Translate

mardi 21 août 2018

Au Brésil, les militaires en campagne pour les élections


18 août 2018

Au Brésil, les militaires en campagne pour les élections

Le candidat d'extrême droite, Jair Bolsonaro, ne cache pas sa nostalgie de la dictature militaire

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
LE CONTEXTE
treize candidats
Le Tribunal supérieur électoral du Brésil a enregistré, mercredi 15 août, treize candidatures pour la présidentielle du 7 octobre. Le pays appelle aussi au renouvellement des fonctions de vice-président, gouverneurs d'Etat, députés fédéraux, députés régionaux et sénateurs. Grand favori des sondages, avec environ 30 % des intentions de vote, l'ancien président Luiz Inacio Lula da Silva a défié la justice en enregistrant sa candidature malgré son emprisonnement, depuis le 7 avril, pour corruption.
La veille du lancement officiel, mercredi 15  août, de sa candidature à la présidence de la République brésilienne, Cabo Daciolo s'est réfugié au sommet d'une montagne afin d'échapper aux " menaces de mort "qu'il aurait reçues de la société secrète des " Illuminati ".
S'engageant à jeûner pour se préparer à la " guerre spirituelle " à venir, celui qui est aujourd'hui député, membre du parti  Patriota (" patriote ", extrême droite), s'est illustré lors du premier débat électoral début août, volant la vedette aux dinosaures de la politique avec des interventions ponctuées de prières et d'appels à Dieu.
Farfelu pour les uns, affligeant pour les autres, Cabo Daciolo a peu de chances d'être élu chef d'Etat en octobre. Mais l'ex-pompier trahit une tendance de la politique brésilienne. Il fait partie des centaines de militaires, en service ou à la retraite, engagés dans la campagne électorale. La course à la présidentielle en compte d'autres, tel Jair Bolsonaro, favori des sondages derrière l'ex-président de gauche Lula, candidat malgré son emprisonnement pour corruption.
Député de Rio de Janeiro, Jair Bolsonaro, capitaine de réserve, se situe aussi à l'extrême droite et ne cache pas une certaine nostalgie pour la dictature militaire (1964-1985), tout en se posant en défenseur des valeurs morales, de la fermeté et de la tradition. Il est épaulé par son candidat à la vice-présidence, le général Hamilton Mourao, pour qui " l'indolence des Brésiliens serait liée à l'héritage des indigènes ". Au-delà de la présidentielle, une kyrielle de candidats en treillis briguent les postes de gouverneurs, députés fédéraux ou régionaux et sénateurs.
La presse brésilienn scrute cette inflation d'épaulettes. Le 13  août, le quotidien Estado de Sao Paulo notait une augmentation de 92  % par rapport à 2014 de candidats militaires, actifs ou de réserve, pour les postes de président, vice-président, gouverneurs ou vice-gouverneurs. Au regard de 2010, la hausse atteint + 257  %.
" Le phénomène est lié à la crise que nous traversons. Les militaires sont vus comme des personnages hors du système, non contaminés par ses vices ", analyse Pablo Ortellado, professeur de gestion de politiques publiques à l'Université de Sao Paulo. Face à la multiplication des scandales de corruption touchant la vieille garde politique, le militaire, incarnation de l'ordre, de la fermeté et de la discipline, est vu comme un homme neuf.
L'explosion de la violence avec 63 880 assassinats en  2017, selon le forum brésilien de sécurité publique – soit plus d'un homicide toutes les dix minutes – renforce également le prestige de l'uniforme.
Selon un sondage Datafolha de juin, 68  % des Brésiliens affirment se méfier des partis politiques tandis que 78  % font confiance aux forces armées. Athos Orlanda Junqueira, partisan de Jair Bolsonaro, confirme cette bienveillance à l'égard des militaires : " La politique n'est pas une profession, mais l'art de servir, assure-t-il. Je vois d'un bon œil les militaires par rapport aux politiques. Nous voulons le retour des valeurs de la société occidentale, et les forces armées ont toujours été un obstacle à l'idéologie marxiste qui grossit au sein de l'Etat. Avec eux, le Brésil ne deviendra pas une dictature comme le Venezuela. " Trente ans après la fin du régime militaire et son lot d'exactions, de crimes et de tortures, les forces armées confirment donc leur retour en grâce, en particulier au sein de la classe moyenne et de la petite bourgeoisie.
" Tendance très dangereuse "Selon Pedro Abramovay, ancien secrétaire national de la justice du gouvernement Lula et membre du think tank Open Society, les militaires ont initié ce come-back dans l'opinion brésilienne il y a une dizaine d'années à la faveur d'opérations spectaculaires pour assurer la sécurité dans les favelas de Rio, puis lors des Jeux olympiques de 2016 et, plus récemment, pour reprendre en main la gestion sécuritaire de Rio de Janeiro. Bien que l'efficacité de ces interventions soit douteuse, " la population aime ça. Les tanks, les fusils… ça donne le sentiment que l'Etat agit ", observe-t-il.
Au fil des ans, les militaires ont donc réinvesti des fonctions exécutives au sein de l'Etat, principalement dans le domaine de la sécurité. Sous le gouvernement de Dilma Rousseff (2010-2016) d'abord, puis de façon significative après l'arrivée au pouvoir de son vice-président, Michel Temer, à la suite de la destitution de la présidente de gauche. Leur présence a stimulé les ambitions politiques de leurs confrères.
" Cette tendance est très dangereuse, dit M. Abramovay. Les militaires sont formés pour combattre les ennemis, pas pour développer la citoyenneté. "" Les militaires ont droit, comme tout citoyen, de participer à la vie politique, mais l'attitude antidémocratique de certains et leur amnésie vis-à-vis des erreurs du passé est inquiétante ", abonde l'historien Rodrigo Motta, spécialiste de la période dictatoriale.
Le discours de Jair Bolsonaro rendant hommage aux tortionnaires de la dictature ou les appels à une intervention militaire, entendus lors des manifestations pour la destitution de Dilma Rousseff en  2015 et lors de la grève des camionneurs en mai, accentuent les inquiétudes des défenseurs de la démocratie. Mais à l'image de M. Daciolo ou de M. Bolsonaro, les militaires candidats sont souvent des seconds couteaux de l'armée, dont le prestige et l'influence sont plus que relatifs au sein des forces de l'ordre. Et en  2014, seuls 1,4  % de ces candidats sont parvenus à se faire élire, soulignait le site Nexo en mai  2017.
Claire Gatinois
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire