Pourquoi l'armistice du 11 novembre 1918 n'a pas (vraiment) mis fin à la guerre
Cette date, qui marque la fin de la première guerre mondiale, est avant tout symbolique. Après novembre 1918, la guerre se prolonge, sous des formes différentes.
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Quatre ans, trois mois et sept jours après l'entrée en guerre de la France et de ses alliés (Royaume-Uni, Russie) face à l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, l'armistice est signé au petit matin, dans un train à Rethondes (Oise). Le 11 novembre 1918, les armes se taisent à onze heures. L'envahisseur allemand est vaincu.
Date de commémoration symbolique de la première guerre mondiale, le 11-Novembre ne marque pas tout à fait la fin de la guerre. Le véritable traité de paix n'est signé que huit mois plus tard et d'autres conflits directement liés à la Grande Guerre éclatent, notamment en Europe de l'Est. Plus globalement, le concept même de guerre ne peut se limiter à une chronologie si précise : pour les soldats, l'expérience de guerre se prolonge des mois, voire des années après l'armistice. Eclairages.
Des combats renaissent à l'Est
Le 11 novembre 1918, les combats cessent presque instantanément sur le front ouest. A l'Est, la situation est plus chaotique. Un armistice avait déjà été signé entre l'Italie et l'Autriche-Hongrie le 4 novembre, mais l'effondrement des empires (allemand, austro-hongrois et russe) fait éclater de nouveaux combats. "Les peuples d'Europe centrale et de l'Est cherchent à gagner leur indépendance", explique à francetv info Elise Julien, maître de conférences en histoire à l'IEP de Lille.
En Pologne, jusqu'ici partagée entre l'Allemagne et la Russie, en Tchécoslovaquie, intégrée à l'empire austro-hongrois, ou en Grèce, par exemple, des guerres éclatent au tournant des années 20. "Ces conflits sont des prolongements directs de la Grande Guerre, poursuit l'historienne. Il est donc difficile d'affirmer que la première guerre mondiale s'achève clairement en 1918." Cas le plus marquant, le conflit qui oppose la Grèce et l'Empire ottoman, ne prend fin qu'en 1923 après la signature de deux traités de paix (Sèvres et Lausanne).
La démobilisation prend du temps
En France, les poilus mobilisés ne retournent pas immédiatement à la vie civile. "La démobilisation s'effectue en deux phases", résume pour francetv info Victor Demiaux, auteur d'une thèse sur "Les célébrations de la victoire dans les capitales européennes après la Grande Guerre". "Une première phase s'étire de novembre 1918 à avril 1919, et une seconde de juillet 1919 à début 1920." Au total, près de cinq millions d'hommes rentrent à la caserne au cours de ces deux années.
"Pour le gouvernement français, soucieux de démobiliser en premier, dans un esprit de justice, les hommes restés le plus longtemps au front, c'est un vrai casse-tête, complète le chercheur. Au Royaume-Uni, la démobilisation se fait de façon plus pragmatique, donc plus rapide : on rappelle d'abord les soldats dont on a le moins besoin." Les hommes abandonnent les armes, mais sont autorisés à garder leur casque. Des pensions leur sont attribuées.
La démobilisation n'est pas un vain mot. "À l’échelle des soldats démobilisables, cette période s’apparente à un véritable basculement identitaire, relèvent Bruno Cabanes et Guillaume Piketty, auteurs d'un article sur les sorties de guerre au XXe siècle, publié sur le site du Centre d'histoire de Sciences Po. "Il leur faut se dépouiller de leurs identités combattantes, faire le deuil des morts et de la compagnie des survivants et reprendre leur place dans la vie civile." La transition, qui passe aussi par une "déprise de la violence" après des années de folie meurtrière, peut prendre du temps.
Les populations sont en deuil
Après l'armistice commence un long travail pour retrouver les corps des poilus morts ou disparus. Si des comités d'accueil sont organisés pour les soldats qui rentrent au pays, en France comme en Allemagne, la période d'après-guerre est aussi celle du deuil. Des monuments aux morts sont érigés dans les communes, à la gloire des 1,3 million de poilus tombés au combat. Le défilé du 14 juillet 1919 s'ouvre avec la présence d'un millier d'invalides de guerre. La tombe du "soldat inconnu" est inaugurée le 11 novembre 1920.
Les séquelles de 14-18 se lisent sur les visages des gueules cassées et les membres meurtris des invalides, mais aussi dans la vie quotidienne des survivants. Le nombre de divorces triple entre 1915 et 1920, passant de 561 à 1 235 pour 10 000 mariages,notent Christophe Prochasson et Florin Turcanu, auteurs de La Grande Guerre. Histoire de la mémoire collective en France et en Roumanie. Le syndrome de stress post-traumatique, terme qui naît pleinement avec ce conflit, hante la vie de nombreux hommes et de leur famille.
La paix reste à établir
Au-delà des difficultés physiques et psychologiques à penser "l'après", il reste encore pour les Etats à définir les modalités de la paix. Après de longs mois de discussions, le traité de Versailles est signé le 28 juin 1919, dans la galerie des Glaces du château de Versailles. La guerre est officiellement terminée. L'Alsace et la Moselle, perdues en 1871, réintègrent la France. Le traité établit, dans l'article 231, la responsabilité morale de l'Allemagne et de ses alliés, jugés seuls responsables du conflit. D'où les réparations financières importantes : le montant à payer s'élève à 132 milliards de marks-or. Devant le refus allemand de payer, la France occupe la Ruhr à partir du 11 janvier 1923, preuve supplémentaire que la guerre tarde à s'effacer.
Malgré la signature du traité, l'Allemagne est-elle encore considérée comme un ennemi en France ? "Le sentiment d'animosité anti-allemand reste latent dans la société française jusqu'à la moitié des années 20, estime Victor Demiaux. Après l'élection du cartel des gauches, en 1924, et les opérations diplomatiques d'Aristide Briand pour insérer l'Allemagne dans le système international, les choses s'apaisent." Une analyse partagée par Elise Julien : "On constate un certain désenchantement dans les années 1920, qui pousse la population française vers le pacifisme. Le slogan'l'Allemagne paiera' est jugé moins crédible. L'ennemi, ce n'est plus l'Allemagne, désormais, c'est la guerre."
Le traité de Versailles est vécu par les Allemands comme une condamnation excessivement rude. Le terme de "Diktat" s'impose rapidement dans l'opinion publique. Cette dernière n'a jamais vraiment pris conscience de l'ampleur de la défaite, notamment car les dégâts n'étaient pas visibles sur le territoire allemand. Le texte, qui impose aussi de démilitariser la rive gauche du Rhin, sera au cœur des revendications militaristes d'Adolf Hitler et de l'Allemagne nazie, dans les années 30.
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