Sur cet échiquier politique où le président de la -République a perdu successivement son cavalier (François Bayrou), son fou (Nicolas Hulot) et sa tour (Gérard Collomb), -Gérard Larcher, le président du Sénat, avance tranquillement ses pions. " Je suis optimiste. J'ai le sentiment qu'on va y arriver ", confie-t-il.
Le remaniement rendu nécessaire par la démission du ministre de l'intérieur offre en effet à Emmanuel Macron l'occasion de répondre à une pressante obligation : retrouver les voies du dialogue avec les collectivités territoriales. Il n'est donc pas étonnant, dans cette période délicate pour le chef de l'Etat, de retrouver, s'activant en coulisses, le patron du Palais du Luxembourg, roué routier de la politique, matou matois rompu aux arcanes de la vie publique.
Depuis un an, les motifs de tension entre le gouvernement et les collectivités se sont accumulés, jusqu'à la rupture de l'été, quand l'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France ont décidé de boycotter la conférence nationale des territoires. Dernier épisode de cette montée en charge, l'appel lancé à Marseille, le 26 septembre, par les trois associations dénonçant d'un même chœur le non-respect par l'Etat de ses engagements, le mépris de la
" technostructure " à l'encontre des collectivités territoriales et le processus de
" recentralisation " à l'œuvre, selon elles, depuis le début du quinquennat.
Sentiment d'abandonLe chef de l'Etat est bien conscient que cette situation de blocage ne peut durer. Dans l'avion qui le ramenait des Antilles, le 30 septembre, il s'en ouvrait au
Monde.
" Le gouvernement ne peut pas réussir sans les collectivités et aucune collectivité ne peut réussir sans le gouvernement, affirmait-il.
Si les collectivités ne nous accompagnent pas, on n'y arrivera pas. " M. Larcher ne dit pas autre chose.
" On ne redressera pas le pays sans ou contre les territoires, sans ou contre les élus ", répétait-il le 8 octobre à Lyon, où il participait à des assises des élus locaux.
Depuis sa réélection à la présidence du Sénat, le sénateur (Les Républicains) des Yvelines laboure inlassablement
le pays, qu'il connaît comme sa poche et dont il excelle à sentir le pouls. Le malaise des territoires, le sentiment d'abandon des élus locaux, la fracture qui s'est creusée avec l'administration de l'Etat ne datent certes pas de l'arrivée de M. Macron à l'Elysée. Mais M. Larcher a su habilement épouser, accompagner et capitaliser sur cette incompréhension qui s'est installée, depuis un an, entre l'Etat et les collectivités.
" Ce qui s'est passé à Marseille, il faut le décoder, il faut l'entendre ", expliquait-il, jeudi 11 octobre, à l'occasion de la présentation d'un rapport sénatorial sur le statut des élus locaux.
Aujourd'hui, il faut recoller les morceaux. Le gouvernement a lancé des chantiers d'ampleur – plan pauvreté, plan santé, apprentissage et formation professionnelle, réforme de la fiscalité locale – qui appellent l'investissement des collectivités territoriales. Pour l'heure, le dialogue est au point mort, même s'il n'est pas totalement rompu.
" Il y a eu beaucoup de malentendus, à nous de nous réconcilier avec les territoires, reconnaissait Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale, le 7 octobre dans
LeJournal du dimanche. Je suis pour des initiatives fortes. Cela peut se traduire par une place plus visible de ces enjeux dans le prochain gouvernement. "
" Il faut dire les choses "C'est effectivement une demande expresse formulée par les associations d'élus. Avoir un interlocuteur attitré, un ministère de plein titre pour les collectivités territoriales, ayant la tutelle sur la direction générale des collectivités locales – aujourd'hui partagée entre le ministère de l'intérieur et celui de la cohésion des territoires – et attribué à une personnalité
" ayant un poids politique ".
La fin de l'année est jalonnée de rendez-vous importants entre le gouvernement et les collectivités. Mercredi 17 octobre, le premier ministre doit recevoir à Matignon l'ensemble des présidents de région. Entre le gouvernement et les pouvoirs régionaux, il y a eu une véritable discorde au moment de la réforme de l'apprentissage, que ces derniers ont vécue comme un affront. Aujourd'hui, le dossier épineux concerne la gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), le " deuxième pilier " de la politique agricole, qui représente un montant global de 10,8 milliards d'euros. Les régions s'inquiètent d'une volonté de recentralisation de sa gestion. Elles veulent être assurées qu'il n'y aura
" pas de retour en arrière ".
S'enchaîneront en novembre les congrès de l'ADF et de l'AMF. Autant d'échéances à négocier et de contentieux à désamorcer si le gouvernement veut mener à bien la réforme de la fiscalité locale rendue nécessaire par la suppression de la taxe d'habitation, qui devrait faire l'objet d'un projet de loi au premier semestre 2019.
" Alors que les astres sont dans tous les sens, nous pouvons arriver à ce qu'ils se rapprochent, glisse M. Larcher.
Je ne suis là que pour essayer de faciliter les relations mais, à certains moments, il faut dire les choses. "
Le président du Sénat distille ses conseils à l'exécutif. Sur la réforme de la fiscalité locale,
" il ne faut pas jouer au bonneteau entre les collectivités locales ". Sur la conférence nationale des territoires,
" je ne crois pas qu'il faille la condamner a priori, mais il faut qu'on ait une autre méthode de préparation ".
Enfin, il n'oublie surtout pas le projet de loi constitutionnelle dont l'examen devrait reprendre en janvier 2019 à l'Assemblée nationale, assorti du projet de loi organique prévoyant une réduction de 30 % du nombre de parlementaires, ce qui abaisserait de 577 à 404 le nombre de députés et de 348 à 244 celui des sénateurs. M. Larcher s'est fait une raison : s'y opposer frontalement risquerait de faire passer le Sénat pour le dernier repère des conservateurs opposés à une mesure qui rencontre une forte adhésion populaire. Alors il a entrepris de limiter les dégâts et d'amener le chef de l'Etat à adoucir la purge. Le président du Sénat a un étiage en tête : 267 sénateurs. Ce qui ramènerait du coup le nombre de députés à 443. M. Larcher devrait s'en entretenir très prochainement avec le président de la République.
Patrick Roger
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