https://www.lemonde.fr/
Après un octobre noir, la Bourse devrait rester fébrile
A Paris comme à New York, les indices ont perdu entre 6 % et 9 % en un mois
Est-ce un trou d’air passager ou le signe avant-coureur d’une crise plus profonde ? Si les marchés ont commencé novembre dans le calme, ils ont traversé, le mois précédent, de violents soubresauts. Un octobre noir, qui a vu l’indice phare de la Bourse de Paris, le CAC 40, perdre 7 %, enregistrant ainsi sa plus mauvaise performance sur un mois depuis trois ans. Aux Etats-Unis, le S&P 500 a chuté de plus de 6 %, tandis que le Nasdaq a plongé de 9,20 %, sa plus forte baisse mensuelle depuis dix ans. Une correction sévère, après un premier avertissement intervenu en février, clôturant deux années d’euphorie sur les marchés financiers.
Du côté des dettes souveraines, les taux à trente ans américains ont décollé tandis qu’en Europe, les taux d’emprunt italiens se sont tendus…
Principal déclencheur de ce coup de tabac : la communication offensive de la Réserve fédérale américaine (Fed), qui poursuit le relèvement de ses taux, en dépit des tensions commerciales et des incertitudes géopolitiques. Ces derniers jours, la perspective d’un krach s’est éloignée – les marchés pourraient même s’offrir le luxe d’un rebond en fin d’année. « Ils ne vont pas renoncer tout de suite à leur espoir de forte croissance aux Etats-Unis, d’autant qu’un coup de pouce gouvernemental pourrait intervenir dans la foulée des élections de mi-mandat, mardi 6 novembre », avance Didier Saint-Georges, du comité d’investissement de Carmignac, une société française de gestion d’actifs.
L’année 2019 pourrait, en revanche, marquer le retour de la volatilité. Les investisseurs seront en effet confrontés au télescopage malheureux du ralentissement de la croissance mondiale et de la fin des politiques accommodantes des grandes banques centrales.
Des risques politiques planent en Europe Les incertitudes politiques sur le Vieux Continent vont continuer de préoccuper les investisseurs. A commencer par l’épreuve de force engagée entre Rome et Bruxelles sur le budget 2019 de l’Italie. Avec une prévision de déficit public à 2,4 % du produit intérieur brut (PIB), la dette publique de la Péninsule, déjà à plus de 130 % du PIB, ne va pas diminuer. Certes, elle est largement détenue par les Italiens eux-mêmes, ce qui constitue un amortisseur. « Mais ce n’est pas suffisant pour rassurer les marchés, des turbulences sont à venir », prévoit Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM.
Les taux italiens à dix ans, qui ne dépassaient pas les 2 % en mai, évoluent désormais autour de 3,3 %. Ils pourraient continuer de grimper ces prochains mois, alors que la croissance italienne est au point mort.
S’y ajoute l’incertitude quant à l’issue des négociations du Brexit, même si les investisseurs ont déjà intégré le principe d’une séparation du Royaume-Uni et de l’Union européenne (UE) dans la douleur. « A court terme, le Brexit n’a pas d’impact direct sur les marchés, mais le flou autour des discussions confirme les fragilités de l’Union européenne »,souligne Hervé Goulletquer, de la Banque Postale AM. Des fragilités que les élections européennes prévues en mai 2019 pourraient exacerber un peu plus encore.
La remontée des taux inquiète En 2018, la Fed a accéléré le relèvement de ses taux directeurs, qui évoluent entre 2 % et 2,25 % depuis le 27 septembre. Chaque nouvelle hausse renchérit le coût des emprunts dans la devise américaine. « Or, le monde est endetté en dollars », rappelle Samy Chaar, chef économiste chez Lombard Odier. En particulier les entreprises des pays émergents, qui s’en trouvent fragilisées.
En outre, la perspective de meilleurs rendements aux Etats-Unis incite les investisseurs à sortir leur argent des Bourses de Rio, Ankara ou Buenos Aires, pour le rapatrier à Wall Street, déclenchant au passage une tempête sur des monnaies locales. « Dit autrement, la hausse des taux américains a des implications partout dans le monde : c’est une source de fébrilité et de volatilité sur les marchés », résume Samy Chaar.
De son côté, la Banque centrale européenne (BCE) va interrompre ses rachats de dettes publiques en décembre et devrait commencer à remonter ses taux à l’automne 2019. Dès lors, les Etats de la zone euro paieront leurs emprunts un peu plus cher, au risque que cela pénalise les pays les plus endettés, comme l’Italie, le Portugal et la Grèce. Et déclenche de nouvelles turbulences sur les marchés.
L’économie mondiale montre des signes de faiblesse Depuis quelques mois, les nuages s’accumulent au-dessus de la conjoncture mondiale. Après le pic de 2017, l’économie de la zone euro ralentit : son PIB n’a progressé que de 0,2 % au troisième trimestre. Nombre de pays émergents, tels que l’Argentine ou la Turquie, sont en mauvaise forme. Même la Chine s’essouffle : sa croissance a plafonné à 6,5 % au troisième trimestre, sa plus mauvaise performance depuis près de dix ans.
« Après neuf années de croissance, une fois que l’effet des mesures de relance de Trump se sera estompé, le cycle américain pourrait toucher à sa fin courant 2019, estime Nicolas Chéron, responsable de la recherche marchés chez Binck. Dans ces conditions, les marchés pourraient entrer dans un mouvement baissier dans le courant de l’année prochaine. »
Les tensions commerciales accroissent les incertitudes Les Etats-Unis iront-ils au bout de leur épreuve de force avec la Chine ? Si oui, quel impact le relèvement des droits de douanes aura-t-il sur la croissance mondiale ? Les marchés ont du mal à l’estimer. Mais une chose est sûre : ces incertitudes sont de nature à freiner l’investissement.« L’augmentation des tarifs douaniers pourrait inciter certaines entreprises à délocaliser leurs chaînes d’approvisionnement hors de Chine, indique une note d’Isabelle Mateos y Lago, directrice générale au BlackRock Investment Institute. Le coût de ces ajustements pourrait être important et menacer les marges au cours des prochains trimestres. »
Vers un ralentissement des résultats des firmes américaines La réforme fiscale du président Donald Trump s’est traduite par une baisse massive d’impôts pour les entreprises américaines. Conjuguée à une croissance économique solide, elle a entraîné une hausse exceptionnelle des bénéfices de sociétés tout au long de l’année 2018, qui ont porté les marchés actions. Selon les experts, cet « effet taxes » devrait se poursuivre jusqu’au premier trimestre 2019, avant de s’atténuer.
Le relèvement des taux, la progression des salaires et le tassement attendu de l’activité contribueront aussi au ralentissement de la croissance des bénéfices des groupes américains. Quant aux valeurs technologiques très bien valorisées outre-Atlantique, elles ont beaucoup souffert en octobre avant de se reprendre, et restent sous observation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire