Parking de Courcouronnes (Essonne), mardi 19 juin, 8 heures 20. Wassim (le prénom a été modifié) est comme un gamin malgré ses 21 ans. Il sautille et rigole autour de la voiture dans laquelle sont restées sa sœur et sa mère malgré le franc soleil qui a déjà dissipé la fraîcheur de la nuit. Il semble impatient qu'ouvre le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de l'Essonne. Et pour cause : il a rendez-vous à 9 heures pour se faire poser un bracelet électronique. Une mesure parti-culièrement cœrcitive, mais dans laquelle il hume un vent de liberté.
Wassim sort de quarante et un mois de prison. Il y a moins de deux heures, il était encore derrière les portes de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, à sept kilomètres de là. Alors qu'il n'était libérable qu'en avril 2019, le juge d'application des peines lui a accordé une libération conditionnelle au 19 octobre 2018, sous réserve qu'il respecte un placement sous surveillance électronique (PSE) probatoire de quatre mois. Une sorte de sas vers la liberté pour éviter une sortie sèche de détention.
" Si vous ne respectez pas la mesure, le juge peut décider d'y mettre fin et c'est retour à Fleury-Mérogis ", le prévient le surveillant pénitentiaire chargé de poser le bracelet. Dans une pièce exiguë où s'empilent les cartons livrés par Thales, le surveillant passe un mètre de couturier autour de la cheville du jeune homme avant de choisir la bonne sangle. Une minute plus tard, le bracelet électronique gris clair est scellé. Il disparaît sous le jogging noir à bandes rouges.
" Attention, le bracelet n'est pas forcément compatible avec une activité sportive, si vous le rompez, c'est 105 euros à votre charge. "
Toujours sous écrou, mais passé du milieu fermé au milieu ouvert, un charabia auquel il n'entend rien, le jeune homme se fait réexpliquer trois fois ce qu'est la libération conditionnelle promise comme une carotte : une vraie libération anticipée, dès lors qu'il n'aura pas débordé les horaires de sortie de son domicile autorisées par le juge (6 h 30 – 20 heures en semaine, 10 heures – 17 heures le week-end), qu'il aura honoré son obligation de travailler, ou démontré ses démarches de recherche d'emploi, et de commencer à rembourser le Trésor public de ses amendes et les parties civiles des dommages fixés par le tribunal.
A la conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP, les professionnels prononcent " cépipe ") de permanence qui le reçoit désormais, il brandit une promesse d'embauche que sa mère lui a trouvée dans un fast-food de l'autre côté d'Orly.
" J'irai demain pour voir comment cela se passe ", promet-il. Mais l'heure n'est pas à la vérification de cette offre.
" Pour une première incarcération, vous n'avez pas blagué ! " La jeune femme cherche à savoir s'il a compris et accepté sa peine de prison et de quelle façon il se projette sur un avenir.
" J'ai vu des gens de 30 ou 40 ans en prison, ça m'a choqué ! Ils ont raté leur vie, je veux réussir la mienne ", lance-t-il en bon élève qui veut prouver qu'il a compris la leçon. En tout cas, il ne minore pas sa responsabilité ni la gravité des faits : une série de braquages à main armée de pharmacies et de tabacs, des coups de feu qui ont été tirés, sans faire de blessé.
" C'était de l'inconscience ", dit-il.
Paperasse fastidieuse
" Le PSE est une vraie coquille vide. Cela n'empêche personne de boire ou de faire du trafic de stup. L'important c'est tout le travail qui est fait à côté ", explique Stéphanie Pellegrini, directrice de l'antenne " milieu ouvert " du SPIP de l'Essonne. Mais concrètement, c'est d'abord une balise à la cheville, pas si simple à supporter.
" En prison, c'est facile de se victimiser et de se retourner contre l'institution et ses représentants… Là, il n'y a ni barreau ni surveillant, si vous ne respectez pas les horaires, vous êtes le seul responsable ! ", résume-t-elle.
Le pôle centralisateur où arrivent les alarmes des balises installées au domicile des quelque 2 300 personnes placées sous bracelet électronique en Ile-de-France est installé dans un banal pavillon de banlieue, à 100 mètres de la prison de Fresnes (Val-de-Marne). La salle à manger, transformée en bureau où deux surveillants pénitentiaires sont rivés à des écrans d'ordinateur, est occupée 24 heures sur 24. La loi étant la loi, dès la première seconde de retard d'un PSE l'incident est signalé par fax au SPIP dont il dépend. Une paperasse fastidieuse alors que le service compte jusqu'à 200 alarmes par heure entre 18 heures et 20 heures, et plus encore en cas de grève dans les transports.
Contrairement à une idée répandue, les bracelets ne sont pas géolocalisables. C'est le pôle de Fresnes qui doit appeler la personne sur son téléphone portable, lui demander où elle est et la raison du retard. Faute de fournir un justificatif (mission d'intérim, heure supplémentaire demandée par l'employeur, rendez-vous médical, etc.) dans les soixante-douze heures, le juge est prévenu.
Si une personne n'est pas joignable plus d'une heure, le pro-cureur doit être alerté. En théorie…
" Il faut de la rigueur et de la souplesse, justifie Laurent Ridel, le directeur de la région Ile-de-France des services pénitentiaires.
Dans un parcours d'insertion, il faut accepter des sorties de route. " Toutefois, pour une poignée d'individus, impliqués dans des dossiers terroristes ou de grand banditisme, le parquet est alerté à la moindre incartade. Le SPIP de l'Esssone a conclu le 22 juin un nouveau protocole avec les juges d'application des peines et le parquet d'Evry pour ne plus les alerter pour des alarmes de moins de deux heures, même si elles restent au dossier.
" Je préfère que mes conseillers se concentrent sur le fond ", dit Mme Pellegrini. Son service, qui gère simultanément 180 PSE, déplore une à deux ruptures de bracelet par mois.
" Vieux client "Comme ce colosse de 24 ans qui exhibe une tête de mort sur son sweat-shirt. Lors de l'entretien avec sa conseillère d'insertion de probation auquel nous assistons en septembre, il revient sur cette soirée du 1er juillet. A 22 heures, après une violente dispute avec son père, il n'a pas su gérer le huis clos imposé et a rompu son bracelet pour prendre l'air. Le lendemain, il se présentait à Courcouronnes pour qu'on lui en fixe un nouveau… Le prix à payer est bien supérieur aux 105 euros fixés. Le juge d'application des peines lui a retiré quinze jours des crédits de réduction de peine qu'il avait acquis et lui a refusé sa demande de réduction de peine supplémentaire. De quoi encourager la maîtrise de soi, surtout quand on fait plus de 1,90 mètre et de 100 kg.
Le premier PSE que Julien Peymirat reçoit aujourd'hui est un
" vieux client ". Il le suit depuis 2014, quand il avait été condamné pour des agressions sexuelles à un long suivi sociojudiciaire de cinq ans
. " Ses débuts ont été très chaotiques, il ne venait pas aux rendez-vous au SPIP et ne respectait rien de l'injonction de soins ", se souvient ce CPIP qui, après six ans de travail administratif, a fait en 2012 l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire
" pour faire un travail concret et utile ". La plupart des 76 personnes dont il a la charge sont des sursis avec mises à l'épreuve. Il n'a que quatre bracelets, mais reste leur référent lorsqu'ils basculent d'une mesure à l'autre.
Dans sa veste et son pantalon trop larges, aussi noirs que sa barbe et sa moustache, Cédric, 29 ans, fournit les attestations de son triple suivi hebdomadaire avec une psychologue, une psychiatre et une psychomotricienne. Ses sorties, limitées à 9 heures – 15 heures, ont été étendues jusqu'à 18 heures les mercredis par le juge pour lui permettre ces rendez-vous dans un centre spécialisé à Paris. Son passage par la case prison a changé la donne. La sanction de la violation de son suivi sociojudiciaire était de deux ans. Il aura finalement été incarcéré huit mois et le bracelet qu'il porte depuis juin est une modalité d'exécution du reste de sa peine.
" Ma détention ne m'a rien apporté, c'était plus une souffrance qu'autre chose ", dit-il.
" Il a compris l'enjeu du suivi sociojudiciaire et la sanction en cas de non-respect. Le PSE est arrivé au bon moment ", reconnaît M. Peymirat qui s'était pourtant montré dubitatif sur la décision du juge. Dans les obligations que le tribunal avait fixées, il y a aussi celle de travailler.
" C'est cette absence de travail qui lui permet de s'investir à fond dans le suivi médical ", estime le CPIP qui ne lui met pas la pression sur cette recherche. La contrainte du bracelet conjuguée à l'épée de Damoclès des quelques mois d'incarcération gardés en réserve sur sa peine semblent pour l'heure aider au pilotage à vue d'un homme manifestement fragile.
" Je ne peux plus aller à la piscine ", se lamente-t-il.
" Obligé de rentrer à 17 heures ! "Mais vivre sous bracelet électronique ne marche pas toujours. Comme pour cette femme condamnée pour des faits de violence sous l'emprise de l'alcool.
" C'est un profil très fragilisé et le bracelet l'a beaucoup angoissée. Elle a bu deux fois plus ! ", constate sa CPIP. Son ex-compagnon, qui avait accepté de l'héberger avec son bracelet, car il faut l'accord du " maître des lieux ", dit le code pénal, s'est rétracté. Résultat, elle est retournée en prison début septembre.
Jeudi 20 septembre, Wassim a son rendez-vous mensuel avec son CPIP. Il travaille depuis juillet à plein temps comme frigoriste en CDI et a fourni ses bulletins de salaire. Il n'a eu aucun incident signalé par Fresnes, a passé son permis de conduire et a fait deux versements au Trésor public de 134 et 240 euros. Cela n'a pas été si facile.
" J'ai été forcé de prendre un chemin que je n'aurais peut-être pas pris, comme le fait de travailler tout de suite. Après être resté si longtemps en prison, j'aurai voulu me reposer. Au début, je dormais debout au travail. Mon corps n'était plus habitué, car en prison je ne sortais de ma cellule que deux heures par jour. " Quant au respect des horaires du bracelet, le week-end est difficile à supporter.
" Je suis obligé de rentrer à 17 heures, vous vous rendez compte ? C'était l'heure à laquelle je me levais avant ! " Pendant la Coupe du monde, alors que les rues fêtaient les victoires des Bleus, il était prisonnier chez lui.
" C'était trop dur, j'ai éteint mon téléphone pour ne plus voir les vidéos que mes copains m'envoyaient. "
En quatre mois, il aura eu une seule permission de sortir accordée par le juge pour aller assister à la cérémonie de remise de diplôme de sa sœur, devenue gendarme.
" Son cas est encourageant ", estime son conseiller alors que se profile le rendez-vous chez le juge le 19 octobre pour statuer sur la libération conditionnelle.
Mais il n'en aura pas fini avec la justice ! Suivront deux ans de sursis avec mise à l'épreuve, avec des obligations de soin, de travail, de remboursement des victimes, etc. Sans compter 70 heures de travail d'intérêt général : une condamnation de 2014 lorsqu'il était mineur. Difficile à concilier avec son emploi, cela devrait être converti en jours-amendes.
" Et si vous ne payez pas, c'est l'incarcération sèche. " Wassim laisse échapper sa colère :
" Toujours on parle de prison, alors que je travaille, je fais tout ce qu'on me dit. C'est derrière moi, tout ça ! " Ses rendez-vous mensuels à Courcouronnes lui rappelleront le contraire.
Jean-Baptiste Jacquin
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