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Un duel entre deux ex-« DSK boys » pour la présidence de La République en marche
Les députés de Paris Pierre Person et Stanislas Guerini sont les favoris pour succéder à M. Castaner
C’est une campagne qui se joue en coulisse, dans les couloirs de l’Assemblée et sur la messagerie cryptée Telegram. Une campagne volontairement reléguée au second plan en Macronie, où l’on ne souhaite pas renvoyer l’image d’une course aux postes permanente, après les deux scrutins internes (présidence de l’Assemblée et du groupe majoritaire au Palais-Bourbon), organisés depuis début septembre
Mais la bataille pour la succession de Christophe Castaner, promu au ministère de l’intérieur, à la tête du mouvement La République en marche (LRM) est bel et bien lancée entre les deux favoris, tous deux députés de Paris, Stanislas Guerini et Pierre Person, dans l’optique de l’élection du nouveau délégué général, fixée au 1er décembre. Un duel entre deux personnalités, faute de véritable clivage idéologique.
Les deux jeunes élus sont des soutiens de la première heure du candidat Macron, et leur loyauté envers le chef de l’Etat est totale. L’un et l’autre sont réputés comme de bons organisateurs, à l’aise dans les relations humaines. Anciens « DSK boys », pro-entreprise, ils ont longtemps été classés à la droite de la gauche. Mais ils pâtissent du même point faible : un manque de notoriété auprès du grand public. Au sein du parti présidentiel, certains s’interrogent d’ailleurs sur leur capacité à tenir tête aux autres patrons de partis, tels Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen.
Agé de 36 ans, M. Guerini a rejoint M. Macron dès 2015, avant de faire partie de la petite équipe qui a fondé En marche ! l’année suivante. Son vaste réseau en Macronie est un héritage de ses années passées dans l’ombre de Dominique Strauss-Kahn. Diplômé de HEC, ce chef d’entreprise avait préparé la candidature de l’ancien ministre de l’économie pour la primaire socialiste de 2006, en compagnie de plusieurs figures désormais au cœur du pouvoir macronien, notamment les conseillers de l’Elysée Ismaël Emelien et Cédric O, ou le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. Des amitiés solides, forgées en Strauss-Kahnie, au sein du QG de l’ex-candidat, situé rue de la Planche à Paris, qui lui permettent, douze ans plus tard, de disposer de puissants soutiens.
Plus jeune, Pierre Person, 29 ans, a lui aussi milité dans les réseaux strauss-kahniens, avant de rejoindre l’actuel chef de l’Etat. Cofondateur, en 2015, du mouvement Les Jeunes avec Macron, l’élu a fait ses classes à l’UNEF et au Mouvement des jeunes socialistes (MJS). Ce membre de la « bande de Poitiers », proche des députés Sacha Houlié (Vienne) et Guillaume Chiche (Deux-Sèvres), ou encore du conseiller de l’Elysée Stéphane Séjourné, a l’avantage de bien connaître la mécanique du mouvement.
« Mains dans le cambouis »
Depuis près d’un an, celui qui se considère comme « un manageur » au sein de LRM a beaucoup œuvré dans l’ombre de M. Castaner, en préparant les prochaines échéances électorales. Plusieurs élus le désignent comme « le mieux placé pour faire tourner la boutique » grâce à sa « connaissance fine » du parti et de ses quelque 120 salariés.« Son atout majeur, c’est d’avoir les mains dans le cambouis depuis un moment », souligne M. Houlié.
Un duel à distance a déjà démarré entre les deux principaux prétendants. La première offensive est venue de M. Guerini, qui a présenté sa candidature le 30 octobre, en revendiquant près de 160 soutiens dans le mouvement, dont une centaine de parlementaires. Parmi eux, figurent des poids lourds du groupe à l’Assemblée, tels le président de la commission des affaires économiques, Roland Lescure, celui de la commission de la défense, Jean-Jacques Bridey, ou la porte-parole, Olivia Grégoire. Une annonce considérée comme « une démonstration de force » dans le camp Guerini, mais perçue chez son rival comme la preuve d’un « retard à rattraper », M. Person étant donné en avance sur le nombre de soutiens dans les comptages internes.
En attendant sa déclaration de candidature, qui devrait intervenir dans les jours à venir, Pierre Person s’active pour gagner cette bataille du nombre de soutiens. Il a jusqu’au 14 novembre, date limite de dépôt des candidatures et des parrainages. Le jeune élu revendique de nombreux appuis chez les référents du mouvement, mais aussi chez les parlementaires, où il rassemble la frange écologiste (Matthieu Orphelin et Barbara Pompili), le pôle social (Brigitte Bourguignon), les « girondins » et des figures comme Cédric Villani. M. Person peut se targuer, en outre, d’être le candidat de la continuité, quasi adoubé par M. Castaner, lors de ses adieux au parti, le 21 octobre.
Conscient du risque d’afficher les divisions internes, le patron par intérim de LRM, Philippe Grangeon, insiste sur le « devoir d’exemplarité » des candidats. Depuis sa désignation à la tête du mouvement, le 19 octobre, ce proche de M. Macron, chargé de veiller à la bonne tenue du scrutin, multiplie les appels à la« vigilance » pour que cette campagne ne vienne pas « abîmer l’image » du parti. Ses mises en garde n’empêchent pas les coups bas et autres manœuvres…
Ces derniers jours, les soutiens de M. Person ont dénoncé des « pressions » de la part de conseillers élyséens et de ministres pour pousser ce dernier à ne pas se présenter. Et pour convaincre certains de ne pas le soutenir. « Il y a beaucoup d’appels et d’envois de SMS » en faveur de M. Guerini, observe un pilier du groupe LRM. De quoi alourdir encore le climat, alors que, dans les deux camps, les couteaux sont tirés. « Person serait bien comme patron du MJS… Mais pour présider le parti présidentiel, c’est délirant ! », assène un partisan de M. Guerini. « Person, au moins, a su rayonner au-delà du périph et de sa commission », rétorque un de ses soutiens.
Une machine en perte de vitesse
Pour l’instant, seul le député des Français de l’étranger, Joachim Son-Forget, entend également participer au scrutin, avec peu de chances d’être désigné. Après avoir marqué leur intérêt pour cette élection, la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, et le député de Paris Sylvain Maillard ont finalement renoncé. La première en raison du potentiel cumul entre son poste au gouvernement et la direction de LRM, alors que la double casquette de M. Castaner avait suscité des critiques. Si leurs noms avaient un temps circulé pour incarner une candidature féminine, les députées Laetitia Avia et Coralie Dubost ont elles aussi jeté l’éponge.
Entre les deux favoris, le vote pourrait être serré. Seule certitude : le prochain patron de LRM aura de nombreux défis à relever pour relancer une machine électorale en perte de vitesse. Il devra notamment renforcer le lien avec les territoires, alors que de nombreux « marcheurs » regrettent un mouvement trop vertical ; mettre le parti en route pour les européennes du 26 mai 2019 et les municipales du printemps 2020. Et, surtout, rendre audible cette jeune organisation, qui peine à se faire entendre face à l’exécutif, depuis le début du quinquennat. « Le mouvement ne doit pas se contenter d’être la dernière roue du carrosse de la Macronie, accrochée à l’Elysée, résume un député LRM. Il doit devenir un moteur autonome. »
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