est mort, les principes qu’il a défendus avec tant de passion sont placés sous les projecteurs. Démocratie, liberté, droits de l’homme. Et la conviction essentielle que chaque personne devrait pouvoir choisir ses dirigeants politiques au travers de son bulletin de vote. A voir l’indignation internationale qu’a provoquée son assassinat, ceux qui l’ont commis doivent savoir qu’ils ne pourront jamais effacer la vision qu’il avait de son pays bien-aimé. Ils n’ont fait que lui donner plus de force.
C’est à présent à la communauté internationale de traduire en justice ses assassins. Les Etats-Unis devraient être à la tête de ces efforts. Ils ont été fondés sur les idéaux de liberté et de justice pour tous, et le premier amendement de leur Constitution symbolise à lui seul les idéaux qu’incarnait Jamal. Or face à cette tragédie, l’administration Trump a adopté une position dépourvue de tout fondement moral. Certains ont réagi à travers le prisme cynique des intérêts nationaux – des déclarations marquées au sceau de la peur et de la couardise, de la peur de gêner des accords ou des liens économiques interétatiques. Espérant que ce meurtre sera vite oublié, certains à Washington estiment qu’il suffit de faire traîner les choses. Mais nous allons continuer à exiger de l’administration Trump qu’elle réclame justice pour Jamal. Cette affaire ne sera pas étouffée.
Aujourd’hui, je demande à la communauté internationale de prendre des mesures réelles, sérieuses et concrètes pour mettre au jour la vérité et traduire les responsables devant la justice. Et restituer le corps de Jamal, qui n’a pas encore été retrouvé, aux personnes qui lui étaient chères.
Je ne suis pas naïve. Je sais que les gouvernements n’agissent pas en fonction de leurs sentiments mais en fonction de leurs intérêts. Cependant, ils doivent se poser une question fondamentale. Si les démocraties du monde ne font pas tout le nécessaire pour traduire en justice les responsables de cet acte ignoble et éhonté – un acte qui a suscité l’indignation de leurs citoyens –, quelle autorité morale leur restera-t-il ? Comment pourront-elles alors défendre la liberté et les droits humains de qui que ce soit ?
Nous allons assister à un test en humanité. Et cela exige du leadership. La principale responsabilité repose sur les épaules des gouvernements. Mon président et tous les membres des institutions politiques, juridiques et judiciaires turques gèrent cette affaire de la meilleure façon possible.
J’invite donc les présidents des pays européens ainsi que celui des Etats-Unis à réussir ce test. Justice doit être rendue. J’exige que ceux qui ont prémédité et commis cet assassinat sauvage soient jugés. Ceux qui l’ont ordonné doivent également être poursuivis – quand bien même ils occuperaient la plus haute fonction politique. Je demande justice pour mon Jamal bien-aimé. Nous devons ensemble adresser un message clair aux régimes autoritaires comme quoi ils ne pourront jamais plus assassiner un journaliste.
Jamal venait d’acheter une maison. Il rêvait de fonder une famille. Il était tout excité à l’idée de choisir le mobilier. Aujourd’hui, je me retrouve seule devant la porte. Je suis l’article que Jamal n’a pu terminer. Tous ensemble, nous devons le finir et porter la torche de l’âme de Jamal jusqu’à ce que son rêve se réalise.
Traduit de l’anglais par Gilles Berton
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Hatice Cengiz était la fiancée de Jamal Khashoggi, journaliste saoudien tué dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie
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