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mardi 27 novembre 2018

Procès Tron : une affaire presque ordinaire - 3.11.2018

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Procès Tron : une affaire presque ordinaire
Un an après une première audience interrompue, les débats se déroulent dans la sérénité qui sied aux assises
La cour et les jurés de Seine-Saint-Denis qui jugent l’affaire Tron se sont dispersés, mercredi 31 octobre au soir, et ne reprendront leurs travaux que lundi 5 novembre. Sur le fond du dossier – des accusations de viols en réunion et de complicité de ces viols, ainsi que des agressions sexuelles reprochées au maire de Draveil (Essonne) Georges Tron et à son ex-adjointe à la culture Brigitte Gruel – ces dix premiers jours d’audience soulèvent plus de questions que de réponses. Ils apportent en revanche quelques enseignements.
Le premier s’impose comme une évidence : dans un procès d’assises, on juge des accusés et pas une cause. A cet égard, le deuxième procès Tron a déjà franchi un grand pas en comparaison de celui qui s’était ouvert à l’automne 2017 avant d’exploser en vol au bout de quelques jours.
C’est bien l’affaire singulière Georges Tron et Brigitte Gruel qui est jugée à Bobigny et pas le symbole collectif de la parole des femmes dans l’ère post-Weinstein. Pas de clameur au dehors, pas d’omniprésence dans les chaînes d’information en continu ou sur les réseaux sociaux, pas d’« Envoyé spécial » diffusé en plein procès avec l’une des plaignantes, Virginie Faux, en invitée majuscule et sans contradicteur.
Cette baisse de pression médiatique qui a ramené de la sérénité dans un débat qui en avait cruellement manqué a deux conséquences. Elle prive les avocats du maire de Draveil et de son ex-adjointe – Mes Eric Dupond-Moretti, Antoine Vey et Frank Natali – d’un argument de défense aussi légitime qu’efficace qui consistait à dénoncer un climat déséquilibré au détriment de leurs clients. Elle ramène les deux accusatrices, Virginie Faux et Eva Loubrieu, à leur statut judiciaire de plaignantes et non à celui de victimes que l’emballement médiatique leur avait a priori décerné.
Virginie Faux qui a répondu, mercredi, à son premier interrogatoire sur les faits, n’est plus tout à fait celle qui était apparue la première fois, drapée dans les oripeaux trop grands pour elle de porte-parole des femmes victimes des violences sexuelles. Elle y a paradoxalement gagné, sinon en crédibilité, du moins en authenticité.
Elle use plus de ses mots à elle que des formules prêtes-à-penser des autres, elle ne s’offusque plus des questions nécessairement rudes qui lui sont posées, fait preuve de davantage de prudence dans ses réponses. « Je ne voudrais pas dire de choses fausses, je ne voudrais pas inventer », a-t-elle répété.
Elle réserve sa fermeté au récit de deux scènes, l’une, en novembre 2009, qui vaut respectivement à Georges Tron et Brigitte Gruel, une accusation de viol par pénétration digitale et de complicité de ce viol, et l’autre en janvier 2010, qualifiée d’agression sexuelle.
Le président de la cour, Philippe Coirre, lui rappelle la définition du code pénal. « Pour être constitué, le viol nécessite un rapport exercé sous violence, menace, surprise ou contrainte. » « La violence, non. La surprise, oui. La contrainte, c’est difficile à expliquer. Je n’ai pas ressenti de contrainte physique, mais psychologique. Je me sentais comme un jouet, une poupée gonflable, j’ai subi, ils l’ont bien vu, je n’ai pas su réagir », répond-elle.

Un récit fragile

Pour l’autre scène de triolisme qu’elle dénonce et qui aurait eu lieu au domicile de Brigitte Gruel, au prétexte d’une réunion d’agenda du maire, Virginie Faux poursuit : « Ce jour-là, je portais des collants, Georges Tron n’a pas pu accéder à mes parties intimes. » Elle raconte des « caresses subies » et d’autres que son patron lui aurait demandé de faire à Brigitte Gruel. « Pouvaient-ils penser que vous étiez consentante ?
 Pas du tout ! J’étais inerte. »
En novembre 2009, puis en avril 2010, Virginie Faux fait deux tentatives de suicide. En mai 2010, elle donne sa démission de la mairie de Draveil. Sa lettre est accompagnée d’un mot adressé à « Georges » dans lequel elle écrit : « Je tenais à vous dire merci. J’ai adoré travailler à vos côtés. Mais je souhaite trouver un autre poste. »
« Pourquoi ce mot ?, lui demande le président.
– J’étais en arrêt maladie. On m’avait dit que je devais lui apporter ma lettre. Mais je ne voulais pas le revoir. »
Quelques mois plus tard, elle se confie à l’Association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) et décide de porter plainte. C’est seulement à ce moment-là, dit-elle, qu’elle contacte Eva Loubrieu, dont la rumeur rapportait qu’elle avait elle aussi eu des relations sexuelles avec les deux élus, d’abord consentantes, puis subies, avant d’être écartée de ses fonctions. « Elle ne voulait pas porter plainte au début. J’ai voulu l’utiliser pour ne pas être seule, c’est vrai », dit-elle.
Avec ses approximations de dates, ses contradictions au fil de l’instruction, le récit de Virginie Faux est fragile. Le président le lui rappelle : « Vous comprenez, madame, que ces incohérences puissent vous être reprochées ?
– Oui. Je suis désolée pour tout cela. Mais si j’avais voulu inventer, j’aurais pu raconter beaucoup de choses. J’ai raconté deux faits et ces deux faits, c’est la vérité. »
Le deuxième enseignement de ce procès est qu’une audience se construit selon un calendrier et que ce calendrier n’est pas neutre. Le choix fait par le président Philippe Coirre d’entendre d’abord les très nombreux témoins de ce dossier avant de procéder aux interrogatoires des plaignantes inscrit leur propos dans un contexte. Les déclarations de Virginie Faux sur sa première rencontre avec Georges Tron à sa permanence, la proposition immédiate qu’il lui a faite d’une initiation à la réflexologie plantaire, son embauche rapide après qu’elle eût accepté une deuxième séance de massages au restaurant, puis la dérive sexuelle qu’elle dénonce à l’occasion de rendez-vous de travail, rencontraient un écho dans les dépositions de plusieurs femmes sur l’étrange climat qui régnait au cabinet du maire ou à sa permanence de député.

Théorie du complot

Ces autres employées de la mairie de Draveil ou ex-assistantes parlementaires de l’élu de l’Essonne ont évoqué, elles aussi, la bizarrerie de leur premier entretien, les massages qui deviennent caresses appuyées une fois embauchées, mais aussi les mises à l’écart professionnelles, voire les pressions ou les menaces pour celles qui, après avoir cédé, refusaient de poursuivre dans cette voie.
D’autres témoignages ont suscité le doute sur le démenti farouche que tant Georges Tron que Brigitte Gruel opposent à la liaison qui leur est prêtée. Une ancienne directrice des services municipaux a notamment raconté les relations consenties de triolisme qu’elle a eues avec eux deux, ainsi qu’avec une autre femme, en présence, à la demande, et avec la participation de Georges Tron. Ces dépositions ne constituent en rien une preuve de la véracité des faits de viols et d’agressions sexuelles qui leur sont reprochés. Mais elles affaiblissent la théorie du complot dont Georges Tron et Brigitte Gruel se disent victimes de la part de leurs adversaires politiques. Elles écornent aussi leur défense qui tend à présenter les deux plaignantes comme des déséquilibrées affabulatrices.
Toutes ces femmes – plaignantes ou témoins – mentent, disent-ils. Cela fait beaucoup. A se demander pour quelles raisons autant de femmes menteuses et ou déséquilibrées ont été choisies et embauchées par le maire ou le député à son cabinet. Dans ce procès Georges Tron, ramené à une affaire presque ordinaire, la vérité judiciaire, à laquelle on ne demande pas d’être la vérité tout court, devra se frayer un chemin entre des plaignantes accusées de mensonges et des accusés qui, eux, ont le droit de mentir.

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