Teodoro Petkoff
Figure de la gauche vénézuélienne
Personnalité de la politique au Venezuela pendant six décennies, Teodoro Petkoff, décédé le mercredi 31 octobre, à l’âge de 86 ans, est parvenu à réinventer sa vie plusieurs fois et à réorienter la gauche par la même occasion. Jeune communiste, il participe à la résistance contre la dictature du général Marcos Pérez Jimenez (1952-1958). Ensuite, il est de ceux qui ont lancé le Parti communiste vénézuélien (PCV) dans la lutte armée, alors qu’un président social-démocrate, Romulo Betancourt (1959-1964), avait été élu avec un large soutien. Il est aussi un des premiers à reconnaître que la guérilla était une impasse.
En 1968, il condamne l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie et provoque une polémique qui l’amène, trois ans plus tard, à fonder le Mouvement pour le socialisme (MAS). Lorsque ce parti soutient la candidature du lieutenant-colonel Hugo Chavez à la présidence, en 1998, il s’en écarte car il ne fait pas confiance au militaire putschiste. Le journaliste prend désormais la relève du militant, pour décrypter le chavisme, mais aussi pour critiquer vertement les écarts de l’opposition.
Teodoro Petkoff était né le 3 janvier 1932 à Maracaibo, capitale pétrolière du Venezuela. Son père, Petko Petkoff, était un communiste bulgare, réfugié au Venezuela avec son épouse, Ida Malec, une juive polonaise, médecin douée pour les langues, passée par la Sorbonne. Leur fils aîné dévore les livres et découvre Les Misérables, de Victor Hugo. A Caracas, il fait des études universitaires d’économie et propose au journal du PCV d’écrire la chronique sportive : il est fan de baseball.
Autocritique sévère
La dictature de Pérez Jimenez n’est pas tendre pour les clandestins : le jeune homme subit la torture et fait ses premiers séjours en prison – il y en aura six, dont un de trois ans, au cours duquel il apprend le français et l’anglais. L’avènement de la démocratie, en 1958, ne calme pas les esprits, car la jeunesse radicalisée rêve d’imiter Fidel Castro à Cuba. Le PCV et La Havane se lancent donc dans le maquis. Les principaux exploits de Petkoff sont deux évasions spectaculaires ; l’une individuelle, en 1963, en descendant sept étages de l’hôpital militaire par une corde ; l’autre collective, en 1967, grâce à un tunnel creusé de l’extérieur jusqu’à la cellule où se trouvent des dirigeants du PCV. Son autocritique de la stratégie castriste est sévère :« Politiquement, ce fut une erreur trop grave pour qu’on puisse la revendiquer au nom de quoi que ce soit. Une erreur gravissime qui coûta des vies, des années de prison, et fit un tort énorme à la gauche. »
Il condamne aussi les tanks soviétiques à Prague, alors que Castro s’aligne sur Moscou. L’ouvrage Checoslovaquia : El Socialismo como problema (« Tchécoslovaquie : le socialisme comme problème », 1969, non traduit) remet en cause le totalitarisme et lui vaut d’être montré du doigt par la Pravda. Le stalinisme a entaché le communisme et c’est donc un virage vers une social-démocratie moderne qu’effectue son nouveau parti, le MAS, suscitant un immense espoir. Ainsi, l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, pourtant ami de Castro, donne au MAS l’argent du prix littéraire Romulo-Gallegos.
Cependant, le MAS ne parvient pas à percer à cause du bipartisme vénézuélien, qui assure l’alternance entre la vieille social-démocratie et la démocratie chrétienne. Petkoff paye de sa personne, en se présentant deux fois à l’élection présidentielle (en 1983 et 1988), sans succès. Lorsque la démocratie semble vaciller, il accepte d’être le ministre du plan du président Rafael Caldera (1994-1999), un social-chrétien en rupture de ban. Cela reste sa décision la plus controversée.
C’est Hugo Chavez qui leur succédera. « Hola, Hugo », titre le premier numéro du quotidien Tal Cual, en 2000. Petkoff écrit ses éditoriaux dans une salle minuscule, où il consent à « se soumettre à un entretien » du confrère étranger de passage, tout en engueulant au téléphone un jeune dirigeant de l’opposition qui n’a pas la maturité intellectuelle et la sensibilité sociale souhaitables. Dans un ouvrage de 2005, non traduit, il fait la distinction entre « deux gauches » : la gauche populiste, avec un penchant autoritaire et messianique, incarnée par Chavez, et la gauche réformiste et républicaine, dont il sera resté la conscience morale et le père fouettard.
3 janvier 1932 Naissance à Maracaïbo (Venezuela)
1971 Fondation du Mouvement pour le socialisme (MAS)
2000-2015 Dirige le quotidien « Tal Cual »
31 octobre 2018 Mort à 86 ans
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