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Islamabad cède aux islamistes après l’acquittement d’Asia Bibi
La chrétienne avait été condamnée à mort pour blasphème en 2010
Les islamistes du Pakistan l’ont emporté. Après trois jours de manifestations contre la décision de la Cour suprême d’acquitter la chrétienne Asia Bibi, le gouvernement pakistanais a accepté, vendredi 2 novembre, d’engager une procédure visant à l’empêcher de sortir du pays. L’accord passé entre les deux parties, composé de cinq points, prévoit aussi que le gouvernement ne s’oppose pas au dépôt d’une requête en révision du jugement de la Cour suprême.
La femme de 52 ans, mère de cinq enfants, était incarcérée depuis sa condamnation à mort en 2010 pour blasphème. Sa famille espérait partir avec elle à l’étranger pour sa sécurité, avant que les islamistes ne fassent plier le gouvernement. Asia Bibi est toujours en prison, selon son avocat Saif ul-Mulook, cité par l’AFP, et elle ne peut pas quitter le pays avant l’examen de la requête. Son avocat a quitté le pays samedi, craignant pour sa vie après des menaces.
Dès l’annonce de son acquittement, mercredi, les islamistes étaient descendus dans la rue pour réclamer sa pendaison et la mort des juges. Après avoir adopté un ton ferme vis-à-vis des manifestants, le premier ministre pakistanais, Imran Khan, parti en Chine pour une visite de quatre jours alors qu’il est aussi en charge du ministère de l’intérieur, a finalement cédé à leurs demandes.
Mercredi soir, il avait prévenu que l’Etat ne « tolérerait pas le sabotage » et « prendrait ses responsabilités » si nécessaire. Mais la décision de l’armée, vendredi, de rester en retrait, a sans doute pesé dans la décision du gouvernement d’opter pour la négociation. Vendredi, les manifestants ont bloqué les principales artères des grandes villes et ont brièvement pénétré dans la « zone rouge » d’Islamabad, quartier qui réunit les principales institutions de l’Etat pakistanais, telles que le Parlement et la résidence du premier ministre. La plupart des écoles étaient fermées et le réseau mobile a été coupé une bonne partie de la journée dans les grandes villes. Les manifestations ont pris fin dans la nuit de vendredi à samedi.
Les accusations se multiplient
Depuis le durcissement du code pénal condamnant le blasphème, en 1986, sous la dictature du général Zia-ul-Haq, grand artisan de l’islamisation du Pakistan, les accusations se sont multipliées, au risque de servir de prétexte pour régler des conflits personnels. Dans le cas d’Asia Bibi, c’est une dispute qui a mal tourné : cette employée agricole avait bu un verre d’eau provenant d’un puits réservé en principe aux musulmans, et a été dénoncée par des voisines avec lesquelles sa famille était en froid. Les juges l’ont finalement acquittée au « bénéfice du doute ». Les minorités religieuses, qui ne dépassent pas 3 % de la population du Pakistan, sont les cibles de plus de la moitié des plaintes déposées pour blasphème.
« Encore une capitulation », regrette le quotidien libéral pakistanais Dawn, dans son éditorial de samedi. Sous la pression des groupes religieux extrémistes, Imran Khan était déjà revenu, en septembre, sur sa décision de nommer un conseiller économique issu de la minorité ahmadie au Comité de conseil économique, créé pour remédier aux importantes difficultés financières du pays. Atif Mian est un professeur d’économie pakistano-américain de l’université de Princeton. Mais les croyances des Ahmadis sont considérées comme blasphématoires et leur communauté est persécutée de longue date au Pakistan, car ses membres croient en un prophète postérieur à Mahomet.
En novembre 2017, Islamabad avait déjà été paralysée pendant près de trois semaines par des manifestants pour des motifs similaires. Leur colère avait été déclenchée par un changement de formulation du serment que prononcent les candidats à des élections, et où la phrase « Je jure solennellement » avait été remplacée par « Je crois », pour affirmer que Mahomet est le dernier prophète de l’islam. Un fléchissement à peine perceptible, mais qui équivalait, selon les manifestants, à un blasphème.
Le ministre de la justice, Zahid Hamid, avait alors dû présenter sa démission. A cette époque, Imran Khan s’était bien gardé de critiquer les manifestations. Il faisait campagne pour les élections législatives de juillet 2018, et avait promis de défendre la loi du blasphème pour s’assurer du soutien de la droite religieuse.
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