Cela l'agace qu'on lui reproche d'avoir mis Emmanuel Macron dans la difficulté. " Tu ne pouvais pas lui parler plutôt que de démissionner dans une interview du Figaro ? ", s'est insurgé l'un de ses amis. Alors Gérard Collomb, attablé dans un café de Lyon, campe la scène où ce lundi 1er octobre, il a, assure-t-il, annoncé au président son départ du ministère de l'intérieur. " Je lui ai dit : “Je veux partir maintenant, avant le conseil des ministres. Cela ne sert à rien d'attendre plus longtemps.” "
Pour interpréter son propre rôle, l'ancien ministre n'a eu aucun mal. Mais il ne sait plus trop comment mimer Emmanuel Macron. Faut-il le jouer autoritaire ? Inquiet ? Lucide ? Hors sol ? Comment caractériser cette " hubris ", cet orgueil démesuré dont Collomb assurait encore, il y a un mois, que Macron pouvait y succomber ? Au fond, ce septuagénaire roué ne sait plus très bien si le jeune chef de l'Etat n'a pas voulu entendre ou si c'est lui qui n'a pas su s'expliquer.
" Le président a usé de son charme… a dit oui, mais non… Emmanuel Macron contredit rarement, mais il se place toujours sous un autre angle et s'acharne à vous convaincre… Sans doute a-t-il cru qu'il m'avait convaincu… On s'est quitté sur quelque chose de flou… " Le lendemain, Gérard Collomb a dissipé les brumes en annonçant dans une interview ce qu'il n'avait su dire clairement au président. Un mois plus tôt, Nicolas Hulot avait, lui aussi, annoncé à Emmanuel Macron :
" Je vais démissionner. " Sans que le président prenne vraiment au -sérieux l'avertissement.
Est-ce si difficile de lui parler ? Depuis que les difficultés ont surgi – le tassement de la croissance, l'affaire Benalla, quelques phrases maladroites prises pour des marques d'arrogance et les démissions successives de deux de ses " ministres poids lourds " à l'environnement et à l'intérieur –, le reproche revient sans cesse :
" Il n'écoute plus personne ", " L'Elysée l'a isolé ", " Qui ose encore lui dire la vérité ? "
C'est une vieille antienne, entendue sous presque tous les pouvoirs. " Qui parlait à Giscard ? Et à Mitterrand ? Croyez-vous que les courtisans n'étaient pas nombreux autour de lui ?, souligne François Bayrou en haussant les épaules.
Chirac avait un ou deux vieux compagnons, tout au plus… Sarkozy ? Peut-être Hortefeux ou parfois Guéant… Hollande disait oui à tout le monde et faisait le contraire. Alors franchement… "
La fatigue s'est installéeLe voilà, ce bûcher des vanités sur lequel finissent toujours par grimper les présidents. Un an à l'Elysée et Emmanuel Macron n'y échappe pas plus que ses prédécesseurs. La fatigue s'est installée. Ceux qui le côtoient tous les jours avouent le trouver
" plus irritable, lui qui d'habitude ne s'énervait jamais. " Il enchaîne des voyages éreintants : New York et les Antilles, en une semaine, fin septembre. L'Arménie, en plein remaniement ministériel. Vendredi 12 octobre, on l'a vu s'engouffrer avec son épouse Brigitte, à 22 heures à La Rotonde, sa brasserie fétiche du boulevard du Montparnasse. Il venait tout juste de débarquer de l'avion qui le ramenait d'Erevan.
" C'est comme s'il courait deux marathons à la file, s'inquiète l'un de ses amis.
Il dort toujours aussi peu, continue d'envoyer des SMS ou de réécrire la moitié de ses discours en pleine nuit. Même à 40 ans, c'est épuisant et, lorsqu'on est épuisé, on fait forcément des conneries. "
Lors des réunions, ceux qui rencontrent Emmanuel Macron continuent de le décrire très concentré, en bras de chemise, le portable retourné pour prouver son écoute, discutant en profondeur sans cette distance hiérarchique qui peut glacer.
" Mais les débats ont peu à peu été découpés en tranches, du fait de la présence de conseillers ultra-spécialisés ", regrette aujourd'hui Gérard Collomb.
Avec les premières difficultés, le président s'est refermé sur son clan, celui qui l'avait aidé à conquérir le pouvoir, quand il aurait fallu au contraire ouvrir, élargir ses troupes pour mieux infuser sa vision. " Les mormons ", ainsi que certains les appellent comme
s'il s'agissait d'une secte, sont souvent des " technos ", jeunes, très intelligents, jonglant sans difficulté avec les nouvelles technologies et un jargon bourré d'anglicismes. Ce sont parfois eux qui défendaient la présence d'Alexandre Benalla comme la preuve de l'ouverture sociale du président de la République, oubliant que le jeune homme est licencié en droit et fils d'un prof de chimie et d'une prof de maths… Gare à ceux qui ne font pas partie du cercle. Le journaliste Bruno Roger-Petit, recruté sur l'impulsion de Brigitte Macron pour briser leur petit groupe trop homogène, l'a vite appris à ses dépens. En quelques mois, il a été marginalisé.
" Ces jeunes gens n'ont pas vécu d'épreuves. Ils sont rentrés à l'Elysée sous le soleil et maintenant, il pleut ; c'est là que l'expérience compte ", s'inquiète un vieux routier du pouvoir, comme si cet entourage n'était pas à même de protéger le président.
" Une forme de despotisme éclairé "Sans doute est-ce le lot des collaborateurs, on les accuse de tous les maux lorsque les choses vont plus mal. De fait, cependant, le pouvoir paraît fonctionner en cercle fermé.
" Tout est aux mains de quatre personnes : Emmanuel Macron et le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, le premier ministre, Edouard Philippe, et son directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas ", regrette un responsable de la majorité. Chaque décision paraît devoir remonter jusqu'au cœur de cet exécutif hypercentralisé, renforçant ainsi le sentiment que le pouvoir se défie de tous.
L'Elysée reçoit jusqu'aux candidats aux postes de directeurs d'administration centrale. Les ministres appellent presque systématiquement Matignon avant d'accepter un amendement lors des débats à l'Assemblée.
" Emmanuel Macron se plaint de ne pas avoir assez de poids lourds au gouvernement, mais encore faut-il pouvoir devenir un poids lourd, peste un élu.
Tout le monde sait que Hulot ne décidait rien dans son ministère. Nyssen ne peut nommer aucun directeur. Presque aucun ministre n'est maître de ses décisions. Dans ces conditions, quel est l'intérêt d'aller au gouvernement si l'on ne peut rien trancher ? "
Les politiques plus expérimentés manquent autour d'Emmanuel Macron. François Bayrou, Richard Ferrand, Christophe Castaner, Benjamin Grivaux, se targuent de " dire la vérité " au président. Ils sont pourtant eux-mêmes pris dans leur désir de garder la pré-éminence de ceux qui furent parmi les premiers fidèles, se défiant parfois d'Edouard Philippe, cette pièce rapportée du juppéisme qui n'a pas combattu à leurs côtés. Pour finir, le président décide presque seul.
" Une forme de despotisme éclairé ", regrette l'un des anciens de sa campagne présidentielle.
" Le président a une qualité rare. Il est lucide et lucide sur lui-même, défend Philippe Grangeon, cet ancien des cabinets ministériels socialistes, ex-conseiller officieux en communication de François Hollande rallié à Macron qu'il conseille désormais plus étroitement.
Il reconnaît bien volontiers qu'il renvoie une perception parfois d'un homme qui clive et manque d'empathie. Que trop de Français se demandent qui il est. Mais ses propos aux Antilles sont un signe de cette lucidité. " Lors de sa tournée en Martinique et en Guadeloupe, le chef de l'Etat s'est attaché à montrer qu'il
" observe, écoute, entend ", qu'il n'est pas isolé dans sa tour d'ivoire de l'Elysée, comme certains le -dépeignent y compris parmi ses soutiens.
" Je l'ai dit, je ne suis pas parfait, il y a des choses qu'il faut corriger, qu'il faut expliquer différemment parce que quand il y a des choses que les gens ne comprennent pas, c'est de notre faute ", a-t-il alors confié au
Monde.
Philippe Grangeon, Ismaël Emelien, ce trentenaire qui a imaginé En marche, Alexis -Kohler ou Jean-Marie Girier – l'ancien directeur de campagne d'Emmanuel Macron devenu chef de cabinet de Gérard Collomb avant de rejoindre Richard Ferrand à la présidence de l'Assemblée – peuvent parler très " cash " au président. Reste qu'il n'y a souvent que Brigitte Macron pour oser lui reprocher un propos maladroit ou s'insurger de cette série de photos prises à Saint-Martin où le président tenait par la taille deux jeunes gens torse nu dont l'un venait d'avouer être un ancien braqueur, sans qu'aucun des deux chargés de la communication présents n'ait vu que le jeune homme faisait un doigt d'honneur. C'est souvent par l'épouse du président que des politiques pourtant aguerris font passer des messages. Elle qui rattrape un ministre que son mari vient, sans y prendre garde, d'humilier.
" crispations "Cela ne suffit pas, cependant.
" Un an après son élection, Macron s'est rendu compte qu'il n'avait pas apaisé le pays ", reconnaît un proche du président.
" Il y a des crispations sur le style présidentiel, reconnaît-on à l'Elysée,
et le seul à pouvoir les dissiper, c'est lui. "Transgressif, provocateur, le " parler vrai " d'Emmanuel Macron, qui avait tant séduit durant la campagne présidentielle et au début du quinquennat, semble s'être transformé ces derniers mois, aux yeux des Français, en arrogance handicapante.
" Le président est conscient qu'il ne peut pas continuer à apparaître avec une image si défavorable, d'autant qu'elle ne lui ressemble pas ", poursuit l'Elysée, où l'on redoute que cette image se fige, tout comme Jacques Chirac est resté le roi fainéant, Nicolas Sarkozy le président " bling-bling " et François Hollande l'indécis.
Même la promesse d'un nouveau monde contre l'ancien a fait long feu.
" Emmanuel doit comprendre qu'au moins, dans l'ancien monde, il était impossible que la reine des paparazzis Mimi Marchand pose dans le bureau du président en faisant le V de la victoire ou qu'un Benalla aille tabasser des manifestants ", souligne un proche du chef de l'Etat.
Pour l'heure, même ceux qui se disent écoutés par le président reconnaissent qu'ils ne sont jamais sûrs d'être suivis.
" Et quand il reconnaît une erreur, comme lorsqu'il avait fait diffuser la vidéo où il affirmait qu'on dépensait un pognon de dingue en aides sociales, il fait comme tous les bons élèves pris en faute : il rationalise a posteriori pour ne pas reconnaître qu'il s'y est mal pris ", remarque l'un de ses conseillers.
Est-ce donc cela, cette hubris dont parlait Gérard Collomb ?
" Ce serait supposer qu'Emmanuel a changé au contact du pouvoir. Or, il est exactement ce qu'il a toujours été, souligne un ami qui l'a connu lorsqu'il était l'un des jeunes banquiers associés chez Rothschild.
Il y a chez lui une vraie profondeur et en même temps sa conversation reste un exercice de séduction permanente destinée à le replacer au centre. Parfois, il peut vous dire : “
C'est toi qui a raison, et j'ai tort.”
Mais cet aveu est un moyen supplémentaire de séduire. Et au fond, il reste insaisissable. "
Raphaëlle Bacqué, Virginie Malingre, et Solenn de Royer
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