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samedi 1 mars 2014

UKRAINE : "GRÂCE À INTERNET, ON A ARRÊTÉ D'AVOIR PEUR"


dans les forums le 24/02/2014 par la rédaction

UKRAINE : "GRÂCE À INTERNET, ON A ARRÊTÉ D'AVOIR PEUR"

Par "thehood", @sinaute
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Comment comprendre "l'insurrection victorieuse" en Ukraine ? Sur le rôle de l'extrême-droite, sur les accusations de corruption contre Ioulia Timochenko (le matinaute vous en parlait ici). Dans nos forums, un @sinaute, chef d'entreprise qui habite à Kiev "depuis une quinzaine d'années", nous livre sa vision : une révolution par et pour le peuple.
Il n'est pas facile, de parler d'un conflit ou d'une situation politique, qui se déroule dans un pays qui a une culture différente de la sienne. Les référents sont différents, ainsi que les causes, les conséquences.
Je commencerai par le traitement des médias français, vu d'ici. A ma grande surprise, ce sont les médias qualifiés d'atlantistes (Le Monde) qui ont décrit la situation avec le plus de justesse et de nuance, mais principalement dans la dernière phase, lorsque le conflit est devenu trop sérieux, trop unique, trop exemplaire pour continuer a être traité comme une rébellion lambda.
Au début, la révolte a été utilisée par les politiques européens pour montrer à quel point l’Europe c’est cool et fun et que tout le monde l’aime. Les abrutis d’Egalité et Réconciliation [mouvement d’Alain Soral], ont tout de suite plaqué la mouture habituelle. Un complot ourdi par les juifs, les USA et les autochtones : les nazis ukrainiens. Les extrêmes (BHL, E&R) se sont comportés comme prévu, en se servant du conflit à leurs fins. Les uns pour critiquer Poutine, les autres pour le défendre, sans jamais imaginer une seule seconde que cette révolution n'ait pas grand-chose à voir avec Poutine. La première révolution 100% populaire réussie, pacifique, où la politique aura joué un rôle mineur, et internet un rôle majeur. Une révolution gérée par le peuple et pour le peuple.

> Cliquez sur l'image pour un gros plan <
Le Monde.fr a couvert en direct les évènements en Ukraine
« EN 2004, NOUS N'AVIONS PAS ENCORE LE HAUT DÉBIT OU FACEBOOK»

Du côté international, comme les Ukrainiens parlent peu anglais et n'attendent pas beaucoup des autres, le peuple a assez peu communiqué sur internet, par rapport au volume des données échangées au sein du pays. Le SBU [services secrets ukrainiens], sans doute avec l'aide discrète du FSB [services secrets russes] a très bien opéré sur le plan international. Les vidéos Youtube, les réseaux sociaux se sont retrouvés blindés de commentaires qui décriaient les fascistes ukrainiens, rappelaient l'élection démocratique de Ianukovich, l'ingérence chronique de l'Europe et des USA, les parallèles avec la Libye et la Syrie.
Du côté interne au pays, le gouvernement n'a JAMAIS pu faire face aux échanges entre les gens. Pendant la révolution orange en 2004, nous n'avions pas encore le haut débit, et pas de Facebook. Internet n'avait pas joué ce rôle, et la terreur avait très bien marché en 2004. Pas cette fois : grâce à Internet, on a arrêté d'avoir peur. On a su combien il y avait de policiers anti-émeute (moins de 10 000 pour tout le pays), on a su combien les manifestants étaient motivés, on a su qu'il y aurait des blessés, on a su que tout le monde était d'accord, au fond. Peu voulaient agir, mais presque tous voulaient le départ de Ianukovich.
Il faut savoir que espreso.tv a diffusé 24 heures sur 24 sur des caméras fixe et mobile, les affrontements et la fameuse tribune de Maidan [place centrale de Kiev qui a donné son nom au mouvement de protestation], où BHL et 2500 autres personnes sont passées. Cela nous a fait peur et en même temps galvanisés, car ces types dans la rue, c'était nous.
Espresotv2Capture d'écran espreso.tv
"ET PUIS IL Y A EU LES PREMIERS MORTS"
Et puis il y a eu les premiers morts. A ce moment-là, on était encore en train de se demander si tout cela allait finir bien, et sans trop de heurts. On a compris que c'était terminé, on était face à un pouvoir et surtout un homme aux abois et qu'il se défendrait brutalement, sans concessions. Tout le monde, à Kiev, s'est mis à aider Maidan. Au lieu de créer la peur, la colère a augmenté, et le sentiment d'être les mêmes personnes, ensemble. Et ça en Ukraine, ça n'était pas arrivé depuis très longtemps, car c'est un pays où la population a été divisée, décennie après décennie. 

A Maidan, il y a tout le monde : des riches et des très pauvres, des programmeurs et des chômeurs, des Ukrainiens de l'ouest et du Donbass, des vieux et des jeunes, des hommes et des femmes. Pour vous convaincre, il suffit de regarder la liste des morts. Même pour vous, de très loin, ça ne devrait pas être trop difficile. Voir Maidan une fois, c'est comprendre que vous avez là une nation, pas certaines catégories de gens. Des gens qui ont eu marre qu'on les prenne pour des cons : marre de glisser des enveloppes pour les études des enfants (j’ai eu dans ma société jusqu’à 10 étudiants simultanément qui travaillaient chez nous et payaient au lieu d’étudier), marre de donner des enveloppes aux médecins pour se faire soigner, marre de payer des flics à chaque coin de rue. Marre d'entendre qu'ils sont un sous peuple, petit frère d'un peuple mieux, marre de devoir demander des visas chaque fois qu'ils veulent partir en vacances, marre de ne pas savoir de quoi va être fait demain, marre de ne pas avoir de boulot.
Et puis enfin marre qu'un président, qui a été condamné à 3 ans en prison dans sa jeunesse pour vol avec violence, élu démocratiquement en 2010, se soit enrichi comme le dernier des porcs, lui et ses crétins de fils au vu et au su de tout le monde. Après avoir lu tout ça, vous pouvez comprendre qu'il n'y a pas besoin d'idéologie pour participer à la révolte, c'est une question de survie.
"DES DAMES, UN PEU POMPONNÉES, QUI VENAIENT UNE HEURE TAPER SUR LES TÔLES"
Voilà, c'est ça, qui fait qu'on n'attend plus dans son coin, c'est qu'on sait qu'on pense tous pareil, que le pouvoir n'est pas si fort, qu'il est bête, que les flics sont des brutes et qu'ils ne peuvent que gagner si on reste divisé. Et tout ça on le sait, et puis tout d'un coup on le ressent, au même moment, alors on en parle, on voit que tout le monde en parle, et pense la même chose. C'est un sentiment formidable, on n’est pas l'explication, on est sans doute dans l'émotion, mais on a envie d'y arriver et si il faut porter des seaux de pisse ou trimbaler des gravats, ça n'a pas d'importance, il n'y a pas de tâche ingrate. 

Pendant les évènements de Grusheskovo, fin Janvier, il y a avait toujours des gens qui tapaient sur des tôles, en permanence, à rythme constant quand tout était normal, et puis à coups rapides quand une attaque se préparait pour que viennent les combattants et reculent les gens de la logistique. Le matin il y a avait des dames, des Babouchkas, qui venaient une heure taper sur les tôles, avec leur sac à main et leur vêtements de bureau, un peu pomponnées, avant d'aller au travail.
"LES INITIATEURS DE LA RÉSISTANCE VIOLENTE SONT PLUTÔT DES NATIONALISTES"
Bien sûr, tout le monde n'est pas à Maidan, bien sûr l'Est est moins représenté que l'Ouest, pas parce que les gens de l'Est aiment Ianukovitch, mais parce que Kiev c'est loin. Et que les gens travaillent dans des sociétés minières, où toute leur vie (salaire, santé, éducation, logement) dépend de la mine. Ça calme les ardeurs. Bien sûr, les initiateurs de la résistance violente sont plutôt des nationalistes avec des idées farfelues, dont tout le monde se fout ici. Ils étaient anonymes, et retourneront à l'anonymat. Ils n'auraient jamais tenu Maidan sans les modérés, jamais eu la logistique pour se nourrir ou se chauffer pendant si longtemps. Jamais tenu et survécu aux charges des Berkut seuls.
Timoshenko
Youlia Timoshenko ? "C'est la même" (capture BFM TV)
Un dernier mot sur Y. Timochenko. Pour le moment, j'espère qu'elle ne sera pas présidente, parce que c'est la même. Aussi émouvant soit son passage sur sa chaise ce soir. Elle a été ministre depuis Koutchma, elle est habituée des jets privés, elle est assez proche de Poutine, J'ai peu d'espoir après l'avoir entendue ce soir.
Je ne suis pas journaliste, ni sociologue, ni écrivain. Chaque élément de cette réponse pourrait faire l'objet d'études complètes, amener plus de mesure et de compréhension. Mais au final, le seul travers à éviter, c'est de tomber dans la réduction automatique et d'admettre que si on ne comprend pas une situation c'est peut-être qu’on n’a pas toute les clés pour la comprendre, et de l'accepter.

Pour faciliter la lecture de son témoignage, @si a regroupé dans ce texte deux posts de "thehood" dans nos forums. Vous pouvez les retrouver en intégralité ici.
Mots-clés : IanukovitchKievMaidanréseaux sociauxTimochenkoUkraine

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