30
Jan
2015
[Ils ne sont pas Charlie...] Schlomo Sand, Jean Ortiz, UJFP…
Les-crises.fr condamne sans ambiguïté les attentats de Paris – tout comme toutes les incitations à la haine et tous les terrorismes – des forts comme des faibles.
Je ne suis pas Charlie par Shlomo Sand
mardi 13 janvier 2015
Rien ne peut justifier un assassinat, a fortiori le meurtre de masse commis de sang-froid. Ce qui s’est passé à Paris, en ce début du mois de janvier constitue un crime absolument inexcusable. Dire cela n’a rien d’original : des millions de personnes pensent et le ressentent ainsi, à juste titre. Cependant, au vu de cette épouvantable tragédie, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit est la suivante : le profond dégoût éprouvé face au meurtre doit-il obligatoirement conduire à s’identifier avec l’action des victimes ? Dois-je être Charlie parce que les victimes étaient l’incarnation suprême de la liberté d’expression, comme l’a déclaré le Président de la République ? Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales ?
Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j’avais vues bien antérieurement, m’étaient apparues de mauvais goût ; seule une minorité d’entre elles me faisaient rire. Mais, là n’est pas le problème ! Dans la majorité des caricatures sur l’islam publiées par l’hebdomadaire, au cours de la dernière décennie, j’ai relevé une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans. La reproduction par Charlie des caricatures publiées dans le journal danois m’a semblé abominable. Déjà, en 2006, j’avais perçu comme une pure provocation, le dessin de Mahomet coiffé d’un turban flanqué d’une grenade. Ce n’était pas tant une caricature contre les islamistes qu’une assimilation stupide de l’islam à la terreur ; c’est comme si l’on identifiait le judaïsme avec l’argent !
On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue. Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».
En 1886, fut publiée à Paris La France juive d’Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre : Soumission, « La France musulmane » de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable « bestseller » de la fin du 19ème siècle ; avant même sa parution en librairie, Soumission était déjà un bestseller ! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d’une large et chaleureuse réception journalistique. Quelle différence y a t’il entre eux ? Houellebecq sait qu’au début du 21ème siècle, il est interdit d’agiter une menace juive, mais qu’il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. Alain Soral, moins futé, n’a pas encore compris cela, et de ce fait, il s’est marginalisé dans les médias… et c’est tant mieux ! Houellebecq, en revanche, a été invité, avec tous les honneurs, au journal de 20 heures sur la chaine de télévision du service public, à la veille de la sortie de son livre qui participe à la diffusion de la haine et de la peur, tout autant que les écrits pervers de Soral.
Un vent mauvais, un vent fétide de racisme dangereux, flotte sur l’Europe : il existe une différence fondamentale entre le fait de s’en prendre à une religion ou à une croyance dominante dans une société, et celui d’attenter ou d’inciter contre la religion d’une minorité dominée. Si, du sein de la civilisation judéo-musulmane : en Arabie saoudite, dans les Emirats du Golfe s’élevaient aujourd’hui des protestations et des mises en gardes contre la religion dominante qui opprime des travailleurs par milliers, et des millions de femmes, nous aurions le devoir de soutenir les protestataires persécutés. Or, comme l’on sait, les dirigeants occidentaux, loin d’encourager les « voltairiens et les rousseauistes » au Moyen-Orient, apportent tout leur soutien aux régimes religieux les plus répressifs.
En revanche, en France ou au Danemark, en Allemagne ou en Espagne où vivent des millions de travailleurs musulmans, le plus souvent affectés aux tâches les plus pénibles, au bas de l’échelle sociale, il faut faire preuve de la plus grande prudence avant de critiquer l’islam, et surtout ne pas le ridiculiser grossièrement. Aujourd’hui, et tout particulièrement après ce terrible massacre, ma sympathie va aux musulmans qui vivent dans les ghettos adjacents aux métropoles, qui risquent fort de devenir les secondes victimes des meurtres perpétrés à Charlie Hebdo et dans le supermarché Hyper casher. Je continue de prendre pour modèle de référence le « Charlie » originel : le grand Charlie Chaplin qui ne s’est jamais moqué des pauvres et des non instruits.
De plus, et sachant que tout texte s’inscrit dans un contexte, comment ne pas s’interroger sur le fait que, depuis plus d’un an, tant de soldats français sont présents en Afrique pour « combattre contre les djihadistes », alors même qu’aucun débat public sérieux n’a eu lieu en France sur l’utilité où les dommages de ces interventions militaires ? Le gendarme colonialiste d’hier, qui porte une responsabilité incontestable dans l’héritage chaotique des frontières et des régimes, est aujourd’hui « rappelé » pour réinstaurer le « droit » à l’aide de sa force de gendarmerie néocoloniale. Avec le gendarme américain, responsable de l’énorme destruction en Irak, sans en avoir jamais émis le moindre regret, il participe aux bombardements des bases de « daesch ». Allié aux dirigeants saoudiens « éclairés », et à d’autres chauds partisans de la « liberté d’expression » au Moyen-Orient, il préserve les frontières du partage illogique qu’il a imposées, il y a un siècle, selon ses intérêts impérialistes. Il est appelé pour bombarder ceux qui menacent les précieux puits de pétrole dont il consomme le produit, sans comprendre que, ce faisant, il invite le risque de la terreur au sein de la métropole.
Mais au fond, il se peut qu’il ait bien compris ! L’Occident éclairé n’est peut-être pas la victime si naïve et innocente en laquelle il aime se présenter ! Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour fermer les yeux sur les données dans lesquelles s’inscrit cette tragédie.
C’est aussi faire preuve d’aveuglement que de ne pas comprendre que cette situation conflictuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas ensemble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables perspectives du vivre ensemble sans la haine de l’autre.
Shlomo Sand
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)
Source : http://www.ujfp.org
Je ne veux pas partager mon deuil et ma douleur avec eux, par Jean Ortiz
Les monstres qui ont commis ce crime inqualifiable au siège de Charlie Hebdo, l’hebdo insoumis, provocateur, antiraciste, humaniste (mais qui fut injuste envers ce site où j’écris), sont des hommes formatés par des courants religieux fascisants, par des Etats théocratiques « fondamentalistes », « amis de la France », pour faire taire l’esprit critique, l’humour, l’anticonformisme, la pensée libre, la laïcité, la création sans rivages… Ils n’ont aucune excuse.
J’ai du mal à concevoir que des hommes aient pu à ce point s’aliéner, s’avilir, se fanatiser, se laisser manipuler, s’animaliser, pour produire une telle barbarie.
Je suis en deuil. Le crime de ces assassins vise notre République, celle des Lumières, du contrat social, des droits de l’homme, de l’égalité entre eux, de la liberté pleine et entière… Cette « gueuse » que sociaux et néolibéraux n’ont de cesse, depuis plus de trente ans, de dépecer, de démonter, d’affaiblir par l’explosion des inégalités, le communautarisme, l’instrumentalisation du racisme, la concurrence à tout crin, par le rabougrissement de l’Etat, la multiplication des brisures sociales, la ruée contre les services publics et les biens communs, la casse de l’ascenseur social scolaire, jadis intégrateur, la pratique de l’amalgame délétère « Islam = terrorisme » , le « no future » pour des millions de jeunes Français, quelle que soit leur origine.
Et on voudrait aujourd’hui que je défende, au nom de la douleur, ma République sociale et démocratique bras-dessus bras-dessous avec ses fossoyeurs, avec ceux qui, à force de déifier le marché, de le débrider toujours plus, de tout marchandiser, de dépolitiser, ont laissé le champ libre aux intégrismes de toutes sortes ?
Oui, je crois à la nécessaire, à l’urgente unité populaire et républicaine, mais avec tous les Républicains sincères, tous ceux qui partagent ces valeur de base, la tolérance, l’ouverture à l’autre, la justice sociale, le débat sans corsets, la liberté sans demi-mesure, et notamment celle des médias ; oui, je crois à l’unité avec tous ceux qui défendent le pluralisme de l’information… pas avec les hypocrites qui pleurent aujourd’hui sur la République menacée et qui n’ont cessé d’attiser les haines raciales, les vieilles peurs, de stigmatiser l’autre, de détruire toute espérance progressiste…
Qu’ont-ils fait pour éradiquer la Bête ?
Que viennent-ils pleurnicher aujourd’hui sur la liberté de la presse alors que Charlie Hebdo était sur le point de déposer le bilan, que le pouvoir rend chaque jour la vie plus difficile, par des dispositions mortifères à « l’Humanité », au « Monde Diplomatique » ? De quelle liberté d’information parle-t-on ? De celle sous la coupe des marchands d’armes, des bétonneurs, des chiens de garde de l’oligarchie, du latifundium médiatique désinformateur, de la pensée unique et cynique.
Oui, je crois à l’unité populaire et républicaine face à la barbarie, mais avec tous ceux qui consacrent beaucoup d’énergie à solidariser, à « faire pays » quand les autres l’atomisent, le livrent à la guerre de tous contre tous, le blessent, le défigurent, en font une jungle. Je me souviens que lorsque Charlie Hebdo nous gratifiait de quelques « unes » décapantes, les moralisateurs venaient faire la leçon à ces « dangereux agitateurs ».
Alors, oui, je suis en deuil, je l’assume, je le revendique. Il y a danger, il faut se rassembler. Oui, j’ai mal, mais je ne veux pas partager ce deuil et cette douleur avec ceux qui ont contribué à créer le climat nauséabond et létal qui ronge notre pays depuis des années. Oui, l’islamisme, comme tous les intégrismes, est un danger. Mais qui arme et entraîne ces monstres ? Le Qatar, l’Arabie Saoudite, les Emirats, ces Etats voyous, extrémistes, obscurantistes, valets de l’impérialisme français, qui blanchissent les milliards sales dans des paradis fiscaux, garantissent aux multinationales occidentales une chasse gardée pétrolière, piétinent les droits de l’homme et des femmes, combattent les laïques et la gauche… Comment peut-on à la fois s’ériger en gendarme international contre les groupes terroristes, et livrer, par exemple, le Paris-Saint-Germain au Qatar ?
Alors, oui, je manifesterai, le cœur et la colère gros, mais en prenant soin d’éviter les infréquentables. Je ne veux pas, je le redis, partager ce deuil et cette douleur avec eux.
Jean Ortiz
EN COMPLEMENT, 10 janvier
Dimanche : la manifestation « historique », « consensuelle » et les tireurs de ficelle
Une provocation absolue ?
Tout ce que j’écrivais hier soir, à contre courant, sous le titre : « Je ne veux pas partager mon deuil et ma colère avec eux » s’avère de plus en plus fondé, justifié. La récupération politicienne de la douleur n’a guère attendu que le sang sèche…
Quel est le statut de la manifestation « historique » de dimanche ? Qui sont les organisateurs ? Si l’on s’en tient aux médias, c’est F. Hollande et M. Valls qui l’organisent, qui invitent, dans un souci désintéressé d’ « unité nationale »… et nullement de remontée dans les sondages. La lutte contre le terrorisme, nécessaire, sert de prétexte à l’ « union sacrée », à la relégation des questions sociales, des causes et des ravages de la crise, des fruits pourris de la violence, du terrorisme, sert à l’abdication devant les inégalités, source d’affrontements, devant la pauvreté, l’exclusion, l’affaiblissement de la laïcité, l’obscurantisme, qui gagnent du terrain…
Manifestement, le chef de l’Etat et le premier ministre font une OPA sur la manifestation, en instrumentalisant la douleur et l’émotion. On annonce ce soir la présence du massacreur de Gaza, le criminel de guerre Netanyahou. Si cela est vrai, c’est une provocation absolue, irresponsable, anti-laïque, anti-républicaine, anti droits de l’homme, anti-démocratique, nauséabonde, avec du sang sur les mains. Une provocation absolue.
Comment peut-on manifester pour défendre la République, aux côtés du néo-franquiste Mariano Rajoy, qui combat en Espagne le rétablissement de la République, qui fait une loi pour criminaliser les mouvements sociaux, qui s’accommode de 130 000 Républicains « disparus » dans des fosses communes, qui subventionne le parc thématique fasciste du « Valle de los Caidos » (Patrimonio real), qui s’en prend aux droits des femmes, qui contraint près de 50% des jeunes diplômés au chômage et à l’exil ? Lui offrir un vernis de défenseur de la démocratie, à quelques mois d’élections générales, où la gauche de gauche (Podemos, Izquierda Unida…) peut gagner, ce n’est pas aider l’alternative possible. Quant à la présence de Merkel, Cameron, Renzi, des sabreurs de l’Union Européenne, il faudra se boucher le nez et les oreilles. Oui, il y a « hold-up » sur l’indignation populaire contre la haine, la violence, l’intolérance…
Jamais « l’union sacrée » n’a servi l’intérêt des peuples.
Être ou ne pas être Charlie – là n’est pas la question
Union Juive pour la Paix
Dans le chaos provoqué par l’attentat monstrueux qui a coûté la vie à douze êtres humains, il n’est pas facile de se situer : Entre ceux qui expriment uniquement douleur et colère justifiées, ceux qui « craignent les amalgames » et ceux qui appellent à l’union nationale (et internationale) contre l’Islamisme radical sous la bannière du slogan « je suis Charlie ».
Dans le chaos provoqué par l’attentat monstrueux qui a coûté la vie à douze êtres humains, il n’est pas facile de se situer : Entre ceux qui expriment uniquement douleur et colère justifiées, ceux qui « craignent les amalgames » et ceux qui appellent à l’union nationale (et internationale) contre l’Islamisme radical sous la bannière du slogan « je suis Charlie ».
Bien sûr, le crime appelle douleur et colère, mais contre quoi exactement ?
Ce massacre ignoble est revendiqué par des individus qui se disent membres de Al Qaida. La nécessité absolue de combattre les mouvances obscurantistes de l’islamisme radical ne doit pas nous rendre amnésique. Ces courants qui s’imposent par la terreur affirment commettre leurs crimes au nom de l’Islam. Leur développement a été rendu possible par les interventions impérialistes, le démembrement des États et l’utilisation par l’Occident de ce courant contre les forces progressistes. En France, la situation sociale insupportable que vit la population issue de l’immigration post-coloniale, le racisme d’État, l’islamophobie, les discriminations, la stigmatisation ou les contrôles au faciès portent une responsabilité évidente dans l’essor de ce courant qui touche en réalité une frange marginale d’une jeunesse de toutes origines mais sans horizon.
Bien sûr le crime risque de provoquer des amalgames. Mais ces amalgames sont-ils nouveaux ? Charlie Hebdo, qui a longtemps représenté pour nous l’impertinence, l’insolence de mai soixante-huit, Wolinski, Cabu, l’écologie, RESF, ne s’est-t-il pas justement distingué dans l’art graphique et politique de l’amalgame depuis des années ? Et que les choses soient claires, personne ici ne dit qu’il n’avait pas la liberté de le faire et il a eu toute liberté de le faire des années durant.
Avoir la moindre complaisance ou compréhension pour des assassins de dessinateurs ou pour la mise à mort de gens en raison de leurs idées est insensé.
Mais Charlie Hebdo a mené une bataille politique. Et occulter et faire oublier dans quel contexte il publiait ses caricatures faisait partie de sa bataille politique.
Peut-on imaginer des caricatures émanant de journaux progressistes critiquant la religion juive pendant les années trente au moment de la montée de l’antisémitisme et de la persécution des juifs ? Et nous ne parlons pas ici de caricatures antisémites de l’époque mais de caricatures critiquant la religion juive.
Comment la critique des religions pourrait-elle faire abstraction du rapport dominant/dominé ? Critiquer les religions cela se fait aussi dans un contexte, dans un moment politique qui n’est aucunement neutre à l’égard des musulmans. Les actes de Charlie Hebdo, et les caricatures et les articles sont des actes et ont participé au développement de l’islamophobie en France. Développement du mépris et du racisme à l’encontre de tous les musulmans, des lois chargées de protéger « la laïcité à la française » contre eux, des mosquées attaquées, des agressions physiques contre des gens “d’apparence musulmane”. Leur désignation comme boucs émissaires de la crise économique et sociale, qu’ils subissent aussi et souvent en première ligne, à l’aide des « amalgames » est en marche depuis des années.
Des ghettos et des discriminations, il n’en est pas question aujourd’hui, l’« union nationale » peut se faire avec le sang de tous ces morts, contre les musulmans, des mosquées brûlent déjà (encore), le terrain a été préparé de longue date.
Le “suicide français” est en marche annonçait le mois dernier un autre Charlot.
“L’Union Nationale” et “l’Union Sacrée” que l’émotion autour du massacre qui vient d’être commis essaie de nous imposer, manipulent les sentiments d’horreur et de révolte légitimes au service d’autres significations bien plus complexes et douteuses. La liberté d’expression n’est pas menacée en France, même la plus raciste. Nous ne sommes pas dans le camp de ceux qui soutiennent le racisme d’État ou les interventions impérialistes. Nous n’acceptons pas le “choc des civilisations” et la logique “terrorisme/antiterrorisme”. Nous refusons d’avance toutes les nouvelles lois “sécuritaires” et toutes les nouvelles formes de discrimination ou d’injonction à l’égard des musulmans que cette union nationale ne peut manquer de produire. .
Alors aujourd’hui craindre l’amalgame nous semble plus qu’insuffisant. La France se dit un État de droit, les criminels doivent être arrêtés et jugés pour leurs crimes [Là, ils ont été abattus. Note du GS]. Mais leur crime va bien au-delà, il vient en réalité de libérer la politique de l’amalgame, et du bouc émissaire. En ce sens les bourreaux comme les victimes de l’attentat étaient partie prenante de la guerre des civilisations. En ce sens, si les assassins nous font horreur, Charlie n’était pas et n’est pas pour autant notre ami et « nous ne sommes pas Charlie ». Si notre solidarité et notre profonde compassion vont à tous les journalistes, salariés, policiers, victimes innocentes de cette tragédie et à leurs familles, l’union qu’il faut construire aujourd’hui est celle d’une France qui accepte d’être enfin celle de tous ses citoyens, musulmans inclus. La bataille contre le terrorisme passera par la bataille pour l’égalité, la justice, la reconnaissance de la France d’aujourd’hui dans toute sa diversité source d’immense richesse. Pour qu’au bout de cette nuit, le jour se lève, nous devons être aujourd’hui des musulmans.
Bureau national de l’UJFP le 9 janvier 2015
A la hauteur de nos idéaux
Auteur : A. Serend / Citoyen français, comédien et metteur en scène de 30 ans
Il y a 3 semaines, deux individus armés ont assassiné les membres de la rédaction d’un journal satirique, provoquant un soulèvement populaire.
Ce n’est pas un acte de guerre, même si la violence et les armes choisies tendent à nous faire croire le contraire. Il ne s’agit pas de deux armées qui s’affrontent à visage découvert. Il ne s’agit pas de deux peuples, deux religions ou deux civilisations qui s’opposent. Non, c’est l’immense majorité des citoyens qui s’oppose aux crimes d’une poignée d’individus utilisant des moyens condamnés par une croyance qu’ils revendiquent mais qu’ils ne font qu’insulter.
J’entends ici et là qu’on demande aux musulmans de se dissocier de ces atrocités. J’entends ici et là que les musulmans devraient se désolidariser des terroristes. C’est une demande, une attente qui en plus d’être insultante est contre-productive. Contre-productive, parce qu’en les considérant par défaut comme part d’un ensemble dont ils seraient membres, elle confère de facto aux terroristes la légitimité qu’ils revendiquent : celle de parler au nom d’un tout. Insultante parce qu’elle part du postulat que les musulmans sont associés dans leur majorité aux actes de croyants qui n’en ont que l’appellation. Il ne suffit pas de se proclamer pieux pour l’être, ou de se dire porte-parole d’une cause pour être considéré ainsi. Non, il faut que la réalité, les actes soient en accord avec ces affirmations, et lorsque celles-ci s’opposent, il est du bon sens de considérer les faits et non ce qui est annoncé. Suffit-il de se prétendre oiseau pour être capable de voler ?
Et tout comme il n’y a pas deux France, il n’y a pas deux Islam. Non, ce que certains nomment Islam pour justifier leurs exactions n’en a pas une once d’âme : c’est une coquille vide qui se prétend un navire. En le qualifiant de radical, de fondamentaliste, ou d’intégriste, nous passons à côté de ce qu’il n’est pas.
Certains pensent – à raison ou à tort – que Charlie Hebdo n’était pas d’une grande bienveillance ni d’une grande prudence au nom de sa liberté d’expression : c’était à la fois son plus grand droit et ne justifie en rien le sort qu’ils ont connu. Les règles qui concernent une communauté ne s’appliquent pas à ceux qui n’en sont pas. A-t-on vu les lois françaises s’appliquer à la Suisse ? L’interdiction de représentation du prophète de l’islam ne s’applique qu’aux musulmans. Et la liberté d’expression est un droit garant de notre système démocratique, parce que sans elle, pas de débat. Il est donc important qu’on soit à la fois d’une absolue certitude quant à nos droits et dans le même temps d’une grande responsabilité face au pouvoir que ceux-ci nous confèrent.
Car avoir le droit ne signifie pas être pertinent, ni être juste. La loi ne rend pas mes propos intelligents ou bienveillants. Ce que la justice autorise sur la forme ne valide aucunement le fond. Et croire qu’un dessin n’est qu’un dessin, ou qu’une œuvre artistique ou humoristique n’a pas de portée politique, c’est nier le pouvoir de cette expression dont nous cherchons à garantir l’usage, c’est nier ce pouvoir et les responsabilités qui lui sont liées. En nous interrogeant sur l’aspect légal de nos expressions, nous externalisons la responsabilité de nos propos. Et oui, pour une partie des démocrates, ce n’est pas le droit d’expression de Charlie Hebdo mais c’est l’usage qui en est fait qui est en question.
Pour différentes raisons, nous ne sommes pas tous à l’aise à l’idée de proclamer “Je suis Charlie”. Cette formule a le mérite de dire que nous sommes dans une empathie avec les victimes et leurs proches, et qu’en tant que citoyens nous refusons la violence tout comme de voir être menacées nos valeurs démocratiques. Mais ce “Je suis Charlie” personnifie ce combat pour la liberté d’expression en faisant de cet hebdomadaire le porte-étendard d’un principe républicain bien plus grand. Ceux qui considèrent cette seconde partie et qui partagent pas l’approche politique des publications ne peuvent être accusés d’une quelconque tolérance envers les meurtres et les atteintes à la liberté d’expression : ils condamnent cela tout aussi fermement. De même ceux qui, par respect, souhaitent laisser aux victimes et à leurs proches le caractère “personnel” de leurs peines ne peuvent être taxés d’un quelconque manque de solidarité, au contraire, ils ne le sont que trop. Ils ne sont pas Charlie, car ils n’ont perdu ni enfant, ni parent, ni ami(e), ni collègue, ni idole et qu’ils ne sentent pas la légitimité de cette douleur. D’autres encore sont interrogatifs quant à cette défense parfois trop intéressée de la liberté d’expression : sélectivité qui vient annuler la notion même de principe. Enfin, et non des moindres, tous ceux qui n’ont pas appris à être immunisés face aux infos répétées de villages exterminés, de région d’innocents bombardés et de dizaines, de centaines, de milliers d’enfants tués pour des conflits qui les dépassent, ceux-là qui pleurent et se battent pour ces morts pour rien ont le droit d’être mal à l’aise à l’idée de glorifier uniquement ceux morts pour la liberté d’expression. Ne nous séparons pas sur la manière que nous avons d’exprimer notre désarroi et nos principes face à cette situation: les larmes de chacun coulent différemment sur nos joues. Ne nous séparons pas sur la façon de vivre cette tragédie en demandant à ceux qui partagent nos valeurs de se dissocier des terroristes, en pointant du doigt ceux qui ne déclarent pas être Charlie pour des raisons – aussi multiples ou discutables soient-elles – qui ne s’opposent nullement à notre projet démocratique commun.
Car l’objectif des terroristes n’est pas d’éliminer leurs cibles, c’est d’instaurer un climat de terreur et de désordre. Leur objectif est d’inciter quiconque à tout mettre en œuvre pour ne pas devenir une éventuelle cible, c’est d’éliminer le courage, l’empathie, la raison et la nuance. C’est de nous diviser, de nous séparer, c’est de créer des clans et faire voler en éclats l’unité et l’indivisibilité de notre république. Ils veulent nous pousser à voir l’ennemi chez notre voisin. Ils ne cherchent pas à gagner en nombre de morts, en vitrines cassées ou en menaces délivrées. L’objectif des terroristes est de nous pousser à sacrifier nos principes en fonction de la situation, réduisant nos valeurs à de simples règles communes en périodes paisibles. C’est au contraire justement dans les moments douloureux, dans les temps difficiles que nos principes doivent être respectés, sans quoi nous les rendons vides de sens. Le vrai combat va donc être à jouer contre nous-même. Individuellement et collectivement, il nous faudra lutter contre nos préjugés, nos idées reçues, nos tentations à la simplification et contre la volonté animale de vengeance. Car c’est bien cela que ces assassins souhaitent : que nous soyons leur reflet dans le miroir, que nous ne soyons pas l’inverse d’eux, mais simplement ce qui les oppose et qui – quelque part – leur donne vie alors même qu’on tente de les faire disparaître.
Et c’est ici qu’est le réel enjeu : ne pas être une majorité qui, à la proposition infâme d’une minorité, répondra au détriment de ses valeurs. En 1759, Benjamin Franklin déclara dans son Historical Review of Pennsylvania : “Ceux qui abandonneraient leur liberté essentielle pour un peu de sécurité momentanée ne méritent ni liberté ni sécurité”. L’essence de cette déclaration nous pousse à garder à l’esprit que nos valeurs, nos principes fondamentaux ne sont pas monnayables quels que soient les situations. Toute loi ou projet législatif qui viserait à diminuer, même momentanément, nos libertés au motif qu’il est des temps où il faut savoir prioriser, se défendre, être raisonnable, tout ceci ne serait qu’une preuve de notre incapacité à nous élever au niveau de nos idéaux. Si la liberté, l’égalité et la fraternité pour laquelle se sont battus tant de français, si ces valeurs constitutives de notre nation sont maltraitées, écornées, abimées en réaction à ce tragique événement et aux menaces qui pèsent sur notre société, alors ces mots deviennent creux. Et tout comme des assassins qui se disent pieux, nous deviendrions des citoyens liberticides qui se diraient démocrates.
Il est bon de voir la majorité dite “silencieuse” faire cause commune. Il est bon de constater qu’est admise l’idée qu’on peut être à la fois croyant et laïque, que la position religieuse ne s’oppose pas forcément à l’aspiration politique. Il est bon d’entendre le peuple de France se lever pour dire qu’il ne fera pas l’erreur de tout confondre. C’est le cas aujourd’hui dans l’émotion, il faudra que ce le soit demain dans la raison. Si chacun avait plus d’une motivation pour défiler ou ne pas défiler, la cause partagée est qu’en tant que citoyens français, qu’en tant qu’êtres humains nous avons été frappés de plein fouet par les menaces qui pèsent, dans ce cas précis, sur la liberté d’expression. C’est là notre immense plus petit déterminant commun.
Mais soyons certains que l’union républicaine sera uniquement dans la rue. N’attendons rien de ceux qui pourraient tenter de s’accaparer ce combat, de ceux qui pourraient être dans un clanisme politique ou sociétal. Au contraire, imposons-leur le chemin à suivre. Il ne tient qu’à nous, alors que se joue dans cet événement la définition même de nos conceptions démocratiques, que nous soyons prêts, non pas à pointer du doigt ou à fermer le poing, mais à encore et toujours tendre la main.
Ils n’acceptent pas notre liberté, notre réaction ne doit pas être d’en retirer : ce doit être plus de liberté. Ils n’acceptent pas notre tolérance : soyons dans une permanente communion, dans une indéfectible bienveillance. Est venu le temps de raison garder. Est venu le temps d’enfin correctement nommer les choses. Est venu le temps d’exprimer pacifiquement nos accords et nos désaccords, de parfois être dans le silence, d’accepter plus encore d’avis divergents pour s’en nourrir, de ne plus laisser le porte-voix à ceux qui sont les plus enragés. Est venu le temps de proposer des chemins plutôt que suivre la direction qu’on nous impose. Est venu le temps de chercher à comprendre, quand bien même nous ne pouvons accepter. Est venu le temps de douter de nous-même tout en étant certains de nos valeurs, de nous interroger, de ne plus être dans une opposition systématique, mais dans une introspection qui permet l’ouverture. Est venu le temps de ne plus essentialiser mais d’accepter la complexité des sociétés et des individus. Est venu le temps de nuancer pour être dans la subtilité, tout en étant ferme et exigeant. Dans le cas contraire, le terreau qui a mené à ce 7 janvier 2015 sera toujours présent et laissera pousser à nouveau les germes de la terreur. Dans le cas contraire, il ne restera de nos sentiments de colère et de de communion qu’un arrière-goût plein de nostalgie et de « on aurait pu, on aurait dû ». Dans le cas contraire, combien d’autres 7 janvier 2015 ?
Nous sommes à un point de rupture. A partir d’ici, le statu quo n’est plus envisageable. La période qui s’est ouverte définira notre société en profondeur et pour une génération entière. Soit nous ferons voler en éclat l’indivisibilité de notre république, et nous sombrerons ensemble – et c’est là l’ironie – dans une atomisation de notre société, dans un morcellement de notre pays où tous ennemis, tous opposés nous aurons peur de nous-même après avoir perdu les valeurs qui nous reliaient. Soit nous garderons en mémoire ce sentiment d’union, cette volonté de cohésion et – là est notre chance, là est notre salut – nous nous élèverons à la hauteur de nos idéaux.
Une lettre du Père Zanotti-Sorkine à Cabu, Wolinski, Charb et Tignous
Cher Jean, cher Georges, cher Stéphane, cher Bernard,
Bien que je sois prêtre et que cet état par le passé vous débectait, permettez-moi de vous appeler par vos prénoms et non par vos noms de guerre. Une façon comme une autre de me sentir votre frère. Certes, vous demeurez Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, dessinateurs de profession, crayonneurs d’idées, trublions de vie politique, insulteurs de justes et de coupables, souvent drôles et méchants sous le crayon vulgaire et obsessionnellement blasphémateur du sacré, mais à mon esprit éduqué par le Christ à dépasser les apparences, vous apparaissez plus grands que votre œuvre, plus grands que vos dessins offerts aux combats rétrécis de la terre. Seule la bonté personnelle qualifie un être et l’ennoblit jusqu’à la moelle, je le crois, et pour cela, je mourrais. Tout le reste n’appartient qu’à la petite histoire qui finit sous le dégueuloir conventionnel des hommages et des récompenses accordés entre hommes, au gré des intérêts particuliers et des partis. Bah ! que tout cela est bas !
Aujourd’hui, préoccupé par plus haut, maintenant que la vie n’est plus un mystère pour vous puisque vous connaissez la vérité tout entière (et Dieu sait si cette connaissance doit désormais susciter en vous non plus votre humour mais votre joie), je viens vous demander un petit coup de main pour la France. Ne me le refusez pas.
Amis, auriez-vous la gentillesse de dire un mot au créateur du monde afin qu’il continue de juger avec indulgence ses enfants d’en bas qui le rejettent ou qui prétendent le défendre en tuant leurs semblables ? Faites cela pour nous, je vous en supplie ! Que le Ciel n’abandonne pas la terre, et que les hommes comprennent enfin que travailler à la mort de Dieu dans les consciences ou tuer au nom de Dieu revient à massacrer l’homme lui-même ! Pourriez-vous aussi de vos lumières actuelles éclairer nos intelligences de manière à ce que nous empruntions les chemins par lesquels on peut enrayer les fusils les plus huilés ?
Je vous avoue qu’une chose me surprend depuis votre entrée dans la vie éternelle : c’est la glorification unanime de la liberté d’expression que vous auriez honorée magnifiquement jusqu’à mourir pour elle ! Je dirais plus sobrement que vous avez exprimé librement ce que vous pensiez sans jamais vous préoccuper des effets collatéraux que l’expression de VOTRE vérité pouvait créer dans les esprits. C’est ainsi. Pourtant, dans les relations humaines, et en particulier dans la vie conjugale, familiale, et même amicale, nous ne lâchons pas ce que nous pensons sans exercer un certain discernement à la seule fin de ne pas blesser inutilement nos proches. Et cela devrait valoir aussi pour les lointains.
La raison de cette retenue n’est pas à chercher bien loin, elle appartient à l’univers de l’amour qui tout simplement ne désire pas blesser. Cette retenue dans le langage, cette réserve bienveillante n’est pas une faiblesse, elle est une intelligence qui protège les liens et qui, en évitant de faire monter le sang à la tête de l’adversaire potentiel, empêche par rebond de le faire jaillir de la tête d’un autre. Cette réserve, tout homme peut la vivre, elle est vraiment à la portée de tous, sauf de l’extrémiste qui donne aux idées plein pouvoir y compris à l’irrespect qui, paraît-il, gagne la partie.
Le président de la République n’a pas cessé ces derniers jours d’appeler le peuple français à la vigilance. Encore une idée bien abstraite !
Que faut-il donc faire ? Rester chez soi ? Faire des provisions ? Lire le Coran ? Souscrire à un abonnement à Charlie Hebdo ? J’aurais préféré qu’il demandât humblement à tous les Français de calmer le jeu de la haine en les suppliant de ne plus blesser la conscience d’autrui au nom d’une liberté d’expression pas assez réfléchie, autrement dit, en nous invitant tous à prendre la résolution de respecter profondément les croyances qui sont chères à des millions de personnes. C’est à ce prix que la paix fera son lit.
Chers Jean, Georges, Stéphane et Bernard, votre mort ignominieuse me fait une peine immense et je voudrais qu’elle ne soit pas inutile. Vos caricatures ne méritaient pas de vous tuer, mais elles l’ont fait. D’une certaine façon, vous avez touché de votre humour grinçant les régions les plus viscéralement haineuses de la nature humaine assoiffée de justice et de vengeance, et par là, vous avez provoqué l’avénement de la barbarie. Parce que votre nature était saine, je veux le croire, parce que vous cherchiez sans doute à votre manière le bien commun, parce que vous considériez la liberté d’expression comme un droit devant s’exprimer sans état d’âme, parce que vous étiez au fond restés des enfants qui dessinaient comme tous les enfants tout en jouant à mettre le feu, vous avez oublié la permanence de la cruauté humaine quand elle se met au service d’une cause jugée absolue. Vous avez touché à de l’intouchable, et en réponse, vous qui étiez intouchables de par votre dignité d’homme, vous avez été plus que touchés, abattus en plein cœur.
Au-delà de toutes les décisions politiques qui seront prises, je l’espère, pour contrecarrer les actes terroristes, intercédez pour nous, chers Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, rendez-nous intelligents et respectueux des croyances d’autrui pour que la France se distingue encore par sa hauteur civilisatrice.
Un dernier point qui me tient à coeur : si vous croisiez au Ciel les trois petits enfants qui, lors de l’affaire Merah, ont été assassinés sauvagement, embrassez-les pour moi, et partagez avec eux la gloire qui est la vôtre aujourd’hui. Eux n’ont pas eu droit à une journée de deuil national ni à une manifestation d’envergure. Mais que pouvons-nous y faire ? Ces enfants ne disposaient que de leurs prénoms, ils n’avaient pas de noms de guerre, et ils ne défendaient pas la liberté d’expression ni la cause de certains politiques ! Qu’importe ! Seule la bonté personnelle qualifie un être et l’ennoblit jusqu’à la moelle, je le crois. Pour cela, je mourrais.
Allez, chers Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, soyez dans la joie de Dieu, continuez votre vie, et éclairez-nous maintenant de vos clartés.
Père Zanotti-Sorkine
P.S. La lettre a été complétée ensuite d’une lettre aux musulmans :
À mes frères musulmans, capables comme moi du pire et du meilleur, par le Père Zanotti-Sorkine
Cette lettre sera brève. Le temps presse. Le sang gicle. Ce n’est plus le moment de disserter.
La semaine dernière, dans une lettre fictive adressée aux quatre principaux Charlie passés dans l’au-delà, je regrettais que le président de la République n’ait pas invité leurs suivants survivants à calmer le jeu des insultes prétendument humoristiques à l’égard de celui que vous considérez comme votre prophète. Il eût été simple de dire qu’après des abattages aussi atroces qu’inattendus, le bras de fer n’était pas de mise. Mais non ! La sacro-sainte liberté d’expression, libre de toute entrave, se devait de poursuivre comme une brute sa route.
Et le discours s’en est allé par là : « Hommes, femmes, grands, jeunes musulmans qui tenez à protéger Mahomet de la moindre attaque, qu’importe vos pensées, vos manières d’agir ou de réagir, nous allons vous mâter, chevaux sauvages, jusqu’à ce que vous tourniez bien tranquillement en manège rangé dans le sens laïciste que nous allons vous indiquer. Aussi, nous commençons le dressage par la publication d’un bon Charlie Hebdo à 3 euros où les fidèles de l’islam et, en passant, ceux du Christ, en prendront plein la poire ! » Raté ! En un instant, le cheval s’est cabré ! Un enfant de sixième aurait pu le prévoir, mais… quand les idées l’emportent sur le réel, c’est bien connu, les fruits sont souvent mauvais.
En vérité, en vérité, qui ne le sait ? À vouloir dresser et même redresser à coups de trique les rebelles (trique : dans le sens de fouet ou de sexe toujours omniprésent sur nos jolis dessins), on obtient le contraire. La preuve est aujourd’hui livrée sur un plateau de violence en Somalie, au Niger, au Pakistan, au Yémen, à Gaza, où la hargne humaine s’en donne à cœur joie.
Et je crains fort, tout en pleurant, qu’à l’heure présente elle ne prenne que son élan. Devant ce gaspillage de sang par trop innocent, je pleure aussi sur notre irresponsabilité, je pleure sur notre fixité idéologique, je pleure sur la France qui refuse au respect des croyances d’être artisan de paix. Ce respect n’est pourtant pas une faiblesse, qu’on se le dise ; il n’exclut ni la résistance ni le combat face au fanatisme, mais il vomit résolument toute forme de mépris à l’égard de l’ennemi.
Chers musulmans qui souffrez de nos dessins bêtes et méchants, ne croyez pas – c’est un prêtre catholique qui vous parle – que le cœur chrétien les admet. Aussi, je vous en supplie, ne brûlez plus d’églises, ne lacérez plus le livre des Évangiles, ne tuez plus vos frères chrétiens, vous vous trompez de cible ! Nous ne sommes pas plus aimés que vous par notre pays qui condamne à mort, tous les jours davantage, l’avenir de la transcendance.
Et puisque je suis chrétien jusqu’au bout du cœur, et votre ami comme le Christ me demande de l’être, permettez-moi d’ajouter à votre endroit un simple mot salutaire : ne cherchez plus à vous venger des insulteurs et des irrespectueux. Qui sort son épée périra par l’épée. Ne portez plus atteinte à une seule vie humaine, répondez à la haine par la pitié, et vous plairez à Dieu, et il vous bénira, lui qui n’aime que l’amour…
Philippe Bilger : pourquoi je ne participe pas à « la marche républicaine »
Par Philippe Bilger Mis à jour le 11/01/2015
FIGAROVOX/HUMEUR – Notre chroniqueur a décidé de s’abstenir de participer à la grande marche citoyenne de ce dimanche. Il s’en explique dans FigaroVox.
Chaque semaine, Philippe Bilger prend la parole, en toute liberté, dans FigaroVox. Il est magistrat honoraire et président de l’Institut de la parole. Son dernier livre, «Contre la justice laxiste», a été publié aux Éditions de l’Archipel (2014). Il publie également sur sa chaîne Youtube des entretiens avec plusieurs personnalités. Sa prochaine oeuvre, un roman judiciaire intitulé «72 heures» (Lajouanie) est disponible depuis le 4 décembre.
Suis-je un citoyen indigne, pour tout dire un salaud, parce que je ne vais pas «marcher contre la terreur», pour écrire comme Le Monde, ou «me lever contre le terrorisme», selon l’exhortation du président de la République?
Je pourrais déjà tenter de m’absoudre en soulignant que cette immense émotion, depuis le 7 janvier, et qui culminera le 11 va représenter, sur un mode pervers, la victoire odieuse de criminels qui ont atteint leur but puisque l’ampleur de l’indignation était probablement espérée par ces sanguinaires de l’intégrisme. Notre pays certes solidaire a ainsi, aussi, manifesté la gravité des blessures qui lui ont été causées.
En ce sens, il est clair que cette «marche républicaine» va être purement symbolique, quoique multiforme, puisqu’elle ne va rigoureusement pas avoir le moindre effet sur les menaces, les attentats, les représailles et les tragédies à venir et qu’elle n’est destinée, dans une sorte de béatitude collective satisfaite d’elle-même, qu’à persuader la nation que durant quelques jours elle aura été à peu près unie.
Mais y aurait-il une obligation à la fois morale et civique qui contraindrait « l’honnête homme » à se rendre dans ce défilé dominical qui va mêler tant de publics hétérogènes, tant de pensées contradictoires, pour ne pas dire incompatibles, tant d’attitudes conventionnelles, tant d’hypocrisies à tant d’illusions ?
J’entends bien que cette argumentation peut apparaître mesquine en refusant à la communauté nationale le droit de se faire du bien parce qu’elle se rassemble autour de Charlie Hebdo, de la policière abattue à Montrouge, des quatre otages supprimés dans l’épicerie casher.
Avec des assassins que nos forces de police exemplaires ne pouvaient que blesser mortellement puisque leur rêve était de mourir en «martyrs» et que probablement ils le sont devenus pour des admirateurs, des émules, leurs inspirateurs et si on se fonde sur les innombrables messages téléphoniques de haine et de violence adressés à divers commissariats dans la soirée du 9.
Les destinées des trois assassins abattus auraient dû être prioritaires plus qu’une grande messe républicaine sans conséquence opératoire.
J’ose soutenir, si cette compétition n’était pas indécente et absurde, avoir éprouvé autant de révolte, d’indignation et de besoin de justice que quiconque devant ces actes répétés innommables. Ces sentiments ne conduisent pas forcément à la fusion de dimanche.Mais y aurait-il une obligation à la fois morale et civique qui contraindrait «l’honnête homme» à se rendre dans ce défilé dominical qui va mêler tant de publics hétérogènes, tant de pensées contradictoires, pour ne pas dire incompatibles, tant d’attitudes conventionnelles, tant d’hypocrisies à tant d’illusions?
Cette union nationale qui ne pointe son visage emblématique qu’après les désastres et pour si peu de temps.
Malgré le comportement apparemment irréprochable de nos gouvernants, le soupçon de l’instrumentalisation politique d’une terrifiante douleur qui aurait pu demeurer sincère avec plus de discrétion et un Etat moins omniprésent.
Dans cette «marche contre la terreur», combien sont profondément épris de la liberté d’expression sous toutes ses latitudes, et pas seulement de celle de Charlie Hebdo? Combien, au contraire, ne se sont souvenus de cette dernière qu’après les massacres, défenseurs opportunistes sur lesquels le dessinateur Willem et Charlie Hebdo «vomissent»?
Pour se lever contre le terrorisme au sein d’une multitude, encore faut-il être assuré que l’humanisme n’est pas hémiplégique et que pour d’autres causes jugées moins nobles, moins «porteuses», on ne moquerait pas notre exigence de sécurité au nom d’une idéologie discutable et compassionnelle?
Combien, dans cette masse, pourront dire, en conscience, comme Patrick Modiano a su magnifiquement l’exprimer dans son seul commentaire sur ces crimes, qu’ils rejettent toute violence?
Que signifie ce consensus factice, cette concorde superficielle qui prétendent, au prétexte que nous aurions le cœur sec en nous abstenant, faire oublier, sans y parvenir, les déchirements, les fractures, les divisions profondes de la France?
Le verbe, la résistance de proclamation et défiler seraient-ils essentiels alors que, se recueillant sur le passé si proche encore, ils n’auront pas la moindre incidence sur le futur?
Est-il honteux de proférer que plutôt que de concevoir cette phénoménale marche internationale, avec un incroyable risque d’insécurité, il n’aurait pas mieux valu, modestement, efficacement, appréhender l’avenir pour convaincre le citoyen que non seulement il ne doit pas avoir peur mais que notre état de droit rendra, autant que faire se peut, inconcevable cette angoisse parce que notre démocratie sera mieux armée, saura mieux suivre et contrôler, sera moins laxiste et libérera moins vite?
Les destinées des trois assassins abattus auraient dû être prioritaires plus qu’une grande messe républicaine sans conséquence opératoire.
Et lundi, on fera quoi?
Non, décidément, je ne crois pas être un salaud parce que je vais m’abstenir aujourd’hui.
Source : www.lefigaro.fr
Pour lire la suite , cliquez ici ---->http://www.les-crises.fr/ils-ne-sont-pas-charlie-3/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire