1er décembre : enfin une manif de gauche !
Sans socialistes, donc
Publié le 27 novembre 2013 à 14:00 dans Politique
L'AUTEUR
Jérôme Leroy est écrivain et rédacteur en chef culture de Causeur.
Dimanche 1er décembre, et pour l’instant dans l’indifférence médiatique, la gauche de la gauche appelle à une manifestation nationale à Paris. Deux questions se posent tout de suite. Qu’est-ce que la gauche de la gauche, d’abord, et ensuite pourquoi va-t-elle manifester ?
Pour définir la gauche de la gauche, en France en 2013, on pourrait par exemple le faire de manière spatiale : est à gauche de la gauche, tout ce qui se trouve à gauche du parti socialiste. On trouverait ainsi le Front de Gauche, qui est à l’origine de cette manifestation ou encore Lutte Ouvrière qui vient d’appeler à rejoindre le cortège avec des syndicats et beaucoup d’autres organisations. Mais tout de suite, une complication. L’expression « la gauche de la gauche » signifierait donc que le PS serait de gauche. Et là, je vois des sourires crispés ou de franches rigolades à cette idée.
Certes, il y aurait encore des gens de gauche au PS. Si, si. Les gens de gauche au PS, c’est comme les cabines téléphoniques à Paris dont on apprend qu’il en reste moins de cinquante aujourd’hui. Parfois, ils se font entendre. Ou plus exactement, les médias dans leur antihollandisme primaire les laissent s’exprimer. Ouvrir un font de plus contre les socialistes au pouvoir, c’est toujours bon, c’est tellement tendance et ça fait vendre. Parmi le socialistes de gauche, on entend ainsi parfois les parlementaires Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj ou encore, hier dans Le Figaro, Pascal Cherki, ni convaincu par la remise à part fiscale annoncée par Jean-Marc Ayrault, ni satisfait que le crédit impôt pour la compétitivité, vingt milliards accordés sans contrepartie aux entreprises, soit financé par les ménages.
Alors, cher Pascal Cherki, voyez-vous, ça, c’est vraiment une réflexion de la gauche de la gauche. On se demande bien pourquoi avec une telle vision des choses, vous ne la rejoignez pas, la gauche de la gauche, et surtout pourquoi vous ne venez pas à la manifestation nationale du 1er décembre. Justement, le mot d’ordre est fiscal.
Oui, à gauche de la gauche, on s’est dit que le sujet, la fiscalité, était tout de même trop sérieux pour être laissé à la démagogie de la droite qui matraque autant que les socialistes quand elle est au pouvoir mais qui fait semblant que non quand elle est dans l’imposition, euh pardon, mon clavier a fourché, quand elle est dans l’opposition, voulais-je dire.
On remarquera que le comble du faux-culisme a été atteint à propos de l’écotaxe, ce projet sarkozyste, que Jean-Marc Ayrault a voulu mettre en place avant de reculer devant une coalition hétéroclite de bonnets rouges qui a rappelé le bon temps des seventies quand les maoïstes n’hésitaient pas à rejoindre les post-poujadistes du CIDUNATI dirigé par Gérard Nicoud, le Doriot des années Pompidou. Ce coup-ci, dans le rôle des maoïstes, il y avait le NPA (pauvre Trotsky) qui ayant abusé du chouchen, s’était trompé de manif et a préféré Quimper à Carhaix. D’ailleurs, pour en revenir à la manif du 1er décembre, le NPA a longtemps fait la fine bouche avant de se rallier aussi.
A une lettre près, on aimerait bien aussi que NDA, Nicolas Dupont-Aignan, et son mouvement rejoigne la manif. Après tout, NDA, est l’auteur d’un rapport remarquable sur l’évasion fiscale et ce qu’elle coûte à la France par manque de volonté politique. Et ce rapport est cosigné par Alain Bocquet, député communiste, qui a préfacé aussi le livre de NDA sur la question.
On en arrive donc au mot d’ordre de la manif du 1er décembre. « Pour une révolution fiscale, la taxation du capital et l’annulation de la hausse de la TVA. » Il y a plus sexy, j’en conviens. Mais le problème de la gauche de la gauche, et son honneur, contrairement à la droite de la droite, c’est d’éviter la pulsion. On peut-être en colère et réfléchir. On doit même surtout réfléchir quand on est en colère. Sinon, on se trompe de colère et on se retrouve avec un FN à 30% et des électeurs qui regardent dans la gamelle du voisin au lieu d’aller demander des comptes à l’étage au-dessus.
La fiscalité, c’est à peu près la dernière cartouche des Etats-nations dans une Europe qui a imposé de facto, avec les critères de convergence, la même politique partout et qui connaît les réussites que l’on sait, puisque comme chacun peut le voir, l’UE vit dans le bonheur, la sérénité et le libre échange. D’ailleurs, ses citoyens, reconnaissants, s’apprêtent à élire en masse, le 25 mai prochain, des parlementaires qui seront légèrement à droite d’Attila. Mais cela ne changera rien au problème puisqu’ils n’auront aucun pouvoir ou presque en face de la Commission.
Donc, il n’y a aucune raison que la gauche de la gauche ne s’empare pas de cette question de la fiscalité et rappelle qu’une autre fiscalité est possible, que l’impôt sur le revenu est quand même une idée progressiste à condition de multiplier les tranches et que la TVA, en hausse le 1erjanvier, est l’impôt le plus injuste qui soit, même quand on ose parler de TVA sociale, ce qui est tout aussi oxymoresque qu’un anthropophage végétarien.
Alors que n’importe quel expert télévisuel crache son venin en parlant du coût du travail, imposant l’idée somme toute délirante que celui qui produit les richesses par son travail est une charge pour celui qui va profiter de ces mêmes richesses, il faudra rappeler que les cadeaux fiscaux aux grandes entreprises ont eux aussi un coût, un coût sans cesse plus élevé et qu’il y a, par conséquent, un coût du capital autrement plus effrayant : « Au début des années 1980, un salarié travaillait, par an, neuf jours pour les actionnaires, aujourd’hui, c’est vingt-six jours » explique par exemple Michel Husson, économiste à l’Ires. Autre économiste du Front de gauche, Laurent Cordonnier (oui, ceux-là, on les voit jamais chez Calvi) remarque à ce propos du coût du capital : « À la fin des Trente Glorieuses, en moyenne 30-35 % du profit total étaient distribués aux actionnaires, aujourd’hui c’est 80 %. »
En plus, en ces temps de moral en berne où l’on a l’impression qu’un sale climat d’hystérie à droite et de faiblesse ectoplasmique au gouvernement donne une bien mauvaise mine à Marianne, le 1er décembre, la gauche de la gauche va aussi pouvoir se compter et se réchauffer un peu.
Ce sera bon comme un vin chaud. Qui se prépare avec du rouge, comme chacun sait.
*Photo : RAFAEL YAGHOBZADEH/SIPA. 00657026_000031.
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