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lundi 27 août 2018

Airbnb, Abritel… des discriminations dénoncées


25 août 2018

Airbnb, Abritel… des discriminations dénoncées

Alors que des clients se disent victimes de racisme, la question de la responsabilité des plates-formes se pose

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AUGMENTATION DES AMENDES À PARIS
Le volume d'amendes infligées pour des locations touristiques illégales à Paris en 2018 était, au 15 août, déjà supérieur à celui enregistré sur l'ensemble de l'année 2017, soit plus de 1,3 million d'euros, a annoncé Ian Brossat, adjoint au logement (PCF), mercredi 22 août.
Selon lui, 111 logements sont concernés pour une moyenne de 12 000 euros d'amende. Il s'agit " de professionnels déguisés en amateurs ", s'est-il indigné en soulignant que les annonces en cause étaient " très massivement " passées sur Airbnb. Paris a renforcé son arsenal juridique contre les locations illégales, en imposant par exemple d'afficher un numéro d'enregistrement sur les annonces. Le projet de loi ELAN prévoit de renforcer la réglementation en obligeant le loueur à transmettre à la commune le décompte du nombre de nuitées ayant fait l'objet d'une location. Paris aurait perdu en cinq ans quelque 20 000  logements transformés en meublés touristiques.
Si Djamila s'était appelée Isabelle, les choses au-raient sans doute été plus simples. Cette femme de 58  ans vivant à Chartres (Eure) souhaitait emmener sa fille en vacances à Toulouse début août. Une belle maison dégotée sur Airbnb, un message au propriétaire, et ce refus en retour : deux voyageurs, ce n'est pas assez pour réserver la maison. Djamila Cariou, dont seul le prénom apparaît sur la plate-forme en ligne, propose alors d'ajouter un -convive et de payer le coût supplémentaire. " Il a encore refusé, en prétextant que, finalement, sa famille occuperait la maison à ces dates-là ", raconte au Monde la fille de Djamila Cariou, Farah, qui a publié l'histoire sur son compte Twitter.
Celle-ci fait appel à une connaissance, Isabelle, qui envoie une demande pour la même annonce, aux mêmes dates, pour trois voyageurs. " Trois heures plus tard, elle a reçu une réponse du propriétaire disant qu'il était heureux de les accueillir ", soupire Farah Cariou.Elle et sa mère ont quand même pu voir Toulouse, depuis les fenêtres d'une autre maison, mais ont la certitude d'avoir été " victimes de racisme ".
Les réseaux sociaux bruissent de ce genre d'histoires plus ou moins détaillées depuis la mi-août et la parution d'un article sur le site Internet de Franceinfo. On y lisait les témoignages de personnes aux noms à consonance maghrébine faisant part d'un sentiment de discrimination sur les plates-formes de locations touristiques en ligne comme Airbnb ou Abritel. Des citoyens lambda, mais aussi un conseiller municipal de Saint-Denis, et même un humoriste doté d'une petite notoriété – Jhon Rachid, Mohamed Ketfi au civil, expliquant que " la seule fois où - il a - réussi à avoir un appartement sur Airbnb, c'est en le faisant louer par des amis avec un nom plus, euh, doux ".
Le phénomène est difficile à quantifier. Aucune étude statistique n'a été menée sur le sujet en France, qui n'a pas le monopole de la discrimination. Aux Etats-Unis, trois chercheurs de l'université d'Harvard ont mené, en 2015, une enquête pour laquelle ils se sont portés candidats à 6 400 annonces sur Airbnb avec de faux profils affublés de noms " distinctement afro-américains " pour les uns, " distinctement blancs " pour les autres. Conclusion : les demandes formulées par les premiers essuyaient 16 % de refus de plus que les seconds.
" On est évidemment au courant de ces pratiques, on a eu des signalements, explique Hermann Ebongue, secrétaire général de SOS-Racisme. Les plates-formes doivent se pencher sur ce sujet beaucoup plus sérieusement qu'elles ne le font. " Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s'attend à être saisi et promet qu'il " instruira les demandes très rapidement ". Il est déjà arrivé à l'autorité qu'il dirige d'intervenir à la suite d'annonces ouvertement discriminatoires. Mais en l'occurrence, le problème est autrement plus complexe car la discrimination est plus sournoise, et difficile à caractériser.
" Comportement odieux "Aussi nombreux soient-ils, les témoignages des victimes n'ont aucune valeur probante. " La seule méthode pour prouver un comportement discriminatoire, c'est letesting, explique Jacques Toubon – son institution y a recours pour monter ses dossiers. Il faut apporter la démonstration, à l'aide de captures d'écran ou d'enregistrements téléphoniques, qu'il y a eu un refus alors que d'autres personnes présentant des caractéristiques différentes étaient acceptées dans les mêmes conditions. "
Les articles 225-1 et 225-2 du code pénal punissent une personne de trois ans de prison et 45 000  euros d'amende et une entreprise de 225 000 euros d'amende si elles " refusent la fourniture d'un bien ou d'un service " à autrui en raison, entre autres, " de son origine, de son patronyme, de son appartenance (…) à une prétendue race ou une religion ". Mais l'affaire pose une épineuse question juridique : Airbnb peut-il être tenu respon-sable du comportement de ses utilisateurs ? " L'auteur principal de la discrimination, c'est le propriétaire, répond Samuel Thomas, délégué général de la Fédération nationale des Maisons des potes, qui va lancer une grande campagne de testing et compte bien mener certaines histoires jusqu'en audiences publiques au tribunal. Mais celui qui contribue à la location en offrant un service au propriétaire est complice puisque la discrimination s'est faite par son intermédiaire. "
La vocation commerciale des sites concernés impose des règles strictes, estime M.  Thomas. " Ce ne sont pas des plates-formes de rencontres où l'on cherche un partenaire selon des caractéristiques physiques ou culturelles. Ce sont des sites qui ont pour vocation de concurrencer les agences immobilières. Quand on met son appartement en location par l'intermédiaire d'une agence, on n'a pas le droit de choisir son locataire selon son origine. Cela doit valoir pour une location de trois jours autant que pour une location d'un an. L'agent immobilier doit se plier à la loi Hoguet - qui encadre l'activité depuis 1970 - , alors que Airbnb peut encore fermer les yeux. "
" Une chose est certaine, résume Jacques Toubon. La location par un propriétaire aux pratiques discriminatoires ne serait pas possible si ces sites n'étaient pas là. " Airbnb pourra dire qu'il n'était pas informé de l'intention discriminatoire de ses utilisateurs. " Mais à partir du moment où un propriétaire sera reconnu coupable de discrimination, anticipe M.  Thomas, la responsabilité civile du site pourrait être engagée s'il ne fait rien : avoir conscience que le service qu'on offre facilite des pratiques discriminatoires et ne pas réagir, c'est être complice. "
Les sites assurent faire le nécessaire. " On peut écarter les annonces discriminatoires, mais la re-lation entre particuliers nous échappe ", se défend Le Bon Coin, qui a mis en place un module de signalement spécifique aux faits de discrimination. Les signalements sont " rarissimes ", selon Abritel, qui vante son " système de classement des annonces conçu pour inciter les propriétaires à accepter les réservations " car un refus fait reculer l'annonce. Airbnb se -contente d'affirmer qu'" un certain nombre de mesures pour lutter proactivement contre ce genre de comportement odieux " ont été prises. Comme son " engagement de la communauté ", un texte appelant au respect, à approuver avant de pouvoir utiliser le site. D'autres outils seraient plus efficaces. Le " machine learning " permettrait de repérer des hôtes qui, de manière récurrente, refusent des gens avant d'en accepter d'autres. Facile pour une plate-forme de vérifier, ensuite, s'il s'agit d'un hôte se livrant à une sélection discriminatoire.
Dans leur étude, les trois chercheurs d'Harvard prônent l'extension du concept de " réservation instantanée " – qui permet de choisir un logement sans attendre l'approbation du propriétaire – ou l'anonymisation des profils, comme c'est le cas sur un site comme eBay. Pas de photos, et un pseudo : si Djamila s'appelait " Isa de Chartres ", les choses seraient-elles plus simples ?
Henri Seckel
© Le Monde

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