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mardi 30 octobre 2018

C'était quand, la " dernière chance " ?


14 octobre 2018

C'était quand, la " dernière chance " ?

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C'est, de nouveau, le rapport de la " dernière chance ". Lundi 8 octobre, les experts du climat ont rendu une nouvelle somme sur la dérive climatique avec, comme sujet imposé par la communauté internationale, le seuil de 1,5 0C de réchauffement. Est-il encore possible de maintenir le climat terrestre sous cette barre qui se rapproche dangereusement ? La fameuse " dernière chance " est-elle, en réalité, désormais derrière nous ?
Dans sa communication, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a décidé de maintenir vif l'espoir d'un endiguement du problème et de ses conséquences les plus désastreuses : au prix d'un sursaut international, dit le GIEC, il est encore possible de demeurer sous le seuil des 1,5 0C d'élévation de la température moyenne, par rapport aux niveaux préindustriels. Il faudrait une transition sans précédent, bien sûr, mais l'objectif ne serait pas hors de portée.
Un régime autoritaire globalPour le sociologue et politiste Stefan Aykut, professeur assistant à l'université de Hambourg (Allemagne) et observateur affûté du théâtre de la diplomatie climatique, coauteur avec Amy Dahan de Gouverner le climat ? (Presses de Sciences Po, 2014), ce discours met les scientifiques dans une situation singulièrement inconfortable. " Pour ne pas apparaître comme ceux qui ont tué l'espoir, les scientifiques présentent des scénarios dont certains incluent des notions d'émissions négatives, c'est-à-dire l'éventualité que nous parvenions à retirer du carbone de l'atmosphère, ce qui repose sur des paris technologiques incertains, dit-il. Ensuite, lorsqu'on regarde la vitesse avec laquelle les émissions doivent décroître pour maintenir le climat sous le seuil de 1,5 0C, on voit que l'exercice est complètement déconnecté des réalités politiques et économiques du monde. "
Sur le terrain des lois de la physique, il est encore techniquement possible de rester sous le seuil de 1,5 0C, avancent les experts. Mais il faudrait pour cela, pour faire décroître au rythme exigé les émissions de gaz à effet de serre, qu'un régime autoritaire global tienne d'une poigne de fer l'économie mondiale et planifie son développement jusqu'au milieu du siècle, sans jamais avoir à se soucier des prochaines élections, et avec pour ambition première de contrer la dérive climatique.
Les démocraties de marché ne sont pas adaptées aux transitions radicales. Dans le monde réel, la moindre mesure, si minuscule soit-elle, destinée à lutter contre le changement climatique, se heurte immanquablement à une farouche opposition. Un simple exemple suffit pour s'en convaincre : la fermeture aux voitures par la maire de Paris Anne Hidalgo, de 3 300 mètres de voies sur les berges de la Seine demeure, deux ans après son entrée en vigueur, un abcès de fixation, un insupportable affront à la liberté d'aller et venir dans un véhicule à moteur.
Il suffit d'imaginer l'accueil qui serait réservé à un train de mesures destinées à faire baisser la consommation de viande, où à plafonner le nombre de kilomètres parcourus par chaque individu en avion, pour réaliser qu'il est parfaitement illusoire de -demeurer sous le seuil de 1,5 0C. Et très difficile de rester sous – celui des 2 0C.
Il faut s'y résoudre : cette fenêtre d'opportunité s'est fermée. Et elle s'est fermée il y a bien longtemps. Dans un somptueux article-fleuve – à mi-chemin entre l'histoire des sciences et le journalisme – publié en août par le New York Times Magazine, Nathaniel Rich a raconté cette histoire méconnue. Le titre suffit à comprendre : " Perdre la Terre : 1979-1989, cette décennie où nous avons presque arrêté le réchauffement ". L'enquête de Nathaniel Rich raconte comment une poignée de scientifiques, de militants, de fonctionnaires de l'administration américaine a œuvré, pendant dix ans, pour inscrire la question climatique à l'agenda de la communauté internationale. A le lire, il s'en est fallu de peu.
A la fin des années 1970, la science était déjà très claire. Le Rapport Charney, commandé par l'administration Carter à l'Académie des sciences américaine, qui en confia l'organisation au physicien de l'atmosphère Jule Charney (MIT), a été rendu en 1979. Il ne laissait que peu de doutes sur ce qui devait se produire : " Si le dioxyde de carbone continue à s'accumuler - dans l'atmosphère - , le groupe d'experts ne voit aucune raison de douter que des changements du climat en résulteront ni aucune raison de penser qu'ils seront négligeables. "
La phrase la plus frappante du rapport et qui contient tout le scandale de la situation est celle dans laquelle les scientifiques préviennent de ce fait simple : vu l'inertie du système climatique, si l'on attend de pouvoir observer les changements avant d'agir – en 1979, le climat ne montrait pas encore de signes mesurables de réchauffement –, alors il faut se résoudre à ce qu'il soit impossible d'éviter leurs principaux désagréments. " Attendre pour voir avant d'agir signifie attendre qu'il soit trop tard ", écrivaient les chercheurs.
Le Rapport Charney a été le " vrai " rapport de la dernière chance. En 1979, il était encore possible de mettre le monde sur d'autres rails, de penser autrement le développement économique. Et cela sans nécessairement imaginer une planification mondiale et brutale de l'économie. Il n'est bien sûr ni inutile ni jamais trop tard pour agir. Bien des choses peuvent encore être sauvées. Mais l'exigence de vérité impose d'admettre qu'une part importante de la bataille est aujourd'hui perdue. Les scientifiques ont jusqu'à présent évité de trop le dire, axant leurs discours autour d'une rhétorique de l'alerte et de l'espérance : c'est plus séduisant que de miser sur l'énergie du désespoir. Mais est-ce plus efficace ?
par Stéphane Foucart
© Le Monde

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