AAlain Juppé qui venait prendre conseil avant de se lancer en politique, Jacques Chirac avait dit en 1976 : " Est-ce que vous aimez tâter le cul des vaches ? " De vaches, Richard Ferrand pourrait, lui, parler longuement. Comme des aubrac, ces " magnifiques vaches couleur froment, avec des cornes en forme de lyre. Superbes, rustiques qui sont mieux que toute autre en capacité de résister aux aléas climatiques ". Nous sommes le 3 octobre, vingt-quatre heures après la démission de Gérard Collomb. Le président de l'Assemblée nationale est l'invité de l'Association des journalistes parlementaires (AJP) et concède que, sur les vaches et les territoires, il pourrait " continuer longtemps ".
A la tête de l'institution depuis un mois, le Finistérien, élu La République en marche (LRM), veut imprimer sa marque. C'est un classique. Dès son arrivée, François de Rugy s'était vu en grand réformateur de l'Assemblée, multipliant les chantiers de -" modernisation ". Son successeur prend son temps pour décider des suites qu'il donnera à ses travaux restés au milieu du gué. Le site Internet du " rendez-vous des réformes ", marque de fabrique de M. de Rugy, a même temporairement disparu de celui de l'Assemblée nationale au changement de président. Chacun ses priorités.
Thermomètre de l'opinionA l'hôtel de Lassay, Richard Ferrand mûrit un autre dessein. On reproche à Emmanuel Macron d'être le " président des villes " ; lui sera le
" président des champs ", martèle son entourage. A peine élu au perchoir, il a foncé au Space, le salon international des productions animales rennais, sur sa terre d'adoption, la Bretagne. Fin septembre, il a consacré son premier déplacement officiel à l'Aveyron, sa terre natale, celle qui chante encore parfois dans sa voix. Il s'est arrêté à Rodez, où il est né, et a donné un entretien à
Centre Presse, l'un des titres qui l'ont vu débuter comme journaliste au mitan des années 1980.
Un retour aux sources pour lancer cette nouvelle étape du quinquennat. Pendant un an, Richard Ferrand a été, à la tête du groupe LRM, le Père Fouettard d'une majorité difficile à canaliser. Il a surtout eu du mal à se défaire de l'impact sur son image de l'affaire des Mutuelles de Bretagne, qui a éclaté en mai 2017 alors qu'il venait à peine d'entrer au gouvernement comme ministre de la cohésion des territoires.
Après un premier classement sans suite, Richard Ferrand est toujours sous le coup d'une information judiciaire pour prise illégale d'intérêts après le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile par l'association Anticor. Jeudi 11 octobre, trois juges d'instruction ont été nommés à Lille pour instruire le dossier. Lui est convaincu qu'il en sortira blanchi. A tel point qu'il écarte de démissionner en cas de mise en examen, a-t-il dit à
Libération en septembre.
" La question ne se posant pas, la réponse ne vous viendra pas ", a-t-il répété face à l'AJP le 3 octobre.
Le président de l'Assemblée nationale veut à tout prix tourner cette page judiciaire en embrassant son nouveau chantier parlementaire.
" Il va mener une présidence plus à l'ancienne, un peu à la Barto - Claude Bartolone, président de l'Assemblée pendant le dernier quinquennat socialiste - ", explique un député. En plus de gérer la vie de l'institution, les relations avec l'opposition et la réforme explosive de la fonction publique parlementaire, ce pilier de la majorité le voit jouer un rôle
" important et singulier " dans l'architecture macroniste.
" Richard Ferrand n'est pas n'importe qui dans la Macronie, insiste-t-on à son cabinet.
C'est un homme fort, sa feuille de route sera politique. "
Depuis la campagne présidentielle, le président de la Répu-blique lui reconnaît notamment des qualités de thermomètre de l'opinion.
" Je l'avertis aussi de ce que j'entends, de ce je vois dans les territoires ", expliquait Richard Ferrand le 7 octobre dans
Le Journal du dimanche. Le rôle sied parfaitement à la carrière de celui qui a gravi un à un les échelons locaux dans le Finistère. Seul le mandat de maire lui a échappé dans son territoire qui va du centre Bretagne à l'île d'Ouessant.
" Richard Ferrand, par son identité d'élu des régions, incarne une forme complémentaire à celle du président de la République ", poursuit-on dans son entourage.
Le nouveau patron de l'Assemblée a commencé à faire entendre cette voix dans
Le Journal du dimanche, en appelant à donner une place
" plus visible " aux territoires dans le gouvernement lors du remaniement attendu.
" Il y a le sentiment qu'il y aurait un décrochage entre certains territoires qui se sentiraient maltraités, déclassés. Donc cela, il faut le corriger, le réparer ", a-t-il répété sur France Inter mercredi 10 octobre.
Si traditionnellement, le président de l'Assemblée nationale a aussi un rôle diplomatique important avec des délégations étrangères, M. Ferrand entend, lui, plutôt multiplier les déplacements en France.
" Le rôle diplomatique de l'Assemblée est protocolaire, balaie l'un de ses proches
. Le protocole, c'est bien, l'utilité, c'est mieux. " Et à chacune de ses interventions médiatiques, il y va de son anecdote sur sa perception du pays.
Décisions " hors-sol "La bataille qui se joue en arrière-plan de cette stratégie est avant tout politique.
" On est à quelques mois d'échéances locales : les municipales en 2020, les régionales en 2021. On a affaire à un travail de tissage d'un récit avec les Français ", explique un proche de Richard Ferrand. Sur ce plan, La République en marche part avec plusieurs handicaps.
" La majorité n'est pas implantée localement ", reconnaît Benoît Simian, député LRM de Gironde. Le parti n'a que peu d'élus locaux et certains d'entre eux s'inquiètent du
" manque de relais " de la politique du gouvernement sur le territoire.
" Les territoires, ça n'est pas que le Sénat ", insiste-t-on dans la majorité.
Depuis le début du quinquennat, le Palais du Luxembourg, aussi appelé " chambre des territoires ", est en effet devenu le lieu de l'opposition politique à Emmanuel Macron. Et derrière le Sénat, c'est la parole des collectivités locales, tenues en majorité par la droite, qui s'exprime. Ces dernières n'ont de cesse de jouer le bras de fer avec l'exécutif qu'elles ac-cusent de prendre des décisions
" hors-sol ". " La majorité est complètement déconnectée des territoires ", répète-t-on dans l'entourage de Gérard Larcher, l'alter ego de Richard Ferrand au Sénat.
" Nous aussi, on travaille sur le terrain, conteste une élue LRM,
mais on peut avoir l'impression que seule la droite s'en empare. " Un constat en forme de mea culpa.
" Il y a eu beaucoup de malentendus, à nous de nous réconcilier avec les territoires. Sans doute qu'il y a eu des insuffisances ", a amorcé Richard Ferrand dans
Le JDD.
" Peut-être qu'on n'avait pas pris conscience que le clivage dans le pays n'est pas entre les riches et les pauvres, ou encore moins entre la gauche et la droite, mais entre les territoires et les métropoles ", concède une marcheuse.
" On sera ravi que du côté du pouvoir, on s'occupe des territoires, sourit-on dans l'entourage de Gérard Larcher.
Mais ce ne sont pour le moment que des déclarations d'intention. "
Depuis quelques semaines, la Macronie se met en branle pour porter le drapeau des territoires. Dans sa nouvelle équipe, présentée mardi 9 octobre, Gilles Le -Gendre, successeur de Richard Ferrand à la tête du groupe LRM, a intégré deux vice-présidents qui auront une dimension territoriale dans leur portefeuille. Un groupe informel appelé les " Girondins ", dont Benoît Simian est l'un des instigateurs, a vu le jour au sein dans la majorité, composé essentiellement d'anciens élus locaux. A Lassay, M. Ferrand apparaît comme le premier de cordée. Il a pris coutume de répéter :
" A Paris on fait la loi, dans nos territoires on fait la vie. " La République en marche tente aussi d'y orienter son avenir. En tâtant, toujours, le cul des vaches.
Manon Rescan
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