La laïcité, une religion d'Etat?
Publication: Mis à jour:
RELIGION - L'amphi est bondé: étudiants, enseignants, agents administratifs ou de sécurité, directeur du département, de toute culture, de tout milieu, de tout bord, de toute religion... (la future élite de notre pays?) L'entrée est libre. Nous sommes à l'université et je suis fière d'en faire partie. Bien que j'enseigne depuis presque quinze ans, c'est la première fois que je sens un réel engagement de la part de mes étudiants. Mais peu à peu, l'étonnement me gagne.
Le jeudi 15 janvier, à peine une semaine après Charlie et les événements qui ont ébranlé la France, nous décidons avec des étudiants de deuxième année de master en relations internationales et sciences politiques, rue saint-Guillaume à Paris, d'organiser un débat sur toutes les questions qui agitent et troublent. Le cadre est clair: pas d'enseignant imposant un savoir, pas de censure dans la parole, seul un dialogue fécond et un échange engageant.
Les questions fusent, les remarques s'enchaînent et les contradictions pullulent. J'ai conscience de vivre un moment fort, où la liberté d'expression est réelle, où les idées sincères prennent tout leur sens, où il est encore possible d'espérer. Mais tous ne parlent pas de la même chose. Tous ne défendent pas les mêmes opinions, et bien qu'ils aient en moyenne entre 22 et 25 ans, chacun semble pourtant affirmer qu'ils ne se reconnaissent pas dans les "valeurs de la République". Ils évoquent alors le rassemblement qui a eu lieu quelques jours auparavant et qui a réuni presque quatre millions de Français. J'évoque le fait que les Français sont descendus dans la rue pour défendre les valeurs républicaines. C'est alors que certains s'insurgent et avouent avoir été "choqués" de voir des drapeaux bleu-blanc-rouge flotter sous la statue de la République. D'autres ne comprennent plus ce que signifie le terme de "valeur" et ce qui se cache derrière la notion de "République", d'autres encore estiment que l'on doit renoncer à toute expression religieuse au nom de la laïcité. Je n'ose plus parler de "nation" et encore moins de "patriotisme" sous prétexte que l'on puisse m'associer à une quelconque forme d'extrémisme. Je comprends alors que nos étudiants, s'ils sont incollables sur les lois du marché mondial, en ont oublié les principes mêmes qui fondent leur identité -ou plutôt devrais-je dire- leur patrimoine -national. Un Etat peut-il défendre de la même façon un croyant et un athée sous le même principe de laïcité ? Doit-on imposer la laïcité?
Laïcité: que serait la loi sans éducation?
Avec l'abolition des privilèges de l'Eglise, puis la déclaration des droits de l'Homme, marquant ainsi l'importance de la liberté de conscience, la Révolution française a posé la première pierre de la laïcité. Il faudra attendre la Troisième République, 1905, la séparation de l'Eglise et de l'Etat et surtout Jules Ferry qui traduit profondément les valeurs républicaines sous une forme hautement symbolique: l'école. Désormais, l'école est laïque, l'instruction est obligatoire et l'enseignement est public. Depuis ce moment, la laïcité a intégré la société française, en pénétrant les chaumières et les esprits individuels. Après une remise en cause sous Vichy en 1946, la laïcité est inscrite dans le texte, elle devient constitutionnelle. Depuis, la société ne cesse de progresser en matière d'égalité, d'équité, de politique familiale, de parité, etc. Ainsi, la laïcité, comme le rappelle Christian Poncelet, tourne autour de trois notions: "la liberté de conscience, l'égalité en droit des cultes et la neutralité du pouvoir politique qui s'abstient de toute ingérence dans les affaires spirituelles." A ce sujet, l'article premier de la Constitution de 1958 est clair: "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances."
Si l'on s'en tient à cet article, la République est une instance transcendante à laquelle tout citoyen doit se soumettre. Ce qui signifie qu'au-delà de toute opinion religieuse, c'est la loi qui prévaut. Une loi qui égalise au-delà des inégalités, des différences, des dissemblances. Rappelons-nous la leçon de Rousseau dans Le contrat social -plus actuel que jamais- qui nous expliquait que la loi impose des devoirs, mais aussi donne des droits, que la loi met tout le monde sur le même pied d'égalité et devant la loi, le riche a la même voix que le pauvre, le grand que le petit, le croyant que l'athée. De fait, la laïcité transcende toute forme de religion. Elle ne s'impose que comme un droit, mais un droit qui implique aussi des devoirs. Et parmi ces devoirs, celui -je cite- de "respecter toutes les croyances". Il n'est donc pas question, au nom de la laïcité, de mépriser toute forme de religion, de médire tel ou tel dieu, de cracher à la face du croyant ou à celle de l'athée, mais bien de "respecter", c'est-à-dire aussi bien d'admettre, d'accepter que de défendre la pluralité des expressions religieuses et spirituelles. La laïcité est sœur de la tolérance.
Cependant, nul ne peut imposer à quiconque de "respecter" autrui. Cela doit faire appel à une libre adhésion, au nom d'un seul principe: ni celui de la République, ni celui de Dieu, mais au nom du principe de notre humanité. Alors si la laïcité est un droit qui s'impose de facto, pour avoir du sens, pour être appliquée dans toute son essence, encore faut-il donner à chaque citoyen, l'occasion d'une libre adhésion. Cela ne peut passer que par ce que j'appelle une "éducation responsable", c'est-à-dire par la mise en place d'un dialogue parent-enseignant capable de redéfinir ensemble nos valeurs et de construire, en commun, l'édifice de la République de demain, de la res publica: la chose du peuple.
Pourquoi ne pas redéfinir les valeurs républicaines en fonction du nouveau visage de la République?
Liberté-égalité-fraternité-laïcité: nos valeurs républicaines. Tout cela semble fonctionner et pourtant, rien n'est moins sûr. De la liberté, nous ne connaissons que la libération, paronyme, qui n'a jamais été synonyme. L'égalité, elle est un rêve pieux, si l'on en croit les difficultés toujours présentes et irrévocables à l'établir, ne serait-ce qu'en prenant l'exemple de la parité. La laïcité, nous venons de l'évoquer, a souvent été ébranlée et l'est encore. Comme un cristal délicat, elle est à manier avec précaution et sa volonté doit sans cesse être réaffirmée. Enfin, il y a la fraternité.
Il y a quelques années, lors d'un meeting, Ségolène Royal avait surpris en reprenant à son compte la valeur de "fraternité". Mais qu'est-ce que cela regroupe? Qu'est-ce que cela signifie aujourd'hui? Éprouvons-nous encore réellement un sentiment de fraternité les uns envers les autres, à l'heure de l'individualisme paroxystique? Si on ne parvient même plus à donner une consistance au sentiment de citoyenneté, alors comment vivre la fraternité? A une époque où l'on estime autant de droits aux femmes qu'aux hommes, pourquoi se contenter d'être tous frères et non frères et sœurs? Et que se cache-t-il derrière le mot "frère" quand la famille est à ce point malade, ébranlée? La France n'est plus un grand rassemblement de "frères" et ce qui jadis avait un sens, n'en a plus à présent. Aussi, plutôt que fraternité, ne serait-il pas plus juste de parler d'humanité. "Liberté-égalité-humanité" pourrait être notre nouvelle devise. Une humanité en marche qui ne demanderait qu'à se définir perpétuellement, de toutes les couleurs, de toutes les opinions, de toutes les croyances. Bref, une humanité en devenir permanent.
Quoi qu'il en soit, nos valeurs républicaines doivent être redéfinies, repensées, refondues en dialoguant aussi bien avec nos dirigeants qu'avec la jeunesse. Nos valeurs doivent être un phare dans l'obscurité politique que nous traversons et nous devons enfin parvenir à leur redonner une consistance. Bleu-blanc-rouge, nation et patriotisme: comment apprendre à nos enfants qu'avoir une identité nationale, ce n'est pas une honte?
Dans cet amphi où la vie se voulait bouillonnante, où les intentions idéalistes étaient plus fortes que les ambitions individuelles, je songeais à mon grand-père qui m'enseignait la France de l'occupation, une France qu'il avait connue, pour laquelle il s'était battu. Si nos enfants apprennent et comprennent le sens profond des valeurs républicaines, alors il n'y aura plus d'amalgame possible et ils ne se contenteront pas de brandir le drapeau français, à la seule occasion d'un match de foot.
Nos enfants doivent se souvenir que leurs arrières-grands-parents se sont battus pour une France en perdition, qu'à cette époque, être français, c'était aussi défendre la liberté et s'opposer à la barbarie, qu'être patriote, cela voulait dire que l'on pouvait perdre sa vie pour la patrie, c'est-à-dire pour des valeurs humaines plus encore qu'humanistes. Nous étions loin des récupérations politiques extrêmes et extrémistes. Il est urgent de rappeler à toute une génération, dont une partie s'est rassemblée ledimanche 11 janvier sous les lauriers de la République, de leur dire qu'à l'heure de la mondialisation, du cosmopolitisme, il n'est pas honteux d'être aussi français et que cela a encore un sens, un sens qu'il leur revient, à présent, de définir.
Elsa Godart, auteur de Le sentiment d'humanité, éditions Ovadia, 2014
Lire aussi :
La suite ici ---->http://www.huffingtonpost.fr/elsa-godart/societe-laicite-religion-etat
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire