Vivement des dirigeants d’un autre genre !
Dans moins de deux semaines, du 14 au 16 novembre, des « femmes de pouvoir » du monde entier se retrouveront à Paris à l’occasion du Women’s Forum. Femmes de pouvoir parce que femmes, et dotées de pouvoir – ou espérant en être dotées un jour – dans les entreprises, en politique, dans le monde des arts et de la culture, entre autres. La définition de cette population ne prête en général pas à controverse. En revanche, rien de mieux pour animer une conversation qui s’étiolerait lors d’un dîner en ville que d’aborder la question de savoir si le pouvoir est genré. Si les femmes dirigent différemment des hommes. Nul ne doute que les convives rivaliseront d’anecdotes relatives à leur propre expérience, de récits de patronnes machistes, qui accréditeront l’idée que oui, décidément, les femmes exercent le pouvoir exactement comme leurs collègues masculins, quand elles n’en rajoutent pas.
D’autres, au contraire, feront état d’expériences répétées de chefs au féminin particulièrement ouvertes, à l’écoute, qui incitent donc à penser qu’il existe bien un mode féminin d’exercice du pouvoir. Les tenants de cette deuxième hypothèse ne manqueront pas alors de s’écharper sur les causes de ces différences : seraient-elles de nature génétique, ou acquises en raison de modes d’éducation divergents, de valeurs transmises plus ou moins consciemment et qui conduisent à modifier les comportements selon le genre ?
Une étude publiée fin octobre par Grandes Ecoles au féminin (GEF) – un mouvement regroupant les associations d’anciennes et anciens élèves de dix grandes écoles françaises – éclaire le débat. Elle est basée sur deux enquêtes, l’une quantitative, réalisée par l’institut BVA auprès de 3 062 membres de ces associations, et l’autre qualitative, conduite par l’agence de philosophie Thaé. Il apparaît que les femmes et les hommes ont la même conception de ce que devrait être le pouvoir. Ceux-ci décrivent pareillement la façon dont il s’exerce de fait – un mode très éloigné de celui auquel elles ou ils aspirent, d’ailleurs. Et quand il leur est demandé s’ils estiment que les femmes et les hommes exercent le pouvoir différemment, les unes comme les autres répondent positivement. Voilà pour la perception du phénomène. En revanche, dans les faits, les sondés vont admettre majoritairement que « l’exercice du pouvoir n’est pas une question de genre ». La nuance est subtile et nécessite d’aborder ces enquêtes de façon plus détaillée.
Un hiatus patent
Les femmes comme les hommes associent le pouvoir à la capacité d’entraîner les équipes de collaborateurs, de les amener à changer. Leurs motivations affichées pour accéder à des postes élevés dans la hiérarchie sont les mêmes, à savoir être libres de prendre des décisions, de faire évoluer leur organisation. Elles, comme eux, constatent que malheureusement il n’en est pas ainsi. Tant leur supérieur hiérarchique direct que leur direction générale seraient essentiellement motivés par l’argent, l’influence et le prestige. Ils dirigeraient selon un mode autoritaire classique d’entreprise au fonctionnement pyramidal et centralisé.
Le hiatus est patent. Le fait que le pouvoir soit négativement connoté en France – ce que les enquêtes du GEF confirment – conduit-il les répondants à enjoliver leurs aspirations ? Possible. Mais l’enquête confirme aussi que le pouvoir change les comportements. Qui n’a pas connu de collègue ouvert et attentif, transformé en être cassant et dénué d’empathie, une fois promu ? 92 % des répondants aux enquêtes du GEF en attestent.
Bien qu’elles et ils partagent les mêmes idées en matière de conception du pouvoir et d’observation de ce qu’il est réellement, femmes et hommes pensent cependant l’exercer différemment. Les hommes sont davantage perçus comme l’exerçant d’une manière individualiste, peu aptes à se remettre en question, désireux de profiter des avantages qui y sont liés, de décider seuls ou presque et de ne pas avoir à expliquer leurs décisions et leurs actions. Tandis que les femmes auraient un management plus collectif, valoriseraient leurs équipes et feraient davantage preuve d’humilité.
D’autres codes de l’entreprise
S’il n’en est pas ainsi dans les faits, c’est parce que « les codes du pouvoir s’imposent aux femmes comme aux hommes »,estiment les auteurs de l’étude du GEF. Pour Avivah Wittenberg-Cox, PDG de la société de conseil en mixité 20-first, citée dans Le Bal des dirigeantes d’Annie Batlle et Sandra Batlle-Nelson (éd. Eyrolles, 2006), « les femmes sont comparables à des immigrées (première puis deuxième génération), toujours minoritaires dans les cercles du pouvoir ». Comme souvent chez les minoritaires, elles calquent leurs comportements sur ceux des majoritaires. Il leur faut jouer ce rôle pour pénétrer les cercles décisionnaires. In fine, « si dans l’absolu, les femmes n’exercent pas le pouvoir différemment des hommes, la mixité favorise un exercice du pouvoir différent, notamment chez les femmes », déduit l’étude du GEF.
La conclusion s’impose : pour que le pouvoir s’exerce idéalement, comme souhaité par les répondants, quel que soit leur genre, il faudrait donc que les codes de l’entreprise évoluent. Ce à quoi les membres de la génération Y (nés entre 1980 et 2000) aspireraient tout particulièrement. « Les millennials sont les premiers à revendiquer un exercice du pouvoir plus horizontal. Ils composent moins que leurs aînés qui se sont conformés par réalisme », estime Patricia Delon, directrice marketing et commerciale de le RATP, qui a mené l’enquête du GEF. Chacun et chacune pourra alors se libérer de l’obligation de conformité à un modèle unique d’exercice du pouvoir, pour une plus grande diversité d’opinions et de comportements, dont on peut penser qu’elle sera profitable à tous.
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