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mardi 27 novembre 2018

Trump et ses mots -le 3.11.2018


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INTERNATIONAL|CHRONIQUE
Trump et ses mots
Au commencement était le Verbe, et Donald Trump connaît sa Bible : les mots comptent. Les siens pèsent d’un poids particulier parce que l’institution présidentielle aux Etats-Unis est d’abord cela : un pupitre, une chaire nationale, le bully pulpit, disait Theodore Roosevelt (1858-1919). Les mots de Donald Trump tout à la fois reflètent et façonnent l’état d’esprit du pays.
Ils ont donné le ton, la musique de ces derniers jours de campagne avant les scrutins législatifs de mi-mandat, le 6 novembre. Comme ces élections sont aussi un référendum sur sa personne, Trump a ressorti la partition qui lui a permis de l’emporter en 2016 : diviser les Américains, provoquer les uns pour réjouir les autres, ceux qui forment le noyau dur de ses électeurs. Seulement, les mots du président résonnent d’un écho particulier quand les Etats-Unis traversent une des vagues de violence dont ils sont coutumiers. Ce sont des mots à risques.
L’attentat de la synagogue de Pittsburgh, samedi 27 octobre – 11 morts – a eu lieu sur fond de regain de manifestations antisémites dans le pays (plus 57 % en 2017). Le suspect, un familier des sites suprémacistes blancs, avait tout de même été jugé suffisamment équilibré pour acheter, en toute légalité, pas moins de six armes à feu dont le fusil d’assaut automatique, de type AR-15, qu’il a utilisé dans la synagogue. La première réaction de Trump a été d’être fidèle à l’éternel mantra de la National Rifle Association, le lobby des armes à feu : nier que ce type de massacre ait quelque chose à voir avec le libre commerce des fusils d’assaut. Pour le reste, il a incriminé « la fatalité ».

Diabolisation systématique

Fatalité aussi, sans doute, que le double meurtre d’Afro-Américains tués le 24 octobre dans une épicerie du Kentucky par un Blanc, solidement armé en dépit d’un passé psychiatrique malheureux. La semaine avait commencé avec la campagne de lettres piégées adressées, du 22 au 25 octobre, à des personnalités de l’opposition démocrate. Fatalité encore ?
Deux ans de rhétorique trumpiste, faite d’attaques personnelles et de bobards géants, ont donné une idée du débat politique selon ce président : en paroles, tout est permis. Au nom du parler vrai, qui serait l’opposé du politiquement correct, le New Yorkais fait sauter bien des tabous qui sont autant de barrières de sécurité. Seulement, encore une fois, les mots pèsent. La rhétorique peut attiser les haines. La diabolisation systématique de l’adversaire n’est jamais sans conséquences. Le manichéisme entendu comme principe central du débat politique supprime « l’adversaire pour lui substituer l’ennemi », explique le politologue Dick Howard. Un ennemi, on le terrasse, et l’objectif justifie tous les excès verbaux.
Adulé des foules républicaines, voilà Trump en campagne. Plus le propos est délirant, plus l’enthousiasme est au rendez-vous. Ces dernières semaines, il laissait entendre que des terroristes moyen-orientaux avaient pris place dans la caravane de quelques milliers de Honduriens se dirigeant vers la frontière des Etats-Unis. Ce n’était pas assez gros. Il a ajouté, rapporte le Financial Times, que ladite caravane était payée par les démocrates, lesquels, a-t-il poursuivi, sont financés par George Soros. Message : le financier, ce « globaliste » de Wall Street, est indirectement complice du terrorisme.
Corrélation n’est pas causalité, apprend-on en cours de philosophie. Mais les personnalités démocrates visées figurent toutes parmi les cibles préférées des attaques du président : Obama, Hillary Clinton, Soros, Joe Biden et, au titre des journalistes « ennemis du peuple », la chaîne CNN. La police a arrêté en Floride un électeur républicain au casier judiciaire chargé et à l’esprit dérangé, qu’elle soupçonne être l’auteur de l’envoi des colis piégés.
Trump connaît la part de violence de l’histoire politique américaine. Avec ses mots, il n’en tisonne pas moins la braise des passions les plus dangereuses. Le parti républicain n’est pour rien dans l’envoi de ces colis piégés. S’il est avéré coupable, l’artificier amateur de Floride sera bel et bien le seul et l’unique auteur de ces actes de terreur – et rien ne viendra altérer sa responsabilité individuelle. Le meurtrier, c’est celui qui appuie sur la gâchette, pas le contexte. Il reste ceci, cependant : le discours trumpiste flirte avec les zones à risques de l’inconscient américain.
Le président a réagi en trois temps. Il a d’abord dénoncé des « actes terroristes » qui n’ont pas leur place dans la vie politique nationale. Puis, la nature reprenant le dessus, c’est-à-dire chez lui une propension à céder à toutes sortes de théories du complot, il a laissé entendre que, ma foi, les démocrates pourraient bien être responsables de l’envoi des colis piégés. La veille des élections, à qui profite le crime, n’est-ce pas ? Trumpissime, enfin, après que le FBI a arrêté l’homme de Floride, le président a accusé la presse d’être à l’origine du climat de violence dans le pays.
Cette dénonciation récurrente des journalistes, « ça marche », titre le New York Times. Cela confirme les électeurs de Trump dans leur perception quasi paranoïaque d’une conspiration des élites contre leur président. « Oui, le président ment à dessein », dit Anthony Scaramucci, qui fut brièvement son chef de la communication à la Maison Blanche. Sa stratégie n’est pas de rassembler, mais de diviser. Ses mots ne réparent pas, ils sont là pour mobiliser son électorat. « Donald Trump a lâché la bride aux chiens de la haine », disait dans l’hebdomadaire The New Yorker David Gergen, un des vieux manitous du parti républicain « d’avant ». Commentant l’envoi des colis piégés, Gergen ajoutait : « Il était inévitable que cela débouche sur de la violence. » Car le verbe est au commencement.

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