31
Jan
2015
En Israël, Charlie Hebdo n’aurait même pas eu le droit d’exister…, par Ido Amin
En France, la liberté d’expression est considérée comme un droit universel, une loi israélienne interdit “d’offenser les sensibilités religieuses”.
Par Ido Amin, HAARETZ
Georges Wolinski, le caricaturiste de premier plan de Charlie Hebdo, était parmi les victimes assassinées dans l’attaque terroriste à Paris la semaine dernière. Il était un de mes héros culturels lorsque j’ai débuté.
Ni superman, ni Charlie Brown, ni Astérix ou “Les Aventures de Tintin” ne m’ont parlé de la façon dont les croquis en noir et blanc de Wolinski l’ont fait, avec ses visages tordus et exagérés, révélant ouvertement leurs sombres envies. Ce juif mi-polonais mi-tunisien possédait un esprit d’anarchiste qui n’épargnait aucune vache sacrée.
Chaque communauté a été insultée par son crayon. Sa position à l’égard de ses lecteurs était la suivante : Cela vous gêne? Alors ne lisez pas ! Et si vous voulez me ridiculiser en retour, je ne vous ferai pas de procès.
Après le terrible massacre à Charlie Hebdo et les meurtres qui suivirent dans le supermarché juif, des personnes se sont inquiétées du sort des juifs de France. Ne voient-ils pas qu’il est temps de déménager en Israël, comme le leur a dit le Premier ministre Benjamin Netanyahou, après le meurtre de l’école de Toulouse ?
Et le plus tôt sera le mieux ! Mais si Wolinski était allé en Israël pour y ouvrir un Charlie Hebdo, il aurait eu des ennuis.
En France, la liberté d’expression est considérée comme un droit universel tandis qu’en Israël un tel hebdomadaire ne pourrait pas exister, à cause des lois qui interdisent “l’offense aux sensibilités religieuses”. Durant mes années de dessinateur j’ai dû me familiariser avec les lois restreignant la presse israélienne.
Mais notons bien que la loi contre les offenses des sensibilités religieuses n’est pas une loi contre le racisme, l’obscénité ou la diffamation (il y a d’autres lois pour ça). C’est une loi spécifique très draconienne, une vrai loi anti-Wolinski. La loi interdit toute illustration de Moïse, Jésus ou Mahomet d’une manière qui heurterait la sensibilité des croyants.
Au tout début je ne connaissais pas l’existence d’une telle loi en Israël. Un jour, jeune illustrateur affamé durant un hiver parisien, j’ai abordé Wolinski avec une proposition pour une BD dans Charlie. Il voulait quelque chose concernant le Moyen-Orient, la région autour d’Israël et les pays arabes, j’ai alors suggéré une prise d’otages dans laquelle des terroristes palestiniens s’emparent d’un kibboutz. L’incident tourne en orgie avec les femmes du kibboutz qui sont volontaires ; des religieux extrémistes se joignent aussi à eux.
Il était enthousiasmé par cette idée. Lorsque je suis retourné en Israël, je n’ai montré le dessin à personne car il n’y avait personne à qui le montrer mais je ne pensais pas qu’il était interdit.
Je n’ai découvert cette loi que des années plus tard, lorsqu’une de mes caricatures, parue dans un journal renommé, qui critiquait la cruauté de la coutume du Kaparto – tradition qui consiste à balancer un poulet par-dessus la tête de quelqu’un pour expier ses péchés avant Yom Kippour – déclencha un débat à la Knesset [NdT : le Parlement d'Israël]. (Et il n’y avait même pas de nichons dans le dessin !)
De la tribune, le ministre de la police a comparé mon travail aux caricatures du journal nazi Der Stürmer, et sur les instructions du ministre, mon rédacteur en chef et moi-même avons été convoqués pour répondre à quelques questions. Peu de temps après j’ai été renvoyé.
Depuis que j’ai eu connaissance de cette loi, j’ai remarqué des décisions de justice basées sur elle. En 1997, Tatiana Soskine a été condamnée à une peine de prison pour avoir dessiné son fameux “Poster au Cochon” [NdT : qui représentait le prophète Mahomet sous la forme d'un cochon en train d'écrire le Coran] à Hébron. En 2006, une campagne publicitaire pour le parti Shinui a été interdite pour offense aux sensibilités religieuses.
“On ne trouve des lois contre le mauvais goût qu’en Israël” m’a dit un jour un avocat américain. Cela lui semblait étrange car la liberté de la presse est inscrite dans la Constitution de son pays. Pour les français, cela semble aussi étrange car les lois qui limitent la liberté d’expression ont été retirées des textes à la fin du XVIIIème siècle.
En Israël, comme nous le savons, il n’y a pas de Constitution qui protège la liberté d’expression. Les partis religieux se sont opposés à ce genre de Constitution en 1948. En revanche la loi israélienne contre l’offense aux sensibilités religieuses est un héritage du mandat britannique. Elle fut importée par les colonisateurs britanniques depuis une autre colonie – l’Inde – en 1936 pour éviter que ne se reproduisent des émeutes violentes, religieuses et raciales comme celles de 1929.
Les émeutes de 1929 étaient-elles un événement unique ? Serait-il donc possible d’abolir les lois d’exception ? S’il y a eu un américain, un français ou un britannique pour penser ainsi, alors la réalité l’a giflé au visage lorsqu’un autre massacre a eu lieu dans la même ville, Hébron, en 1994.
Les britanniques avaient-ils donc raison en matière de législation ? Lorsque des groupes différents vivent côte-à-côte dans une petite zone, devrait-on censurer l’expression ? Le respect de nos voisins doit-il être plus sacré que la liberté d’expression ?
Et qu’en est-il de notre métier d’illustrateur ? Pour être honnête, il y a bien longtemps que j’ai arrêté de vivre de mon travail dans les médias papier. Vous ne le saviez pas ? Les médias papier sont morts depuis longtemps.
Ido Amin est illustrateur et animateur.
Source : Haaretz, le 12/01/2015
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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