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mardi 27 novembre 2018

Washington veut faire plier Téhéran - 3.11.2018


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SANCTIONS AMÉRICAINES CONTRE L’IRAN
Washington veut faire plier Téhéran
Le président Hassan Rohani, lors d’une session du Parlement iranien, à Téhéran, le 27 octobre. EBRAHIM NOROOZI/AP
Les Etats-Unis déclencheront, le 5 novembre, le second volet des sanctions, qui concerne notamment le pétrole
WASHINGTON - correspondant
Lundi 5 novembre, les sanctions les plus dures de l’arsenal américain contre le régime iranien rentreront en application après une suspension de trois ans liée à l’accord sur le programme nucléaire de Téhéran conclu en juillet 2015, à l’initiative de Barack Obama. Le retour de ces mesures coercitives découle du retrait décrété en mai par son successeur, Donald Trump, qui en avait fait la promesse pendant la campagne présidentielle de 2016. Il n’a cessé de présenter ce compromis forgé avec une « troïka » européenne et les autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies comme « le pire »accord jamais négocié.
Après la réimposition de premières sanctions en juillet, ce second volet vise « des domaines essentiels » pour l’économie iranienne, selon Quentin Lopinot, chercheur associé au Center for Strategic and International Studies, un cercle de réflexion de Washington. L’administration américaine veut stopper les achats de pétrole iranien comme les transactions en dollars. La Maison Blanche ne se prive pas de faire savoir qu’elle entend mettre en œuvre ces sanctions de la manière la plus agressive qui soit et qu’elles ne relèvent pas du registre du simple message politique.

« Terrible pour l’économie »

Ce volontarisme est affiché par les principaux acteurs de cette stratégie, à commencer par le président, son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, et le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, alors que les prédécesseurs de ces deux derniers, Rex Tillerson et H.R. McMaster, défendaient l’accord. John Bolton, un « faucon » revendiqué, a effectué fin octobre une tournée qui est passée notamment par la Russie et l’Azerbaïdjan, des partenaires de l’Iran, pour faire part de la détermination de Washington.
Des émissaires du Trésor l’avaient précédé en Asie, en août, avec le même message. La menace de sanctions secondaires visant ceux qui passeraient outre a déjà poussé des géants du pétrole, comme l’entreprise française Total, à se désengager du marché iranien. Les demandes européennes de dérogations ont été sèchement écartées par Washington.
« De nombreux pays vont appliquer ces sanctions, estime Philip Gordon, un ancien de l’administration Obama chargé du Moyen-Orient à la Maison Blanche de 2013 à 2015. Mais cela ne veut pas dire que de nombreux pays approuvent cette politique, on peut d’ailleurs compter ces derniers sur les doigts de la main. » Il s’agit pour l’essentiel d’Israël, de l’Arabie saoudite et d’autres émirats du Golfe unis dans leur opposition aux ambitions régionales de Téhéran. Washington a été le seul signataire à dénoncer l’accord avec l’Iran, qui reste pour l’instant en place et qui continue de produire ses effets, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique. Et les objectifs de l’administration de Donald Trump suscitent les interrogations.
« Officiellement, il n’est question que de parvenir à un meilleur accord qui prendrait également en compte les exigences américaines sur la fin du programme balistique iranien, une réduction de l’influence régionale de l’Iran, comme en Syrie ou au Yémen, et un arrêt définitif du programme nucléaire », rappelle Philip Gordon. « Mais avec des exigences aussi maximalistes, on ne peut que se demander si l’objectif véritable n’est pas le changement de régime », ajoute-t-il, avec le pari qu’une dégradation de la situation économique plonge le pays dans l’instabilité.
« Ces sanctions visent à pousser les Iraniens à sortir à leur tour d’un accord qui n’offre plus aucun avantage », estime M. Lopinot. Une telle rupture renverrait inexorablement les pays européens dans le camp de Washington, qui mise sur un durcissement du régime aux dépens du président Hassan Rohani. Ce dernier a fondé sa stratégie politique sur cet accord.

Coudées franches à Washington

Le calcul de l’administration de Donald Trump laisse cependant sceptique Philip Gordon : « Il est évident que l’effet va être terrible pour l’économie iranienne, pour autant je ne pense pas que cela va conduire aux objectifs affichés. L’influence iranienne au Yémen comme en Syrie est obtenue à bon marché, les sanctions américaines ne changeront rien. »
L’Iran s’était résigné en 2013 à entrer dans les négociations qui avaient abouti deux ans plus tard sous l’effet d’un dispositif inédit de sanctions. Il impliquait, outre les Etats-Unis, l’Union européenne et les Nations unies. Washington, qui se lance en solitaire dans une démarche comparable, n’a pour l’instant aucune garantie de la part de grands clients de l’Iran, qu’il s’agisse de la Chine ou de l’Inde, de stopper tout achat de pétrole iranien.
La guerre commerciale à outrance engagée par Donald Trump vis-à-vis de Pékin ne place pas son homologue chinois, Xi Jinping, dans les meilleures dispositions pour accéder aux demandes des Etats-Unis. Il en va probablement de même avec l’Inde du premier ministre Narendra Modi, à quelques mois d’élections générales peu propices à des concessions en matière de souveraineté. Et les Européens ont défié Washington en annonçant la création d’un dispositif visant à sanctuariser certaines transactions.
Donald Trump a en revanche les coudées franches à Washington où les défenseurs de l’Iran sont particulièrement rares. Le secrétaire à la défense, James Mattis, qui avait estimé par le passé que rester signataire de l’accord sur le nucléaire iranien relevait de « l’intérêt national » des Etats-Unis, a été marginalisé par la refonte par Donald Trump de son équipe chargée de la politique étrangère, et il n’est pas concerné par des sanctions sur lesquelles veillent en priorité le département du Trésor et le département d’Etat.
Les démocrates regrettent la sortie de l’accord nucléaire, y compris ceux qui s’étaient exprimés contre lui au Congrès en 2015, comme le rappelle Philip Gordon. Mais même dans l’hypothèse où ils obtiendraient la majorité à la Chambre des représentants, après les élections de mi-mandat, le 6 novembre, leur marge de manœuvre restera des plus limitées.

Les difficultés d’une riposte européenne
L’annonce par Donald Trump du nouveau train de sanctions contre Téhéran devrait être suivie d’une « déclaration politique » des Européens : c’est la seule indication que l’on pouvait recueillir à Bruxelles avant cette décision. Maigre ? Sans doute. Traduisant la relative impuissance des Vingt-Huit face aux décisions de Washington. Le premier volet de sanctions américaines, que ni Emmanuel Macron, ni Angela Merkel, ni aucun autre responsable n’étaient parvenus à éviter, avait été suivi d’une riposte.
Un « véhicule spécial », un outil censé préserver les investissements et le commerce de l’Europe avec l’Iran avait été présenté. Ce SPV – selon l’acronyme anglais – était annoncé par la haute représentante européenne pour la diplomatie, Federica Mogherini, le 24 septembre. Elle signait alors avec Mohammad Javad Zarif, le ministre iranien des affaires étrangères, une déclaration évoquant la nécessaire « créativité » face à Washington pour sauver l’accord sur le nucléaire (JCPOA).
L’ancienne ministre italienne ne tient pas à voir sabotée l’une des rares réussites concrètes de son service d’action extérieure et martèle que sauver le JCPOA permettrait tout à la fois d’éviter l’implosion de l’économie iranienne, d’aider le camp des présumés réformateurs à Téhéran et d’éviter un conflit régional de grande ampleur.
Le SPV, censé faciliter les « transactions financières légitimes », ne semble pas encore au point. Son lancement suppose des initiatives nationales qui tardent et le doute sur son efficacité, déjà évoqué en septembre par certains diplomates « surpris » par l’annonce de Mme Mogherini, semble confirmé. Le contenu du « véhicule » demeure incertain, comme sa localisation et la date de son lancement effectif. On ignore aussi si des pays non européens, la Chine en tête, pourraient se joindre à cette initiative, comme cela semblait préconisé par Bruxelles.

Système de troc

La réaction des Etats-Unis n’avait pas tardé : « Nous n’avons pas l’intention de permettre à l’Europe ou quiconque d’éviter nos sanctions », déclarait John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale. Des responsables iraniens indiquaient, eux, que l’initiative était positive mais son rendement incertain, les Européens n’en étant pas à leur premier recul face aux pressions américaines.
Il s’agirait d’une sorte de système de troc, sans transaction en dollars, lié aux banques centrales européennes ou fondé sur le modèle d’une chambre de compensation. Puisque le dollar ne serait pas utilisé, les entreprises de l’UE seraient préservées des sanctions américaines. Les achats de pétrole iranien, notamment, seraient concernés mais ils relèvent, en réalité, de compagnies internationales très exposées, elles, aux dites sanctions… Le mécanisme pourrait plutôt assurer le maintien d’un commerce pour les entreprises petites ou moyennes, et protéger, par exemple, les exportations de céréales ou de médicaments. On ignore, en réalité, s’il permettra de sauver ce qui compte principalement aux yeux de Téhéran : les échanges de biens et services à haute valeur ajoutée avec l’Union.
Si elle ne devait pas parvenir à sauver l’essentiel de l’accord de 159 pages conclu, aux forceps, à l’issue de douze années de négociations ardues, l’UE subirait une lourde défaite diplomatique. Avant le premier volet des sanctions américaines, quatre diplomates de haut rang, dont l’Allemande Helga Schmid, bras droit de Mme Mogherini, avait négocié durant quatre mois avec l’administration Trump. Un document principal et deux annexes avaient été rédigés. En vain : M. Trump a balayé l’ensemble du projet en imposant ses sanctions.
« Il ne nous restait donc qu’à développer une riposte qui, même incertaine et essentiellement symbolique, tente au moins de démontrer que nous voulons continuer à avoir des relations économiques avec l’Iran et lui indiquer que les Etats-Unis ne peuvent pas, à eux seuls, trucider le JCPOA », indiquait, le 31 octobre, une source bruxelloise.
Tensions diplomatiques entre l’Iran et le Danemark après un attentat déjoué
Copenhague a rappelé son ambassadeur après l’arrestation d’un suspect d’origine iranienne
MALMÖ (SUÈDE) -correspondante régionale
Le premier ministre danois ne veut pas remettre en cause l’accord sur le nucléaire iranien. Mais Lars Lokke Rasmussen a plaidé en faveur d’une réaction « européenne » contre Téhéran pour une autre raison : il l’accuse d’avoir fomenté un projet d’attentat sur son territoire.
Au Danemark, des rumeurs sur l’implication de Téhéran circulaient depuis le 28 septembre et la rocambolesque opération de police qui avait paralysé une partie du pays. Mardi 30 octobre, Finn Borch Andersen, le chef des services de renseignement danois (PET), a confirmé que l’opération avait pour but d’empêcher une tentative d’assassinat contre trois Iraniens domiciliés à Ringsted, une ville de 30 000 habitants à 60 kilomètres de Copenhague.
Le patron du PET a révélé qu’un des responsables présumés, un Norvégien de 39 ans d’origine iranienne, avait été interpellé le 21 octobre à Göteborg par la police suédoise. Placé à l’isolement, « il est soupçonné d’avoir permis aux services de renseignement iraniens d’opérer au Danemark et d’avoir participé à la préparation d’une tentative d’attentat », a dit Finn Borch Andersen.
Jugeant ces informations « totalement inacceptables », le chef de la diplomatie danoise, Anders Samuelsen, a immédiatement convoqué l’ambassadeur iranien en poste à Copenhague et rappelé l’ambassadeur danois en Iran. Avant de quitter Téhéran, mercredi, le diplomate a été reçu par le ministre iranien des affaires étrangères, qui a dénoncé une « campagne de désinformation ».

Protection policière

L’ambassadeur danois avait déjà été convoqué par le chef de la diplomatie iranienne, le 22 septembre, avec ses homologues britannique et néerlandais. Quelques heures plus tôt, une attaque terroriste contre un défilé militaire avait fait 24 morts dans la ville d’Ahvaz, la capitale de la province iranienne du Khouzistan à majorité arabe, près de la frontière irakienne.
L’attentat avait été revendiqué par l’organisation Etat islamique. Mais pour Téhéran, le Mouvement arabe de lutte pour la libération d’Ahvaz (Aslam) était responsable, et notamment certains de ses membres exilés en Europe. Depuis 2010 d’ailleurs, l’Iran réclamait l’extradition de plusieurs d’entre eux, ayant obtenu l’asile au Danemark. Copenhague avait refusé.
A l’automne 2017, l’un des Iraniens, présenté comme le leader du groupe revendiquant son appartenance à l’Aslam, avait été placé sous protection policière par les autorités danoises. Selon les informations révélées par les services de renseignement, c’est un de ses voisins qui a donné l’alerte, fin septembre, après avoir aperçu un individu « suspect »prenant des photos de sa maison.
Le 28 septembre, la présence d’une voiture volée – une Volvo noire immatriculée en Suède – à proximité du domicile de l’opposant iranien a précipité le déclenchement d’une gigantesque opération de police. Pendant des heures, les voies d’accès à la province de Seeland ont été fermées, y compris le pont de l’Öresund reliant Copenhague à la Suède. Pour le PET, il était alors « très probable qu’une tentative d’attentat contre le leader d’Aslam au Danemark était en cours », a expliqué Finn Borch Andersen. Finalement, le véhicule a été arrêté. Mais il s’est vite avéré que son conducteur n’avait aucun lien avec Téhéran.
Le silence des forces de l’ordre n’a pu empêcher les spéculations de voir le jour, alors que dès le 28 septembre, le Mouvement arabe de lutte pour la libération d’Ahvaz publiait un communiqué remerciant les autorités danoises – et néerlandaises – d’avoir déjoué une attaque contre ses militants.
Mardi, à Oslo, où elle participait au conseil nordique, la première ministre britannique, Theresa May, a exprimé son « soutien » aux autorités danoises. Copenhague a également obtenu l’appui prudent du premier ministre suédois, Stefan Löfven, et de la chef du gouvernement norvégien, Erna Solberg, tandis que la Commission européenne affirmait prendre l’affaire « au sérieux ».
Dans un Tweet, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a, pour sa part, « félicité » le Danemark pour « l’arrestation d’un assassin du régime iranien », et invité ses « alliés et partenaires à faire face à l’ensemble des menaces représentées par l’Iran contre la paix et la sécurité ».

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