Podemos veut devenir le Syriza espagnol: comment les Indignés se sont imposés en force politique
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INTERNATIONAL - Parfois le hasard fait bien les choses. C'est ce que doivent se dire les dirigeants du mouvement espagnol Podemos. Quand ils ont annoncé leur Marche du changement, organisée ce samedi à Madrid, Syriza n'avait pas encore gagné les élections législatives en Grèce. Celles-ci n'étaient même pas encore au programme. Mais le succès d'Alexis Tsipras donne forcément une tonalité particulière à ce rassemblement organisé par la gauche radicale espagnole.
"L'espoir arrive. Tic tac, tic tac, le compte à rebours a commencé", s'est écrié dimanche dernier Pablo Iglesias, chef de file de Podemos qui aborde 2015 avec les mêmes ambitions que son cousin grec: remporter les élections législatives. De l'autre côté des Pyrénées, elles seront organisées à l'automne et d'ici là, des élections régionales sont prévues dans quelques semaines, au mois de mai. Un premier test électoral pour le nouvel épouvantail des partis traditionnels. Car en un an, Podemos a réussi à s'imposer sur la scène politique.
Aux européennes de mai dernier, après seulement quatre mois d'existence, le parti a créé la surprise en arrivant en quatrième position. Avec 8% des voix, il a profité d'un scrutin à la proportionnelle pour décrocher cinq sièges au Parlement européen, dont un pour son leader. Depuis, sa croissance paraît inexorable. Du moins dans les sondages où il est désormais en tête, loin devant les socialistes qui sont dans l'opposition et devant les conservateurs du PP au pouvoir depuis 3 ans.
Retour à la Puerta del Sol, là où tout a commencé
En attendant de repasser sur le terrain électoral, les dirigeants de Podemos repartent à leurs premières amours: les rassemblements de rue. Si la Marche du changement est la première organisée par le mouvement politique, elle va rappeler à beaucoup la mobilisation spectaculaire du 15 mai 2011 à Madrid lancée par le mouvement des Indignés. C'est au même endroit, à la Puerta del Sol que leur démonstration de force devrait avoir lieu.
"C'est un geste symbolique pour commencer une année cruciale", justifie Iñigo Errejon, numéro 2 de Podemos. Ce choix de la place centrale de Madrid ne doit rien au hasard. Podemos se veut l'émanation politique de ce mouvement de lutte contre l'austérité, et cette mobilisation sera l'occasion de le rappeler. "Nous espérons remplir la Puerta del Sol parce que nous comprenons qu'elle a été dans l'histoire un espace symbole de changement politique en Espagne", abonde Pablo Iglesias.
Près de quatre ans après cette mobilisation populaire, Podemos a réussi le pari sur lequel tous beaucoup d'autres mouvements se sont cassé les dents. Agglomérer la colère sociale d'une génération et la transformer en force politique. Ce n'était pourtant pas gagné; il faut se souvenir que sur la Puerta del sol, on pouvait alors lire des pancartes où figurait ce genre de slogans: "le peuple, uni, n'a pas besoin de partis".
Pablo Iglesias, le charisme au service des Indignés
Pour y parvenir, Pablo Iglesias et ses compères ont développé une expertise sans commun dans la démocratie participative. D'abord plateforme unissant des mouvements d'extrême-gauche et des personnalités non-alignées, Podemos est parvenu à progressivement se structurer en formation politique. Là où les partis traditionnels sont englués dans des affaires, Podemos arrive avec une image vierge mais moderne. Sur les réseaux sociaux, il est déjà le plus populaire des partis espagnols (515.000 followers contre 205.000 à ses rivaux du PP et du PSOE).
A la télévision aussi, Pablo Iglesias a réussi à supplanter ses rivaux. Habitué des "tertulias", longs débats politiques qu'affectionnent les médias en Espagne, l'eurodéputé s'est fait connaître en animant lui-même l'une de ces émissions, la Tuerka ("L'écrou"), diffusée d'abord sur internet puis à la télévision. Ses formules choc y ont fait fureur: la plus retentissante est celle qu'il utilise pour dénoncer la classe politique. Il s'est fait une spécialité de dénoncer "la caste au pouvoir" qui dirige le pays depuis la fin de la dictature franquistes. Et le nom "Podemos" (Nous pouvons) n'est pas sans rappeler le "Yes we can" de Barack Obama, donnant l'image d'un parti dans la proposition, pas seulement dans la dénonciation.
Ce prof de fac de 36 ans, issu des jeunesse communiste y est pour beaucoup dans la progression fulgurante du mouvement. Ses adversaires ont beau le comparer à Fidel Castro ou Hugo Chavez, il n'a beau pas porter de cravate et avoir les cheveux longs avec une queue de cheval, il fait figure de successeur crédible à Mariano Rajoy pour diriger l'Espagne.
L'Espagne ressemble plus à la Grèce qu'à la France
Il espère suivre le chemin d'Alexis Tsipras, avec qui il partage un fond idéologique. Trois jours avant les législatives grecs, les deux hommes étaient ensemble sur scène, à Athènes. "Nous partageons le même diagnostic: les politiques d'austérité doivent s'arrêter et le problème de la dette doit être repensé", note Jorge Lago, membre de la direction de Podemos.
Un discours que ne renie pas la gauche de la gauche française. Si elle espère surfer sur la vague, les sondages ne sont pas porteurs. Et depuis 2012, ni Jean-Luc Mélenchon ni Cécile Duflot ne sont parvenus à capitaliser sur les résultats plus que moyens de François Hollande. Figure de l'extrême-gauche française, Olivier Besancenot tente une explication: "Nous sommes solidaires avec la lutte du peuple grec, mais attentifs à ce que ce ne soit pas une source d’instrumentalisation pour nous faire croire qu’on peut refaire une gauche plurielle en France. Notre mouvement des indignés, c’était au moment de la réforme des retraites, en 2010, mais on a perdu", analyse le cadre du NPA dans le Monde.
Présent à la marche du 31 janvier, le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon entend en tout cas surfer sur cette dynamique:
En marche à #Madrid ! - ¡Hoy es el día del cambio! - #EsAhora31E #YoVoy31E -@Pablo_Iglesias_ @ahorapodemos pic.twitter.com/O84rjf2THg
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 31 Janvier 2015
Autre analyse signée Julien Bayou, porte-parole d'EELV et ardent défenseur d'une alliance rouge-verte à la gauche du PS. "Ça peut faire rire et même nous laisser un goût amer mais on peut considérer que la primaire socialiste de l'automne 2011, avec 3 millions de votants et l'espoir d'alternance qu'elle a suscité incarnait cet espoir de changement. Depuis il a été déçu mais les mesures d'austérité qui ont été mises en oeuvre dans ces deux pays sont beaucoup plus rudes que chez nous", précise aussi celui qui était en 2011 à la tête du mouvement Génération précaire et avait tenté, en vain, d'importer le mouvement des Indignés en France.
Et puis il y a un aspect historique que l'on entend parfois dans les milieux de la gauche radicale. "La Grèce et l'Espagne sont deux pays où le souvenir des dictatures est encore très présent, c'était il y a moins de 40 ans. Alors voter pour l'extrême-droite est difficile même quand on estime qu'on a tout essayé. En France, ce n'est pas le cas. S'ils veulent donner un coup de balai, les électeurs se portent davantage sur l'extrême-droite", se désole un militant de la gauche française présent en Grèce pour l'élection de Syriza. Si à Athènes, le parti néo-nazi Aube Dorée a confirmé son ancrage, Podemos n'est pour le moment pas exposé à ces adversaires.
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