Theresa May a longtemps défendu un " Brexit dur ", une rupture nette avec l'Union européenne (UE). A quelques jours du sommet des 17 et 18 octobre présenté par Bruxelles comme " le moment de vérité " des négociations, la première ministre britannique semble avoir accepté une version nettement plus souple des futures relations avec le continent. Londres n'avait pas prévu que l'Irlande devienne l'ultime obstacle à ses projets de divorce avec les Vingt-Sept.
C'est pourtant le statut fragile de la petite île qui commande les nouvelles concessions britanniques. Pour empêcher le retour d'une frontière physique entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord (partie prenante du Royaume-Uni), dont la disparition est un acquis fondamental des accords de paix de 1998, -Theresa May vient d'accepter de maintenir cette dernière dans le marché unique européen.
L'ensemble de l'île d'Irlande y serait ainsi inclus. En contrepartie, pour éviter d'imposer des contrôles douaniers entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, la chef du gouvernement aurait fait accepter par Bruxelles le maintien de l'ensemble du Royaume-Uni (Irlande du Nord comprise) dans l'union douanière européenne.
Lors d'une réunion de cabinet restreint, jeudi 11 octobre, selon le
Financial Times, Theresa
May a informé ses ministres les plus proches de ce compromis qui pourrait constituer la trame du chapitre " Irlande ", volet de loin le plus sensible de l'accord sur le divorce avec l'UE qui doit faire l'objet d'un traité entre les Vingt-Sept et le Royaume-Uni. Ce texte doit être ratifié à la fois par le Parlement européen et par celui de Westminster d'ici la fin de l'année, pour permettre la rupture effective programmée le 29 mars 2019.
Bruxelles n'a pas commenté. Mais le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a déclaré, jeudi au
Monde :
" Il faudra trouver un accord. Et je crois que nous le trouverons ", tout en insistant sur l'absolue nécessité de sceller un compromis acceptable par la République d'Irlande.
Une porte d'entrée dérobéeLe ciel de Theresa May est cependant loin d'être dégagé. Le maintien du Royaume-Uni dans l'union douanière contrevient expressément à une
" ligne rouge " qu'elle a fixée après le -référendum de juin 2016 pour -satisfaire des europhobes de son propre parti (tories), qui menacent de censurer l'accord lors du vote à Westminster. Ils fulminent contre ce compromis qui empêche de réaliser la promesse phare du Brexit : signer en solo des accords commerciaux avec le monde entier. Voici quelques mois encore, Bruxelles ne voulait d'ailleurs pas non plus de cette formule qui n'empêche pas totalement Londres d'utiliser l'Irlande du Nord comme porte d'entrée dérobée vers l'UE.
Quant au maintien de l'Irlande du Nord dans le marché unique européen, il déclenche la rage du Parti unioniste démocrate (DUP) nord-irlandais, qui assimile la moindre divergence avec la mère patrie britannique à une trahison. Une rage d'autant plus inquiétante pour Theresa May que sa majorité à la Chambre des communes dépend du soutien des dix députés DUP. Ces derniers -menacent de voter contre le budget 2019, ce qui mettrait en péril le gouvernement.
Mais Theresa May dispose de plusieurs armes : elle n'a fait verser que la moitié du milliard de livres de crédits promis à l'Irlande du Nord en contrepartie du -soutien du DUP. Elle sait aussi qu'Arlene Foster (chef de file du DUP) craint par-dessus tout les conséquences d'un échec des négociations : de nouvelles élections gagnables par le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn, qui rêve de réunifier l'Irlande, ou un vide juridique (
no deal) qui précipiterait le pays dans le chaos.
Downing Street se fait un plaisir de décrire quotidiennement aux médias l'apocalypse qui attend le pays en cas de
no deal : pénurie de vivres et de médicaments, liaisons transmanche bloquées. Vendredi, il a fait savoir que l'électricité pourrait être rationnée en Irlande du Nord, qui dépend de la République d'Irlande pour son approvisionnement.
La controverse se focalise sur la gestion dans le temps de l'arrangement avec l'UE qui est présenté comme un
backstop, une solution provisoire en attendant la conclusion d'un accord de libre-échange ou une gestion automatisée de la frontière irlandaise.
Mais ces perspectives semblent si éloignées ou brumeuses, que les brexiters craignent que le provisoire dure indéfiniment. Tandis que Bruxelles exige que le
back-stop ne soit pas limité dans le temps pour garantir indéfiniment l'invisibilité de la frontière entre les deux Irlandes, Theresa May va tenter de faire inclure un calendrier dans la déclaration politique sur les " relations futures ", censée être non contraignante, qui doit compléter le traité sur le Brexit.
Si Londres et les Vingt-Sept parviennent à un accord, il restera encore à Theresa May à franchir le plus gros obstacle : le faire adopter par des députés dont certains veulent sa peau (les travaillistes), et d'autres (les conservateurs) trouvent que " son " Brexit n'en est pas un. Déjà, ils ont trouvé un acronyme pour -désigner ce qu'ils considèrent comme une duperie : Brino, pour " Brexit In Name Only " (Brexit sur le papier seulement).
Philippe Bernard
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